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See other formats Dictionnaire amoureux de la Langue française Jean-Loup Chiflet Plon Jean-Loup Chiflet Dictionnaire amoureux de la Langue française Dessins d'Alain Bouldauyre Hugo&C ie PLON - I lugo Si Cie - Collection fondée par Jean-Claude Simoën ET DIRIGÉE par Laurent Boudin La liste des ouvrages du même auteur figure enfin de volume. © Plon, un département d'Édi8- Hugo et Cie, 2014 Éditions Plon 12, avenue d'Italie 75013 Paris Tél 0144 16 09 00 Fax 0144 16 09 01 Graphisme d'après Dessins intérieurs d'Alain Bouldouyre Portrait présumé de Michel de Montaigne © EAN 978-2-259-22978-4 Cette œuvre est protégée par le droit d'auteur et strictement réservée à l'usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L'éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. » Ce document numérigue a été réalisé par Nord Comoo . Le français est la plus belle langue du monde parce que c'est à la fois du grec de cirque, du patois d'église, du latin arabesque, de l'anglais larvé, de l'argot de Cour, du saxon éboulé, du batave d'oc, du doux-allemand et de l'italien raccourci. Valère Novarina. Avertissement Être amoureux » d'une langue, c'est lui trouver un souffle, une virtuosité, voire du génie », comme Voltaire qui dans son Dictionnaire philosophique rappelle que le génie d'une langue, c'est son aptitude à dire de la manière la plus courte et la plus harmonieuse, ce que les autres langues expriment moins heureusement ». Voltaire pensait-il en écrivant ces lignes que notre langue, à qui je déclare ma flamme tout au long de ces quelque sept cents pages, était bien celle qui s'exprime plus heureusement » que les autres ? Sans doute, et il n'est pas le seul car bien d'autres présents dans ce livre se sont épris, entichés, passionnés, énamourés, et ont bien mieux que je ne vais le faire su exprimer leur passion pour celle dont la clarté et la netteté font qu'elle est la langue internationale de la culture » Rivarol, Discours sur l'universalité de la langue française. Mais ce génie » dont parle Voltaire est complexe et on ne peut le découvrir qu'en observant ses particularités. Chaque langue a ses finesses et ses désagréments, ses réussites et ses faiblesses. Dans tous les cas il s'agit de dire le monde, d'analyser la réalité à laquelle nous sommes confrontés et de permettre de mieux la vivre. Mais qu'est-ce qui est particulièrement réussi dans la langue française ? En quoi s'avère-t-elle si précieuse ? Et, à l'inverse, quelles sont ses lourdeurs et ses inélégances ? Autant de questions auxquelles je me dois de répondre, et ce n'est pas parce que je me sais amoureux, donc subjectif, que je vais taire les insuffisances et les défauts de l'élue de mon cœur. Quand on aime on aime tout... et rien n'est plus émouvant que de débusquer les faiblesses de l'être aimé. Certes, regarder sa propre langue comme la plus belle et la meilleure de toutes est une forme de chauvinisme assez courante, et celui qui s'y adonne ne connaît pas les langues étrangères. Il en existe encore quelques milliers à travers le monde. Et c'est cet excès d'affection un peu narcissique qui fait dire à Philippe Sollers que les textes littéraires étrangers s'améliorent quand on les traduit en français ». Cela évidemment n'engage que lui, mais il est vrai qu'on l'a souvent dit de Dostoïevski et même de Heidegger, qui pourtant voyait dans le grec ancien et l'allemand des langues exceptionnelles, et les seules dans lesquelles on puisse philosopher ». J'ai lu quelque part qu'être amoureux de la langue française c'est être amoureux de ce pays, dans sa diversité, ses nuances et ses surprises. Sans doute, mais cela ne veut pas dire qu'elle doive rester confinée à l'intérieur de ses frontières. Il faut au contraire qu'elle s'ouvre au monde et au partage, et qu'elle accepte, comme le rappelle Le Clézio, qu'elle n'est plus seulement le pays de Voltaire, de Condorcet, de Michelet et de Lamartine. C'est aussi le pays d'Aimé Césaire et d'Édouard Glissant ». J'ajouterai, et de tous ceux aussi qui, comme Cioran, Beckett ou Ionesco, ont choisi délibérément le français au détriment de leur langue maternelle. En me relisant, je trouve ces considérations un peu austères, voire affectées, et je m'aperçois qu'elles anticipent inutilement sur le contenu de ce livre, que vous aurez le loisir, si vous le souhaitez encore, de découvrir au gré des pages qui suivent. Revenons plutôt sur cette préface que j'ai choisi d'appeler Avertissement » car il s'agit d'une mise en garde. Il faut savoir que je succède dans cette prestigieuse collection des Dictionnaires amoureux à deux illustres linguistes, Claude Hagège et son Dictionnaire amoureux des langues, et Alain Rey avec son foisonnant Dictionnaire amoureux des dictionnaires. Comme vous l'imaginez, c'est une succession délicate pour le grammairien buissonnier que je suis plus buissonnier que grammairien d'ailleurs.... Sachez aussi que lorsque mon éditeur Jean-Claude Simoën m'a proposé de m'atteler à ce dictionnaire, nous étions lui et moi dans l'euphorie de l'honnête succès de mon Dictionnaire amoureux de l'humour. J'ai donc accepté sans réfléchir et sans mesurer l'ampleur de la tâche, mais je ne regrette rien. J'ai souffert, mais j'ai beaucoup appris et je me suis aussi follement amusé. Voilà qui explique peut-être le ton badin que d'aucuns pourraient me reprocher pour traiter un sujet aussi sérieux. Mais cette légèreté s'explique surtout parce que, si j'aime cette langue, c'est parce qu'elle m'amuse à force d'être inattendue et insolite, et parce qu'elle nous raille sans cesse à force d'être malicieuse, caustique et déconcertante en imposant cette fameuse exception française » que beaucoup nous envient. Est-il aussi besoin de souligner qu'un Dictionnaire amoureux est entièrement livré à la subjectivité de celui qui l'écrit, aussi excentrique et singulier soit-il... aux risques et périls de l'éditeur qui l'a choisi ? Il existe déjà une pléthore d'ouvrages savants qui traitent de l'histoire de notre langue, et mon propos est bien différent. Ce n'est ni une oeuvre exhaustive ni une anthologie, bien que je me sois appliqué à l' illustrer » au sens où l'entendaient les poètes de la Pléiade, avec de nombreuses citations et extraits de textes ; mais je me suis étonné moi-même en me lançant parfois dans des envolées lyriques pour célébrer mes auteurs de prédilection. Ce choix se traduit souvent à la suite d'une pulsion amoureuse mais aussi parce que je privilégie celui ou celle qui a le plus contribué à l'évolution de la langue française. Reste à savoir si j'ai été assez cohérent dans une répartition équitable entre les articles sur la forme et la rhétorique, et ceux qui concernaient les écrivains, poètes et autres hommes ou femmes de lettres ? Le lecteur que vous êtes est évidemment le mieux placé pour répondre nonobstant... l'indulgence dont vous saurez, j'en suis sûr, faire preuve. Je vous dois enfin une dernière explication sur l'entrée Spicilèges » qui me tient à cœur. J'aurais pu l'intituler Interlude », mais l'origine anglo-saxonne de ce substantif aurait fait désordre. Spicilèges » vient du latin glonum, glaner », et cela convient bien à ma démarche glaner des informations plus ou moins récréatives, insolites et impondérables qui ne justifient pas un article dans ce dictionnaire. Un intermède je l'espère assez récréatif pour se détendre et flâner un peu entre les mots. Alain Borer, ce spécialiste incontesté de Rimbaud, a écrit Parler de la langue française, c'est être attaché avec Racine, Louise ou Marceline, Henri IV, Rousseau, Senghor, [...] tant et tant et tant d'autres en un banquet où tout le monde se comprend. » Belle perspective ! C. Académie française L' La dénigrer , mais tâcher d'en faire partie. Gustave Flaubert. La fondation de l'Académie française par Richelieu en 1635 est un moment important dans l'histoire de la langue française. Elle publia son premier dictionnaire en 1694, qui était le fruit d'une longue gestation, puisque c'était presque soixante ans après sa création. L'histoire de cette vénérable institution qui se compose de quarante membres peut se narrer aussi à travers quelques anecdotes amusantes Miraculés Le duc de Castries écrit dans son livre sur l'Académie française Il faut considérer que les élections tiennent du miracle et qu'il serait plus juste, au lieu de nous appeler immortels, titre pharamineux, s'il ne cessait avec le décès, de nous désigner dans l'ensemble comme des miraculés. » Jeune Le plus jeune académicien fut le duc de Coislin, élu à seize ans en 1652, qui n'avait rien écrit. Il était le petit-neveu de Richelieu. Il mourut doyen de l'Académie après presque quarante-neuf ans de fauteuil. Trissotin Molière peignit sous les traits de Trissotin, dans sa pièce Les Femmes savantes, un académicien assez médiocre, l'abbé Cotin. La première fois que l'on joua la pièce, il fut même représenté par un maquillage si ressemblant que tout le monde le reconnut. Chier On avait précieusement réservé ce mot pour l'arrivée du cardinal Tisserant. On sait s'amuser quai de Conti. Dieu Ce mot donna du travail aux académiciens il fallut deux séances en 1976. Femmes Au xvi e siècle, l'Académie française de Jean-Antoine de Baïf incluait deux femmes. Il faudra attendre le xx e siècle pour que cet exploit » se renouvelle ! Conrart Qui fut le premier secrétaire perpétuel fut aussi celui qui établit le record de durée quarante-neuf ans, suivi par le presque centenaire Fontenelle. Jeton C'est Colbert, le ministre de Louis XIV, qui instaura les jetons de présence en argent à l'Académie, récompensant ainsi les plus assidus. Corneille et La Fontaine Leur présence fut la plus régulière aux séances du Dictionnaire sous Louis XIV. Séances publiques C'est à Charles Perrault qu'on les doit. Perrault, l'auteur des Contes de notre enfance, avait également écrit d'autres contes plus libertins qui retardèrent son élection. 82 ans C'est l'âge avancé qu'avait Jean-Baptiste Biot quand il fut élu, en 1856. Maréchal Les voilà ! Les six maréchaux élus au xx e siècle Lyautey, Joffre, Foch, Pétain, Franchet d'Esperey, Juin. Il est à noter qu'aux xvn e et xix e siècles aucun maréchal ne fut élu. Brièveté Un certain Colardeau a battu, en 1776, le record de brièveté cinq jours ! Octave Aubry eut le triste privilège d'être élu mais de mourir avant d'être reçu. Fauteuil Ce fut pour la réception de Mgr d'Estrées, le 2 décembre 1713, que furent inaugurés les quarante fauteuils offerts par Louis XIV aux académiciens. L'abbé de Saint-Pierre 1658-1743 Il eut tant de mal à entrer à l'Académie qu'il écrivit un livre qui suscita l'ironie de ses contemporains ; et pourtant son projet de paix perpétuelle prévoyait l'établissement à Strasbourg d'une sorte de parlement européen chargé de résoudre les mésententes entre les nations grâce à une force armée internationale... Bonnet et chapeau Entre 1760 et 1774, deux factions rivales se disputaient les fauteuils les chapeaux et les bonnets. Les chapeaux représentaient les philosophes et les bonnets les ecclésiastiques ! Parfois, la distinction n'était point aisée Condillac, abbé de Mureau, s'il était bonnet, avait plutôt des idées de chapeau. Révolution française Un académicien, Morellet, eut le courage d'emporter chez lui - il risquait sa tête - les archives les plus précieuses de l'Académie et de cacher les portraits dans les tribunes réservées au public. Morts violentes Certains académiciens furent guillotinés, l'astronome Bailly, Malesherbes, Nicolaï ; Condorcet s'empoisonna, Chamfort s'ouvrit les veines. Habit vert Le 13 mai 1801, parut l'arrêté qui détermina le célèbre costume... qui était en fait noir. Panthéon C'est un ancien député de la Constituante, le marquis de Pastoret, qui eut l'idée de convertir l'église Sainte-Geneviève, édifice achevé mais non consacré, afin qu'il serve de nécropole aux personnalités. Épée C'est la première fois que je porte une épée, et je n'ai jamais eu si peur de ma vie » Labiche. Immortels Si je suis élu, je serai "immortel", et si je ne le suis pas, je n'en mourrai pas ! » André Roussin. Accents Stoïques et grands enfants, nous reçûmes de la maîtresse, très sévère, une fessée. Ils sont tous dans cette petite phrase, ces terribles accents redoutés des écoliers qui se posent la question de savoir si l'orientation d'un petit signe vaut vraiment un point en moins. Pourquoi les voyelles ont-elles besoin de tous ces chapeaux ? Parce que, au fil du temps, certaines d'entre elles ont pris des sons différents, et voilà pourquoi non pas votre lettre est muette », mais nous nous retrouvons avec à, â, î, ï, ô, û, ü et é, è, ë, ë. L'aîné étant l'accent aigu ' et le petit dernier l'accent circonflexe qui faillit ne jamais voir le jour et qui eut une longue gestation deux cents ans à être accepté. Hérités de la langue grecque, repris par les Romains, Yacutus devient l'accent aigu, le gravis l'accent grave, et le circumflexus le circonflexe. Ils vont disparaître pendant plus d'un millénaire de par la négligence des copistes, ce qui n'est pas sans nous rappeler le nouveau langage des textos dans lesquels, pour gagner du temps, nous prenons l'habitude de les omettre. N'en déplaise aux escoliers » devenus écoliers, ils reviendront grâce à un certain Gutenberg. Les accents ont non seulement une fonction phonétique, mais aussi une fonction distinctive par rapport aux homophones ou et où, la et là, sur et sûr, par exemple, afin d'éviter par là des contresens Ex. Le policier tué et non le policier tue. Le policier gêné et non gêne. Le policier agrafe et non agrafé. Le policier maltraité et non maltraite. Le policier et les jeunes et non les jeûnes. L'accent circonflexe, lui, est le résultat de la réunion de l'accent aigu et de l'accent grave. On peut le voir sur toutes les voyelles a-e-i-o-u sauf l'y. Il remplace le s venu du latin que l'on trouve entre voyelle et consonne. Il eut du mal à s'imposer, et même des lettrés comme Montaigne demandaient à leurs éditeurs de ne point l'employer ! Heureuse époque où les éditeurs se préoccupaient de l'avis de leurs auteurs. Ce sont les Précieuses qui vont en redemander, souhaitant la parité culturelle avec les hommes, et qui décident de l'amuïssement suppression de toutes les lettres inutiles ; cette lettre est tantôt une voyelle rôle pour roole, ou une consonne âne pour asne. On place l'accent circonflexe en particulier sur le o des possessifs le nôtre. Ex. J'ai pêché ou j'ai péché. J'ai fait une tâche ou j'ai fait une tache. Le circonflexe des Précieuses ne sera reconnu officiellement par l'Académie qu'en 1740. Certains mots mettent chapeau bas dans leurs dérivés Arôme mais aromate, aromatique, aromatiser. Bête mais bétail, bétaillère. Cône mais conique, conifère. Conquête mais conquérant. Côte mais coteau. Crêpe, crêper, crêpage, crêpe lé mais crépu, crépir. Dépôt mais déposer. Diplôme, diplômer mais diplomate, diplomatique. Drôle, drôlerie, drôlement mais drolatique. Extrême, extrêmement mais extrémité, extrémisme, extrémiste. Fantôme mais fantomatique. Grâce, disgrâce mais gracier, gracieux, gracieusement, disgracier. Icône mais iconique, iconoclaste. Infâme mais infamie. Jeûne, jeûner, jeûneur mais déjeuner. Mêler mais mélanger. Pâtir mais compatir. Pôle mais polaire, polariser, polarisation. Râteau mais ratisser. Suprême, suprêmement mais suprématie. Sûr, sûrement, sûreté mais assurer, rassurer. Symptôme mais symptomatique. Tâter, tâtonner, tâtonnement, à tâtons mais tatillon. Tempête, tempêter mais tempétueux. Trône, trôner mais introniser, intronisation. Aléa jacta est ! A priori vous trouverez le mémento sur le référendum dans l'auditorium. Sans faire preuve d'un passéisme excessif, on peut regretter l'abandon progressif de l'enseignement du latin dans nos écoles. Tout simplement, parce que l'essentiel de notre langue vient du latin. À tel point que de nombreux mots ont été repris en français sans la moindre transformation à l'exception des accents. Il est curieux d'observer que certains de ces vieux mots désignent des réalités tout à fait actuelles de l 'alias sorte de copie virtuelle sur les ordinateurs Apple au visa, en passant par les campus universitaires, qui, après les palmarès, sont souvent l'antichambre de l'intérim... Rappelons seulement les suivants, constamment présents dans notre quotidien a priori, agenda, album, alibi, aléa, aquarium, auditorium, bonus, consensus, curriculum vitæ, duo, duplex, duplicata, ex æquo, extra, forum, gratis, grosso modo, humus, idem, in extremis, index; junior, lapsus, lavabo, magnum, malus, maximum, mea-culpa, médium, médias, mémento, minimum, muséum, omnibus, opium, pollen, prospectus, quiproquo, quasi, quota, rébus, référendum, senior, sérum, silex, spécimen, sponsor, super, tandem, ultimatum, veto, villa. Et caetera ! Une liste non exhaustive à laquelle il faudrait rajouter bien sûr des mots scientifiques calcium, radium, sodium..., religieux [amen, miserere, requiem... et médicaux les jeux du pénis ou du phallus avec l'anus ou l 'utérus, comme le cunnilingus, provoquent parfois de mauvais virus ! Conclusion, Vade rétro, Satanas ! Alphabet D'où vient le mot alphabet ? Alpha , bêta, tout simplement les deux premières lettres grecques. Et l'ordre des lettres ? Pourquoi les voyelles sont-elles intercalées entre les consonnes ? C'est du côté du Levant qu'il faut chercher l'origine de l'alphabet. Dès l'âge de bronze, les hommes ont classé les symboles par lien sémantique selon leur sens et non par rapport à leur forme. Le a qui vient du mot bœuf » aleph se retrouve proche du b qui signifiait maison ». L'ancien alphabet sémitique est d'abord un emprunt aux hiéroglyphes de la civilisation égyptienne. Vers le xiv e siècle avant à Ougarit, dans l'actuelle Syrie, on inventait une écriture alphabétique consonantique de 30 signes avec un système graphique cunéiforme. Deux siècles plus tard, l'alphabet classique de 22 lettres arrivait à maturité après un millénaire d'évolution depuis l'invention des hiéroglyphes. Les Grecs modifièrent l'alphabet phénicien pour l'adapter à leur langue, mais surtout ils attribuèrent à certaines lettres, dont ils n'avaient pas l'usage, la valeur de voyelles. Les Étrusques, au vn e siècle avant reprirent l'alphabet grec pour transcrire leur langue ; ils furent soumis par les futurs Romains », qui, à leur tour, leur empruntèrent leur alphabet pour transcrire leur langue. Grâce à la domination de l'Empire romain, cet alphabet, à peu près constitué aux environs de l'ère chrétienne, s'imposa sur un vaste territoire. Dans les quatre volumes de La Règle du jeu 1948-1976, Gallimard, Michel Leiris, qui portait une attention extrême au langage, s'était, dans l'un d'entre eux, Biffures, penché sur l'alphabet et son graphisme naturel, et imaginait Les lettres ne restent pas "lettres mortes", mais parcourues par la sève d'une précieuse kabbale, qui les arrache à leur immobilité dogmatique et les anime, jusqu'aux extrêmes pointes de leurs rameaux. Très naturellement, l'A se transforme en échelle de Jacob ou échelle double de peintre de bâtiment, l'I un militaire au garde-à-vous en colonne de feu ou de nuées, l'O en sphéroïde originel du monde, l'S en sentier ou en serpent, le Z en foudre qui ne peut être que celle de Zeus ou de Jéhovah. » Amour Faire I' Souperons-nous ? ou ferons le déduit ? — Faisons lequel vous plaira, dit la belle, Mais le souper n'est pas encore cuit. Jacques Peletier du Mans, xvi e siècle. Que le lecteur ne s'inquiète pas outre mesure... Chacun des verbes utilisés dans les tercets qui suivent - et imprimés en italique - n'a rien d'obscur. Tous ont le même sens celui de faire l'amour. Bobeliner est une des plus jolies manières de dire la chose plutôt que coïter » ! ou je ne sais quels mots grossiers... mais on en trouve à peine trace dans notre littérature. Tout juste Pierre Guiraud les mentionne-t-il, souvent sans les illustrer d'une citation, dans son précieux Dictionnaire érotique. Sur les 1 300 verbes ou expressions qu'il a relevés, je me suis amusé à en sélectionner quelques-uns... Comme j'ai un faible pour les poètes voluptueux de ce cher xvi e siècle, j'ai voulu honorer les unes et les autres à travers ces légers poèmes de mon cru. Lucile aime à laisser la lampe allumée quand je Yacciampe. La belle n'a daigné avec moi s'accointer ô suis désappointé. À les voir accoupaudir avec si belle ardeur vite me sentis roidir. Quand je Variété jamais Juliette ne dit arrête » ! Nices et douces félines Blandine Céline et Pauline il est grand temps que l'on beline. Chaste fille il faut un jour débuter avec moi viens beluter. Tes dessous presse-toi d'ôter et sans attendre au chaud du lit glissons-nous pour biscotter. Cesse de bouquiner tes berquinades viens avec moi brodequiner. Quand avec Anne je caquette sur la moquette c'est pure extase. Dimanche les cloches sonnent c'est la messe il est neuf heures avec toi je carillonne. Cessons de nous chamailler pour des broutilles partons plutôt chenailler. Ma belle à croquer me donne sans cesse envie de la coquer. En ton lit mon aimée courons nous déduire mais sans reproduire. Anémone papillonne avec maints amants elle écouvillonne. Tu m'obliges coquine à me contorsionner pour t'embriconner. Tes framboises roses Françoise que je t' envoise. Vo u I ez-vo u s fanfrelucher me demanda la gente dame et pourquoi pas gomahucher Ah ! comme on est ravigoté après avoir bien fringoté ! Émilie aime bringuer et plus encore fringuer. Un soir d'été dans une allée je l'ai prestement gallée. Je gimbrette ma belle soubrette sur l'escarpolette. Flore babille gentilles bêtises quand je la hurtebille. Ah ! quel régal de butiner sa tendre fleur avant de la hutiner. Quand elle jocguette ma coquette n'est pas muette. Nuit et jour avec toi je soboule et perds la boule. Ses jambes sur moi sont tenailles quand je la schenaille. Si tu veux tabourer j'en suis fort aise mais pas sur un tabouret. Tu es chagrine ? un seul remède on tambourine. Jeanne a des goûts bizarres elle aime qu'on la menotte quand elle zizotte. Et puisque entre un Dictionnaire amoureux du français et un Dictionnaire du français amoureux [sic il n'y a qu'un pas, je me résous à le franchir avec ce florilège de poèmes où, dès le xvi e siècle, les mots nous donnent vraiment l'impression de faire l'amour ». Source d'amour, fontaine de douceur. Petit ruisseau apaisant toute ardeur... Guillaume Bochetel, xvi e siècle. Anne, je vous supplie, à baiser apprenez, À baiser apprenez, Anne, je vous supplie, Car parmi les plaisirs qu'en amour on publie, Les baisers sont divins quand ils sont bien donnés. Olivier de Magny, xvi e siècle. Puys doux, puys savoureux, Puys de qui tous sont amoureux, Puys auprès de qui fait mieux être, Je crois, qu'en paradis terrestre. Jean Rus, xvi e siècle Mais moi, je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse, C'est ma gloire, mon heur, mon trésor, ma richesse, Car j'ai logé ma vie en ta bouche, mon cœur. Rémi Belleau, xvi e siècle Je te salue, ô vermeillette fente, Qui vivement entre ces flancs reluis ; Je te salue, ô bienheureux pertuis, Qui rend ma vie heureusement contente ! Pierre de Ronsard, xvi e siècle Sa jupe permettait de voir en liberté Ce petit dieu charmant qu'elle cache à la vue, Le centre de l'amour et de la volupté, La cause du beau feu qui m'enflamme et me tue. Jean-Baptiste de Grécourt, xvm e siècle Sa lèvre ardente, avide, et sa langue altérée, Puisent le doux nectar, source de ses plaisirs. Qui l'abreuve à longs traits d'amour et de désir. Népomucène Lemercier, xvi 11 e -xix e siècle Ce qu'il me faut à moi, c'est la brutale orgie, La brune courtisane à la lèvre rougie Qui se pâme et se tord ; Qui s'enlace à vos bras dans sa fougueuse ivresse, Qui laisse ses cheveux se dérouler en tresse, Vous étreint et vous mord ! Alfred de Musset, xix e siècle La très chère était nue, et, connaissant mon cœur, Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores, Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores. Charles Baudelaire, xix e siècle Vent d'été, tu fais les femmes plus belles En corsage clair, que les seins rebelles Gonflent. Vent d'été, vent des fleurs, doux rêves. Caresse un tissu qu'un beau sein soulève. Charles Cros, xix e siècle Je baisais ses fines chevilles Elle eut un doux rire brutal Qui s'égrenait en claires trilles Un joli rire de cristal. Arthur Rimbaud, xix e siècle Par sa robe entr'ouverte, au loin je me perdais, Devinant les dessous et brûlé d'ardeurs folles. Guy de Maupassant, xix e siècle Laisse-moi, parmi l'herbe claire, Boire les gouttes de rosée Dont la fleur tendre est arrosée. Paul Verlaine, xix e siècle Avance le palais de cette étrange bouche Pâle et rose comme un coguillage marin. Stéphane Mallarmé, xix e siècle Vulve gui serre comme un casse-noisettes je t'aime Je sens l'odeur de fleur de marronnier gue le mystère de tes jambes Répand au moment de la volupté. Guillaume Apollinaire, xx e siècle Ton feu je l'allume à genoux Comme aux sources lorsgu'on y boit. Raymond Radiguet, xx e siècle Oui, des lèvres aussi, des lèvres savoureuses Mais d'une chair plus tendre et plus fragile encor Des rêves de chair rose à l'ombre des poils d'or Qui palpitent légers sous les mains amoureuses. Pierre Louÿs, xx e siècle La voile de tes seins se gonfle avec la vague De ta bouche gui s'ouvre et joint tous les rivages. Paul Éluard, XX e siècle Sanguine joli fruit la pointe de ton sein a tracé une nouvelle ligne de chance dans le creux de ma main. Jacques Prévert, xx e siècle Cette chair que je froisse, que j'attire à moi comme une branche trop chargée cette chair qui frémit à mesure qu'on la dénude de son linge. Lucien Becker, xx e siècle Je veux me montrer nue à tes yeux chantants. Joyce Mansour, xx e siècle Sa pupille s'absente Et son iris absinthe Subrepticement se teinte De plaisirs en attente. Serge Gainsbourg, xx e siècle Que la cicatrice Si jolie d'Alice Jamais ne guérisse. Pierre Perret, xx e siècle Ampère, André-Marie 1775-1836 Qui eût cru que ce célèbre scientifique avait aussi imaginé ce qu'il appelait, sans complexe, une langue universelle » Divers auteurs ont parlé des avantages qui résulteraient de l'exécution d'un pareil projet, quelques-uns en ont même donné un léger essai, mais on n'a jamais rien fait de bien satisfaisant sur ce sujet ; je n'espère pas de mieux réussir, mais voici toujours mes idées. Le désir de la simplifier m'a d'abord fait rejeter l'article, dont l'exemple du latin montre assez qu'on peut se passer, d'autant mieux que j'ai suppléé d'une autre manière à la fonction la plus utile dont il est chargé dans nos langues, comme on le verra par la suite. Le substantif est donc la première partie d'oraison dont j'aie à traiter, et c'est en même temps celle sur qui [sic] j'ai fondé tout le reste de ma syntaxe. J'ai choisi / pour la seule voyelle dont il puisse être terminé au nominatif singulier, qui peut d'ailleurs l'être par toute sorte de consonnes, en sorte qu'on ne doit employer cet / que quand la dernière consonne formerait une terminaison barbare, quoiqu'il soit toujours regardé comme la terminaison naturelle de ce cas. J'ai choisi n pour la marque du pluriel, afin d'en pouvoir conserver la marque dans les adjectifs et les verbes qui se termineraient sans cela en -as, -es, -os, -is, -it, en y substituant -ans, -ens, -ons, -ins, -int. Pour les substantifs on se contentera d'ajouter cette lettre à chacun des cas du singulier, après avoir suppléé / si cette lettre manquait au nominatif singulier, ex. eric, le bois ; ericin, les bois. [...] Il s'en faut bien que le génie de la langue française, qui se plaît à dédaigner ces règles générales et métaphysiques sur lesquelles je veux fonder la mienne, fournisse souvent des phrases aussi complètement d'accord avec les règles que je viens de donner, et qu'on doit toujours suivre quelque contraires qu'elles paraissent aux tournures du français ou d'aucune autre langue. Prenons par exemple le mot eros, amour, dont j'ai déjà fait usage pour ma conjugaison. Erotori, être d'amour, être plein d'amour, sera l'infinitif actif ; eroteri, je suis à l'amour de quelqu'un, je possède son amour, sera le passif être aimé ; enfin la voix moyenne erotari signifiera être pour l'amour, être propre à l'amour, ou comme nous disons faire aimer, et cette voix devra à l'ordinaire être suivie des deux cas en o et en a, qui répondent à nos particules par et à, en sorte que pour exprimer qu'un certain passage me fait aimer un livre, on devra dire ce passage fait aimer à ce livre par moi. [...] Cher André-Marie ! À vous lire, très franchement, et ne le prenez pas mal... les lettres, c'était pas votre truc ; vous avez été, me semble-t-il, plus convaincant avec vos solénoïdes et les électroaimants. Sans rancune ! Anagramme Éternité est l'anagramme d'étreinte. Henri de Montherlant. Du grec ana qui signifie renversement » et grammei, lettre », l'anagramme est un mot obtenu par permutation des lettres d'un autre mot de même longueur. Exemples pâtissier » est l'anagramme de tapissier, signe » de singe, et Marie », mais oui, est celle du verbe aimer. La plus célèbre est celle qu'André Breton imagina pour stigmatiser l'amour que Salvador Dali portait à l'argent Avida Dollars ». Ce jeu de l'esprit traversa allègrement les siècles François Rabelais s'était transformé en Alcofribas Nasier », Pierre de Ronsard en Rose de Pindare », et plus près de nous Marguerite de Crayencour » en Marguerite Yourcenar. L'anagramme politique a connu aussi ses heures de gloire depuis le célèbre Vincent Auriol Voilà un crétin », et le plus récent Laurent Fabius Naturel abusif ». La presse collaborationniste essaya de compromettre Charles Trenet en prétendant que son nom d'artiste était l'anagramme de Netter », nom juif. Il dut prouver par sa généalogie qu'en fait il n'en était rien. Un bon cadeau pour un ami dyslexique qui adore le rock'n roll tu lui donnes un jeans Levis et tu lui dis que c'est écrit Elvis » Pierre Légaré, Mots de tête, Stanké. En 2011, Étienne Klein et Jacques Perry-Salkow ont rencontré un succès bien mérité avec leurs Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde Flammarion, dans lequel, avec un talent renversant, c'est le cas de le dire, ils jonglent avec les lettres pour obtenir des résultats étonnants. Ainsi, La madeleine de Proust devient un don réel au temps idéal ; la quadrature du cercle, le calcul rare du détraqué ; Le Canard enchaîné, la canne de l'anarchie ; Louis de Funès, la liesse d'un fou ; L'Origine du monde, la religion du démon et Albert Einstein... rien n'est établi » ! Pour eux le pirate ne se conçoit pas sans patrie, le sportif sans profits et l'étreinte sans éternité ». Anecdotes Un anecdoctomane sans esprit n'est qu'un sot, puéril et fatigant narrateur. Louis-Sébastien Mercier. Bussy-Rabutin Historiettes, Tallemant des Réaux Histoire amoureuse des Gaules, Brantôme Vie des dames galantes, Retz, Chamfort... Notre pays ne manque pas d'auteurs d'anecdotes et autres historiettes. Parmi les meilleures se trouvent celles qui mettent en scène des dialogues et reparties piquantes, soit la langue telle que l'on peut en jouer. Mais les dictionnaires présentent l 'anecdote de manière contradictoire. Ainsi lit- on, dans le Petit Robert 1. Particularité historique, petit fait curieux dont le récit peut éclairer le dessous des choses, la psychologie des hommes. 2. Détail ou aspect secondaire, sans généralisation ou sans portée. À chacun le loisir d'en penser ce qu'il en veut, et surtout d'avoir le plaisir de savourer ces légers éclairs de langage. Duclos avait l'habitude de prononcer sans cesse, en pleine Académie, des f..., des b... ; l'abbé Du Resnel, qui, à cause de sa longue figure, était appelé un grand serpent sans venin, lui dit Monsieur, sachez qu'on ne doit prononcer dans l'Académie que des mots qui se trouvent dans le dictionnaire. » Un jeune homme aimait la fureur des courtisanes et les chevaux. Un jour, pressé de s'expliquer sur ce qu'il aimait le mieux J'aime mieux les filles, mais j'estime plus les chevaux. » Un perruquier avait fait peindre, sur le devant de sa boutique, une longue et pompeuse inscription. Mais une réflexion lui était venue, et il avait mis au bas, en forme de post-scriptum Si vous ne savez pas lire, adressez-vous à l'écrivain public qui est en face. » Mme Denis, la nièce de Voltaire, prenant une leçon d'anglais, disait à son maître, fatiguée qu'elle était de la prononciation de cette rude langue Vous écrivez bread ; pourquoi prononcer bred ? Ne serait-il pas plus simple de dire tout bonnement du pain ? » Mon Dieu ! me disait ce matin un étranger. Que votre langue française est donc malaisée à parler et à écrire correctement ! Vous avez surtout des verbes irréguliers qui sont un casse-tête effroyable. Une de mes amies m'a conjugué hier le présent de l'indicatif du verbe aller, et voici ce que j'ai écrit sous sa dictée ; je vous prie de me dire si cela est commode à se fourrer dans le cerveau. » Et mon noble étranger conjugua comme il suit Je m'en vas Tu t'en viens Il ou elle part Nous filons Vous vous esbignez Ils ou elles se cassent. Un jour d'audience, plusieurs conseillers dormaient, et d'autres parlaient entre eux un peu trop haut. M. de Harlay, premier président, dit Si ces messieurs qui causent ne faisaient pas plus de bruit que ces messieurs qui dorment, cela accommoderait fort ces messieurs qui écoutent. » M. le prince de Charolais, ayant surpris M. de Brissac chez sa maîtresse, lui dit Sortez ! » M. de Brissac lui répondit Monseigneur, vos ancêtres auraient dit Sortons ! » On demandait à Mme de Rochefort si elle avait envie de connaître l'avenir Non, dit-elle, il ressemble trop au passé. » Une dame de Grenoble, causant un jour avec l'évêque de cette ville, ne put s'empêcher de lâcher un petit vent, et, pour faire croire que le bruit venait de son fauteuil, elle se mit à le remuer un peu. Mais l'évêque, qui avait compris le change, lui dit en riant Madame ! Apparemment, vous cherchez la rime ! » Le marquis de Caraccioli répondit à Louis XVI, qui le plaisantait sur ce qu'à son âge il faisait encore l'amour Sire, on vous a trompé ; je ne fais point l'amour, je l'achète tout fait. » Un homme, entendant chanter une dame dont l'haleine était forte, dit à son voisin J'aime assez la voix et les paroles, mais l 'air n'en est pas bon. » Le lendemain de la première d'Oreste, la maréchale de Luxembourg envoyait à Voltaire quatre pages de réflexions critiques sur sa pièce. Voltaire ne répondit qu'une ligne Madame la maréchale, Horeste ne s'écrit pas avec un h. » Mme Beauzée couchait avec un maître de langue allemande. M. Beauzée la surprit un jour, au retour de l'Académie. L'Allemand dit à la femme Quand je vous disais qu'il était temps que je m'en aille ! — Dites que je m'en allasse, monsieur », fit Beauzée en se retirant. Mme de Sévigné s'informant de ma santé, je lui dis "Madame, je suis enrhumé. — Je la suis aussi, me dit-elle. — Il me semble, madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire je le suis. — Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais, pour moi, je croirais avoir de la barbe si je disais autrement." » Henri IV ayant dit un cuiller d'argent, tous ses courtisans se regardèrent. Il consulta Malherbe, qui se trouvait là, et lui demanda si cuiller était masculin Ce mot, répondit Malherbe, sera toujours féminin, jusqu'à ce que Votre Majesté ait fait un édit qui ordonne sous peine de la vie qu'il devienne masculin. » Un jour Charles Nodier, lisant à l'Académie ses remarques sur la langue française, parlait de la règle qui veut que le t entre deux / ait d'ordinaire, et sauf quelques exceptions, le son de l's. Vous vous trompez, Nodier, cria Emmanuel Dupaty ; la règle est sans exception. — Mon cher confrère, répliqua aussitôt Nodier, prenez pi-c-ié de mon ignorance, et faites-moi l'ami-c-ié de me répéter seulement la moi-c-ié de ce que vous venez de dire. » On demandait à M. de Fontenelle, mourant Comment cela va-t-il ? — Cela ne va pas, dit-il ; cela s'en va. » Une dame de la Cour, aussi connue par le dérèglement de ses moeurs que par son défaut d'éducation, mandait à sa tailieuse Envoyez-moi ma robe de catin, c'est la seule qui me convienne. » Elle avait écrit catin pour satin. Un soir que l'abbé Porquet, aumônier de Louis XV, faisait lecture de la Bible au royal auditeur, il lui arriva de s'endormir à moitié, et de lire ainsi un passage Dieu apparut à Jacob en singe. — Comment ! s'écria le roi. C'est en songe que vous voulez dire ? — Eh ! sire, répliqua vivement l'abbé, tout n'est-il pas possible à la puissance de Dieu ? » Voltaire disait à un grand questionneur, au moment où il entrait chez lui Monsieur, j'ai l'honneur de vous prévenir que je ne sais pas un mot de tout ce que vous allez me demander. » Le père Bouhours fut attaqué cTurie maladie violente, et qui l'emporta en peu de jours. Se trouvant à la toute extrémité, il dit aux assistants Je m'en vais ou je m'en vas ; l'un et l'autre se disent. » Robert Goddard, l'auteur du Secret d'Edwin Strofford, disait un jour à une femme de goût, dont il ne se méfiait pas assez Que pensez-vous de mon livre ? — Je fais comme vous, Monsieur, je ne pense pas. » Apollinaire, Guillaume 1880-1918 Les otelles nous ensanglantent. À n'en pas douter, Guillaume Apollinaire était un être aimable. Sur le front de 14-18, ses compagnons d'armes le surnommaient Kostro l'exquis ou Cointreau- Whisky pour Kostrowicki, son nom originel, selon qu'ils étaient picards ou flamands ! Paul Léautaud Il était un homme charmant, un camarade exquis, un esprit délicieux, un vrai poète, sensible et subtil, un écrivain plein d'évocation, d'étrangeté et de merveilleux, un lettré dans le sens le plus curieux et le plus séduisant du mot. La malice, la finesse, l'ironie accomplies ! » Et André Breton en 1952 C'était un très grand personnage, en tout cas comme je n'en ai plus vu depuis. Le lyrisme en personne. » Apollinaire a toujours usé des mots avec gourmandise. Sa palette était très riche, et il passait, dans un même poème, des mots les plus simples aux plus insolites. Mots anciens, termes rares, néologismes... L'effet ainsi produit nous incite à ralentir notre lecture, voire à s'arrêter, pour savourer le chatoiement musical de ces vocables inattendus. Ainsi de ces nixes nicettes dans le poème Automne malade », du recueil Alcools, qui ne sont pas des mots inventés. Nixe désignait une nymphe des eaux, dans la mythologie germanique, et nicet signifiait gracieux, simple, sans malice ». Ce sont encore De Chine sont venus les pihis longs et souples Les Cosaques zaporogues L'oiseau-lyre et le paon ocellé Mort d'immortels argyraspides Lune mellifluente aux lèvres des déments La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Son destin sanglant gibeline Un chibriape Les dendrophores livides Les ventres pourront seuls nier l'aséité Ta bouche rouge ou spinelle Des poétesses nues des fées des fornarines Ma migraine pieuse a coiffé sa cucuphe Les gibbosités postérieures Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Sa couleur turquine L'arlequin trismégiste L'anneau gemmai Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Les gueux mal blessés par Té purge Seigneur faites Seigneur qu'un jour je m'énamoure Les membres des intercis flambent auprès de moi Les autans langoureux dehors feignaient l'automne Près d'un buisson d'épine-vinette La barque aux barcarols chantant La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Les déités des eaux vives On agitera les loulabim Des femmes demandaient l'amour et la dulie Sous les roses qui feuillolent Les otelles nous ensanglantent J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacme En vain j'ai supplié tous les saints aémères La mourre jeu du nombre illusoire des doigts Comme cette femme mennonite Ils coupèrent du bois de viorne Et la girande tourne ô belle ô belle nuit Vêtus de hoquetons et jouant de Tharmonica C'est la maclotte qui sautille Sur le quai d'où je voyais Tonde couler et dormir les bélandres Car j'ai trop espéré en vain l'hématidrose Les satyres et les pyraustes Les épygans les feux follets L'anémone et l'ancolie Mon île au loin ma Désirade L'auteur d 'Alcools recueil de 50 poèmes et Calligrammes 84 poèmes est mort pour la France le 9 novembre 1918, deux jours avant la fin de la guerre. Il n'avait que 38 ans... Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Fa ut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure [...] Le pont Mirabeau » Alcools. Aptonymes Pierre Allemand, mort pour la France 1915. Lorsqu'un docteur Bargeot se retrouve psychiatre ou un docteur Moutard pédiatre, on dit que ces braves gens ont des patronymes aptonymiques », en latin qui convient exactement. Les noms de famille viennent de noms communs substantifs ou adjectifs ; une origine encore lisible pour nombre d'entre eux Berger, Legrand, Leforestier, Dupont, Leroux, Barbier, Lebreton, Métayer, Tisserand, Vacher... Mais on s'amuse surtout des noms qui correspondent à la profession des individus qui les portent. Parfois, ce n'est pas triste... Benjamin Millepied, directeur de la danse à l'Opéra de Paris Vincent Pinard, viticulteur à Sancerre, et son homonyme, Franck Pinard, caviste Paul Amen, prêtre Laura Dufeu, sapeur-pompier ou sapeure-pompière ? Docteurs Marrache et Odent, dentistes Thomas Freslon, apiculteur Mme Barbier, coiffeuse Marc Dufumier, ingénieur agronome Albert Ducourant, employé à l'EDF M. Soulié, marchand de chaussures M. Gras, charcutier, et Christophe Le Gras, chef de cuisine sur le paquebot MSC Preziosa M. Bondroit, huissier Bruno Le Maire, homme politique M. Coquille, ouvrier typographe Mme Cornette ; une météorite était tombée sur sa maison en août 2011 ! Éric Aumônier, évêque M. Degazon, jardinier Benoît-Christophe Masse, kinésithérapeute Yvon Maisonneuve, architecte Mme Abeille, députée écologiste Mariel Mallus, agent d'assurances Bourré et fils, négociant en vins Martin Page, écrivain M. Desbois, menuisier M. Brûlon, chauffagiste M. Brûlé, vendeur d'extincteurs Et, bien sûr, Charles de Gaulle ! Enfin, plus triste, mais ô combien réaliste, cette inscription, lisible au cimetière du Montparnasse, non loin de la tombe de Samuel Beckett M. Néant-Dully ». Il existe aussi des contre-aptonymes ». Ainsi, Charles Pain n'est pas boulanger, mais viticulteur d'un excellent chinon ; ça ne coûte rien de le dire. Ce sont aussi les docteurs Le Fol et Foux, psychiatres Pierre Allemand, mort pour la France en 1915 MM. Le Borgne et Louchez, opticiens Laurent Piquemal, infirmier Aurélie Crétin, psychologue Émile Goudeau 1849-1906, goût d'eau », par homophonie, est le fondateur du Cercle des Hydropathes qui littéralement souffrent en buvant de l'eau..., en 1878. Parmi ses membres, on comptait des personnalités comme Alphonse Allais, Charles Cros, Léon Bloy, Jules Laforgue, Jean Richepin, François Coppée... Il faudrait encore évoquer le côtes-du-rhône de l'appellation Vinsobres nom d'une commune de la Drôme, qui titre tout de même à 13 degrés, voire à 14 ! Enfin, il y a des noms plus difficiles à porter. L'actrice Anne Brochet a réalisé en 2013 un documentaire, Brochet comme le poisson, où elle rencontrait des personnes ayant des noms d'animaux difficiles à porter, ou non. Dans un entretien, elle confiait que, lorsqu'elle a commencé à tourner, il était malheureusement trop tard pour elle pour prendre un pseudonyme, comme elle le souhaitait. Elle eut donc des échanges avec M. Pigeon, M. Lerenard, Mme Lerat... Mais un certain M. Cochon ne voulut pas être interviewé ! Un Atlas des noms de famille paru en 1999 nous rappelait que, depuis 1891, étaient nés 3 707 Batard, plus de 800 Conard, 678 Catin, 483 Putain, 377 Salope et 100 Grenouille - certains d'entre eux l'ayant fait changer en Delétang ! Sans oublier les Cocu, Cornichon, Couillard, Crétin, Hanus, Jolicon, Lecul, Merdier, Pet, Pine, Queuelevée, Saucisse... Aragon, Louis 1897-1982 Il n'y a pas d'amour heureux. André Breton a qualifié Aragon d' écrivain étincelant », en dépit de leur rupture idéologique, quand Aragon est resté dans le camp communiste après un voyage en URSS en 1930. Nul n'aura été plus habile détecteur de l'insolite sous toutes ses formes », a-t-il ajouté. Aragon a commencé sa carrière poétique par le mouvement surréaliste dont Breton était le pape vigilant, prêt à excommunier tout manquement à la doctrine, la doxa, diraient les jargonneux d'aujourd'hui... Pour Aragon, le surréalisme était une aventure, bien plus qu'une doctrine. Il cherchait, suivant en cela les idées de Baudelaire et de Rimbaud, à trouver l'inouï en multipliant les pouvoirs d'expression du langage, comme les peintres cubistes ou abstraits cherchaient avec leurs pinceaux des rapports neufs avec la réalité. Il écrit, en 1919, le monde à bas, je le bâtis plus beau ». Pour cela, Aragon donne la primauté à l'image, tantôt onirique ou réaliste, consciente ou inconsciente, même s'il rejette la psychanalyse, à l'instar des communistes russes des années 1930, mais à la grande fureur de Breton qui l'exclut alors du mouvement surréaliste. Pourtant Aragon avait écrit dans les années 1920 Feu de joie et Le Mouvement perpétuel qui ont marqué l'histoire du surréalisme, avec leur absence de ponctuation à l'image d'Apollinaire, pour privilégier la respiration interne du poème, et surtout l'appel au rêve et à l'imagination Vous que le printemps opéra Miracles ponctuez ma stance Mon esprit épris du départ dans un rayon soudain se perd perpétué par la cadence La Seine au soleil d'avril danse comme Cécile au premier bal ou plutôt roule des pépites vers les ponts de pierre ou les cribles Charme sûr La ville est le val [...] © Éditions Gallimard On ne peut qu'être saisi par l'harmonie auditive extraordinaire de ces extraits, et on comprend pourquoi tant de musiciens comme Léo Ferré, Jean Ferrât ou Georges Brassens ont voulu mettre ces textes en musique. Aragon a une sorte de pouvoir magique pour révéler le merveilleux dans le réel. Ainsi, dans Le Paysan de Paris, publié en 1926, il rêve sur la blondeur des cheveux de femmes dans la galerie marchande du passage de l'Opéra qui abrite des salons de coiffure Je me suis souvent arrêté au seuil de ces boutiques interdites aux hommes et j'ai vu se dérouler les cheveux dans leurs grottes. Serpents, serpents, vous me fascinerez toujours. Dans le passage de l'Opéra, je contemplais ainsi les anneaux lents et pur d'un python de blondeur... [Aragon se moque de la pauvreté du cliché blond comme les blés ».] Les blés, malheureux, mais n'avez-vous jamais regardé les fougères ? J'ai mordu tout un an des cheveux de fougère. J'ai connu des cheveux de résine, des cheveux de topaze, des cheveux d'hystérie. Blond comme l'hystérie, blond comme le ciel, blond comme la fatigue, blond comme le baiser. © Éditions Gallimard Quelles que soient ses périodes d'écriture, on assiste à un feu d'artifice où les mots font l'amour », comme disaient les surréalistes à propos de l'écriture automatique. Cependant, exception faite du Paysan de Paris et d'Aurélien, je préfère aux romans parfois trop dogmatiques et simplistes à mon goût avec la supériorité de l'homme du peuple sur celui du monde des affaires ses poèmes, en particulier ceux qu'il a écrits pendant l'Occupation lors de la Seconde Guerre mondiale. Aragon n'a pas été qu'un combattant courageux au front, comme en témoignent la croix de guerre obtenue en 1918 et la médaille militaire en 1940. C'est aussi un militant de la liberté, qui a su lutter contre l'occupant nazi grâce à ses poèmes chantant la Résistance. Ainsi, dans Les amants séparés », Aragon relie le sort des amants à celui des hommes et des femmes qui refusent de plier devant le joug imposé par Pétain Comme des sourds-muets parlant dans une gare Leur langage tragique au cœur noir du vacarme Les amants séparés font des gestes hagards Dans le silence blanc de l'hiver et des armes... © Éditions Gallimard Aragon était alors directeur du journal communiste Ce soir. Durant la drôle de guerre, les journalistes avaient été dispersés par leur mobilisation et s'étaient retrouvés réduits au silence, au milieu d'inconnus. Des amis politiques avaient été emprisonnés à la Santé et même torturés pour certains. Mais Aragon refuse de céder au défaitisme ambiant, et la dernière strophe du Temps des mots croisés » sonne comme un coup de clairon Je veille II se fait tard La nuit du moyen âge Couvre d'un manteau noir cet univers brisé Peut-être pas pour nous mais cessera l'orage Un jour et reviendra le temps des mots croisés © Éditions Gallimard Les mots croisés » allaient un an plus tard devenir le mot Croisés. Et le poème Les Croisés » se termine par ces deux vers Et blessés à mourir surent qu'Eléonore C'était ton nom Liberté Liberté chérie. © Éditions Gallimard Aragon revient aux formes traditionnelles de la poésie pour être compris par tous ceux qui étaient rebutés par les recherches complexes des nouveaux artistes. Sur le plan du fond, il fait appel aux légendes, aux mythes et à l'histoire de la France. Les êtres magiques de la forêt de Brocéliande voisinent avec Jeanne d'Arc, pour que les Français y trouvent un sentiment d'union et de fierté devant l'envahisseur. Le Crève-Cœur et une partie des Yeux d'Eisa sont le chant douloureux et tragique de l'Occupation J'écris dans un pays dévasté par la peste, Qui semble un cauchemar attardé de Goya... J'écris dans ce pays que le sang défigure [...] © Éditions Gallimard Devenu François la Colère, pseudonyme qu'il prend pendant l'Occupation, Aragon a des accents satiriques qui évoquent d'Aubigné ou Hugo C'est Vichy-Grande-Grille. On vend à la criée La chair de la Patrie au choix crue ou grillée ! © Éditions Gallimard On récitait les poèmes de la Résistance dans les prisons, dans les maquis, leurs copies tombaient des avions alliés... Jamais la poésie n'avait été aussi lue... Et je trouve dommage que, en cette période où on célèbre la Libération, on ne pense qu'aux armes qui tuent et pas assez à celles qui libèrent l'esprit de l'oppression. Je n'oublie pas le peintre de l'amour, et surtout celui d'Eisa Triolet qui sut le sauver du désespoir en 1929 Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce à ma démence Et qui m'a montré la contrée Que la bonté seule ensemence... Je suis né vraiment de ta lèvre Ma vie est à partir de toi. Et ma vie au bout du compte Se résume au nom d'Eisa. © Éditions Gallimard On ne peut toutefois restreindre la poésie d'Aragon à la résistance contre l'occupation allemande. La guerre d'Algérie et le colonialisme qu'elle révèle troublent profondément Aragon. Le Fou d'Eisa en 1963 est un hommage à la littérature et à la civilisation arabes. Et si on n'aime pas le fait qu'il soit resté communiste, il faut se souvenir qu'il a pris ouvertement la défense de la Tchécoslovaquie, victime en 1968 d'une nouvelle normalisation », après avoir été déjà profondément troublé et ému par la révélation des crimes de Staline et par la première normalisation » effectuée par les chars russes en Hongrie en 1956. Il a toujours défendu les artistes opprimés par les régimes totalitaires, et c'est lui qui a permis la publication de La Plaisanterie de Milan Kundera et sa naturalisation française en nous permettant de gagner un écrivain de premier plan. Auteur ou écrivain ? L'écriture n'est pas un commerce mais une vocation comme la prêtrise. Robin Cook. Un auteur du plus haut talent, connaît-il le plus grand succès, n'est pas nécessairement un écrivain. » L'auteur [sic de cette jolie phrase, Paul Valéry, s'il consultait le hit-parade des best-sellers pulsés par un bon marketing people » se retournerait dans la tombe de son cimetière marin. Force est de constater qu'il serait à la fois consterné par mon sabir médiatique et par les chiffres de ventes faramineux des non-livres commis par des non-écrivains. La question fondamentale et prémonitoire que posait implicitement Valéry est sans doute la suivante un auteur à succès du plus haut talent footballistique, cinématographique ou culinaire est-il nécessairement un écrivain ? Pour Alain Duchesne et Thierry Leguay qui se sont livrés à une enquête très intéressante sur les coulisses de la création littéraire [Le Jeu de l'oie de l'écrivain, Laffont, 1997 L'écrivain pourrait être défini sans détour comme celui qui a toujours voulu écrire. En témoigne chez la plupart l'obstination avec laquelle ils ont - souvent très jeunes - fait des projets avec le plus grand sérieux. Leur détermination impressionne ! » Borges Je commençai à écrire à l'âge de six ou sept ans. J'essayais d'imiter certains classiques, Miguel de Cervantes par exemple. » Flaubert âgé de 9 ans Je prends des notes sur Don Quichotte et M. Mignot dit qu'ils [s/c] sont très bien. » Jouhandeau J'ai désiré être écrivain à peu près quand j'ai ouvert les yeux. Non, dès que j'ai su tenir un porte-plume. Mettons vers l'âge de douze ou treize ans. » En fait, ce désir impérieux d'écrire s'appuie sur une identification très forte à des maîtres. Victor Hugo voulait être Chateaubriand ou rien », tandis que Mallarmé, adolescent, exprimait son secret désir de remplacer Béranger », poète célébrissime à l'époque. Stendhal À dix ans, je fis en grande cachette une comédie en prose, ou plutôt un premier acte. Dès ce moment ma vocation fut décidée vivre à Paris en faisant des comédies comme Molière. » Ce n'est donc pas l'œuvre seulement qui est admirée, mais une manière de vivre. Adolescent, Roland Barthes imaginait Gide se promenant dans le monde, un carnet dans la poche et une phrase dans la tête, circulant de la Russie au Congo, lisant ses classiques et écrivant au wagon-restaurant en attendant les plats ». Contrairement à bien des métiers, on ne s'engage pas dans l'écriture par hasard. D'un mot, il faut avoir la vocation, c'est-à-dire au sens littéral se sentir appelé » par un dieu qui a nom Littérature. Calaferte Un jour, je ne sais pas pourquoi, ni comment, je me suis dit "Tu vas être écrivain." J'avais douze ou treize ans. Je ne connaissais rien. Je n'avais rien lu. Je travaillais en usine. Dès cette époque, j'ai conçu le fait d'écrire comme une grâce, quelque chose de sacré. » Un manuel significatif, Les Fondements du style, sans cesse réédité depuis 1919, est outre-Atlantique le guide incontournable de ces activités. Parmi ses 21 chapitres, on découvre des conseils surprenants 4. Utilisez des substantifs et des verbes - 8. Évitez l'usage des qualificatifs - 9. Ne vous donnez pas de manières désinvoltes - 11. N'expliquez pas trop - 14. Évitez les mots fantaisistes - 16. Soyez clairs - 17. N'émettez pas d'opinions. » On imagine combien d'écrivains n'auraient rien publié s'ils avaient suivi ces recommandations ! À l'évidence, le danger de cet enseignement est le conformisme. Apparus en France dans les années 1980, les ateliers d'écriture sont de plus en plus en vogue et ils œuvrent dans des directions différentes réécriture, procédés oulipiens, expression de soi, études des techniques littéraires, thérapie de groupe ou individuelle dans les prisons, lutte contre l'échec scolaire, etc. Les écrivains qui animent ces ateliers leur sont, bien entendu, favorables. Comme Régine Detambel J'aime essayer de montrer que l'écriture ne vient pas comme ça, par pure inspiration. Trop de personnes croient qu'on devient écrivain du jour au lendemain. On ne naît pas écrivain, la langue, ça se travaille. L'atelier permet aussi d'être lu, de se sentir reconnu. » D'autres sont plutôt sceptiques, tel Michel Tournier L'écriture pour moi s'apprend en lisant, en écrivant. En traduisant aussi. L'idée d'apprendre l'inspiration me paraît risible. » Ou carrément hostiles, comme Sollers C'est une illusion complète de penser qu'on peut apprendre à écrire, de faire semblant de croire que tout le monde peut être écrivain. L'écriture ne s'apprend pas, elle est solitaire, sexuelle, personnelle. » Ateliers d'écriture ou non, l'apprentissage est cependant indispensable. Pour l'essentiel il s'accomplira sur le tas, par la rédaction de livres qui seront souvent des ébauches de l'œuvre à venir. Être empli de désir ne suffit pas il faut non seulement être déterminé, mais un jour se lancer. Témoignage capital ici de Balzac. Agacé, il répond à son amie Zulma Carraud qui lui a envoyé le manuscrit d'un jeune homme qui s'est jeté dans la littérature » Avant que votre protégé puisse gagner de l'argent, il a pour dix ans de travaux. Il ignore la langue, la composition, tout. Il y a quelque chose de triste à voir des gens qui ne savent pas faire de phrase, qui n'ont pas une idée, se jeter à corps perdu dans la littérature, en prenant un désir pour une vocation. » Un autre jour, il précise J'ai été long à apprendre, sept ans à savoir ce que c'était la langue française. J'ai écrit sept romans comme simple étude un pour apprendre le dialogue ; un pour apprendre la description ; un pour grouper mes personnages ; un pour la composition, etc. » Et l'inspiration, d'où vient-elle ? Question délicate qui suscite les réponses les plus diverses. Pour les uns, elle s'apparenterait à une sorte de grâce mystérieuse, une voix qui visiterait l'écrivain hors de sa volonté. Max Jacob Si je crois à l'inspiration ? Mais bien sûr ! Je crois même que tous les hommes sont inspirés. Ça s'appelle l'intuition. » Naguib Mahfouz L'inspiration vient quand elle veut ! Elle est libre, elle suit son chemin. On ne peut pas lui demander d'arriver à seize heures ! » Pour d'autres, il s'agit au moins de savoir prendre son temps, voire de s'ennuyer. Chandler Moi, j'attends l'inspiration. J'affirme que tout ce qu'on écrit vient du plexus solaire. C'est du boulot, parce que ça vous laisse fatigué, voire épuisé. » Il arrive aussi que des circonstances précises provoquent l'écriture. Ce peut être un trouble Chardonne Chez moi, vraiment, au départ, il n'y a presque rien, une émotion à peine distincte, un léger tressaillement dans la chair pareil au frémissement de la baguette du sourcier. » Ou une sensation visuelle, comme chez Garcia Marquez Le point de départ d'un livre, c'est d'abord une image. La Sieste du mardi est née de la vision d'une femme et d'une fillette vêtues de noir, avec un parapluie noir, qui marchaient sous un soleil brûlant dans le désert. Des feuilles dans la bourrasque, c'est un vieil homme qui emmène son petit-fils à un enterrement. Le point de départ de Pas de lettre pour le colonel, c'est l'image d'un homme qui attendait une barque, près du marché de Barranquilla, avec une espèce de détresse silencieuse. » Le fait divers est pour beaucoup une source d'inspiration féconde il permet d'ancrer le récit dans la réalité présente, en exprimant une version moderne du tragique. Stendhal, Flaubert, Camus ne se sont pas privés d'utiliser les journaux. Pour Baudelaire, fasciné par Edgar Poe, l'inspiration n'est que la récompense de l'exercice quotidien ». Il n'empêche qu'elle est mystérieuse. Quant à Nabokov, à qui l'on demandait un jour comment il trouvait l'inspiration, il répondit avec un superbe Elle me trouve ! » Entrer en écriture exige une nouvelle façon de voir les choses. Il faut abandonner la facilité du talent supposé et les images plaisantes du succès pour organiser vraiment son travail. L'écrivain doit donc s'astreindre à une discipline et suivre des règles qui concernent non seulement le texte à écrire mais d'abord le rythme des jours dédiés à l'écriture. Paul Auster Quand je travaille, je n'ai pas vraiment de rituel précis. Seulement une sorte de routine assez régulière le matin, je conduis ma fille Sophie à l'école, puis je m'enferme dans un studio qui se trouve tout près de notre appartement. J'ai besoin de ce changement de décor pour travailler. » Philippe Djian Une page par jour, tous les jours pendant neuf mois. » John Irving Au début, je m'impose une règle qui est artificielle, comme de travailler tous les matins à huit heures. Ensuite, le livre est lancé, la discipline épouse le cours de la composition. » Frédéric Dard Je m'impose d'écrire trois pages tous les matins, deux quand vraiment ça coince. Si par hasard je ne les fais pas, parce que je suis en voyage ou quelque chose comme ça, je culpabilise, je me sens mal. C'est comme une drogue. » Voilà bien une attitude d'écrivain se sentir en faute quand on n'écrit pas ! Un jour, Baudelaire se fixe un programme draconien Travailler de six heures du matin à midi, à jeun. Travailler en aveugle, sans but, comme un fou. Nous verrons le résultat. » Bien entendu, cela restera lettre morte ! Et les premières phrases ? Quelle corvée ! », confiait Léautaud. L'embarras se comprend facilement... La première phrase est une prise de contact avec le lecteur, une rencontre décisive et intimidante. Elle dessine une frontière, seuil émouvant. En deçà tout est possible, au-delà il faudra se surveiller... De telles hésitations sont clairement lisibles chez Proust. La Bibliothèque nationale conserve seize débuts de La Recherche, parmi lesquels Il faisait nuit noire dans ma chambre. - Autrefois j'avais connu le bonheur de rester éveillé... - Il faisait nuit dans ma chambre. C'était l'heure. » Mais chacun connaît l'heureuse élue Longtemps je me suis couché de bonne heure. » Le mieux, semble-t-il, est de se montrer patient. Claude Ollier Tous mes incipits sont venus au terme d'une longue attente, et toujours un peu par surprise, au réveil par exemple, ou dans le cours d'une promenade, en pensant à autre chose. » Ou d'adopter les dispositions qui conviennent. André Breton Après vous être établi dans un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même, placez-vous dans l'état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas vous retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule. » Quoi qu'il en soit, cette première phrase constitue parfois un vrai moment de bonheur, à partir duquel va naître le livre. Un jour, Tolstoï découvre le début d'un fragment inachevé de Pouchkine Les invités s'étaient réunis à la datcha. » Malgré moi, précise-t-il, sans même savoir ce qui en résulterait, j'ai imaginé des personnages, des événements, j'ai poussé plus loin puis, bien entendu, j'ai modifié, et soudain tout s'est enchaîné si heureusement qu'il en est sorti un roman. La phrase devint "Les invités après l'opéra s'étaient réunis à la datcha." » C'est le début d 'Anna Karénine... Pierre Vavasseur, dans un petit Iivre. Le Guide des 100 premières phrases incontournables Librio, 2009, s'est intéressé justement à ces premières phrases qu'il juge déterminantes et libératrices ». Pour lui, la première phrase est une clef qui ouvre la serrure ». Parmi ses jolies trouvailles Enfin me voici rentré après quinze jours d'absence. » Dostoïevski, Le Joueur. Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. » Mau passant, Bel-Ami. Je parie, dit Mme Lepic, qu'Honorine a encore oublié de fermer les poules. » Jules Renard, Poil de carotte. Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189... » Alain-Fournier, Le Grand Me au! nés. Doukipudonktan, se demanda Gabriel excédé. » Raymond Queneau, Zazie dans le métro. Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi de deux chevaux que le valet d'écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d'une victoire. » Albert Cohen, Belle du Seigneur. Un jour, j'étais âgée déjà, dans le hall d'un lieu public, un homme est venu vers moi. » Marguerite Duras, L'Amant. Le 26 juin, un peu avant midi, il m'est arrivé quelque chose que je n'oublierai plus je suis mort. » Jean d'Ormesson, La Douane de mer. Je suis cinquième sur la liste de L'Express, aujourd'hui 16 septembre. » Christine Angot, Quitter la ville. Mais comment définir exactement ce que l'on entend par écriture » ? Dans Le Degré zéro de l'écriture 1953, Roland Barthes résume assez bien l'importance de l'écriture, qui consiste à créer et à fixer un discours, mais en considérant que chaque écrivain décide de situer lui-même la nature de son langage. Les mots concernant l'écriture sont passés en effet de l'idée de produire matériellement de l'écrit » à celle de créer au moyen du langage ». C'est encore Barthes qui, le premier, a associé l'acte purement graphique d'écrire à celui de la création littéraire. Il faut le souligner pour montrer comment les coups de cœur que l'on peut ressentir pour la langue sont véhiculés par la force d'une écriture. Quand il écrivait, il se sentait une sorte de particularité, d'exclusivité ; quelque chose montait en lui, une île pleine de couleurs, de merveilleux soleils, du fond de l'océan qui l'entourait, jour après jour de sa froideur, de son insensibilité, de sa grisaille. Quand soudain, au milieu des jeux ou des leçons, il pensait à la lettre qu'il allait écrire le soir venu, c'était pour lui comme s'il portait au bout d'une chaîne invisible une clef d'or grâce à laquelle, quand personne ne ferait attention, il pourrait ouvrir le portail de fabuleux jardins » Robert Musil, Les Désarrois de l'élève Tôrless. Pour qu'il y ait acte d'écriture, il faut qu'il y ait un écrivain, c'est-à-dire quelqu'un qui ne se contente pas d'écrire et de publier, car un auteur, même à succès, n'est pas forcément un écrivain. Je suis auteur d'abord par mon libre projet d'écrire, mais je deviens écrivain lorsque le public intervient et qu'il me cerne ; et je peux construire une oeuvre à partir de ses exigences et de ses refus », dixit Sartre, qui éclaire bien ainsi la différence entre le scripteur et celui qui écrit une oeuvre littéraire digne de ce nom pour exalter les vertus et les richesses de notre langue. Dans son Journal, Jules Renard avait pris des notes sur le métier d'écrire ». Pour lui, le métier d'un écrivain, c'est apprendre à écrire ; l'écriture est cette sensation poignante qui fait qu'on touche à une phrase comme à une arme à feu [...] Écrire, c'est presque toujours mentir [...] les mots ne doivent être que le vêtement sur mesure rigoureux de la pensée [...] Dès qu'une vérité dépasse cinq lignes, c'est du roman [...] Le mot ne vit que par la place qu'on lui donne [...] Il faut vivre pour écrire et non pas écrire pour lire. » Autre jolie formule, celle de Perec J'écris j'habite ma feuille de papier. » Enfin, bien que ce soit plus anecdotique, il est amusant de découvrir comment les écrivains se mettent en condition Lamartine n'écrivait, à part sa correspondance, qu'au crayon. Jules Verne écrivait au crayon et corrigeait en repassant à l'encre tout ce qu'il avait écrit au crayon. Eugène Sue écrivait dans un fauteuil très large et profond sur une planchette. Byron ne pouvait écrire s'il ne sentait pas l'odeur des truffes. Voltaire travaillait sur plusieurs manuscrits à la fois, disposés sur des pupitres. Bourdaloue avant d'écrire un sermon jouait un air sur son violon. Corneille composait le plus souvent dans l'obscurité. Mark Twain, comme Descartes, se couchait le plus souvent pour travailler. Victor Hugo aimait travailler en marchant tout comme Jean-Jacques Rousseau. Chateaubriand marchait pieds nus sur le carrelage en dictant tandis que Bossuet s'enveloppait la tête dans des linges chauds. Madame de Staël aimait rouler sous ses doigts une boulette de mie de pain. Barbey d'Aurevilly s'habillait en diable rouge. Balzac et Flaubert avalaient des quantités phénoménales de café. Diderot travaillait en robe de chambre et Balzac dans un froc monacal. Alexandre Dumas avec un pantalon de zouave et une chemise de flanelle, et Théophile Gautier dans une robe de chambre rouge et avec un calot sur la tête. George Sand n'écrivait que la nuit, comme Mérimée ou Littré. Balzac la nuit et en plein jour, persiennes closes à la lueur de deux bougies. Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Verlaine aimaient travailler dans le bruit, contrairement à Goethe qui ne supportait que le silence. En chemise ou en robe de chambre, combien de temps fallait-il pour accoucher d'un chef-d'œuvre ? Un certain temps », serais-je tenté de répondre, mais quelques records méritent d'être mentionnés. Balzac mit quarante jours pour écrire Le Père Goriot, Hugo vingt jours pour Le Dernier Jour d'un condamné, Cocteau dix-sept jours pour Les Enfants terribles et Stendhal deux mois pour La Chartreuse de Parme , un texte dicté du 4 novembre au 26 décembre 1838. Qui dit mieux ? Balades Tout va à la valdrague. Je ne veux pas faire ici acte de passéisme, ni de chauvinisme, mais seulement m'arrêter sur des expressions qui fleurent bon l'air de nos provinces. Les expressions illuminent notre langage », écrit Pascale Lafitte-Certa dans un livre plaisant dont je me suis inspiré pour cet article, Les Plus Belles Expressions de nos régions Points, 2012. Elles pimentent, épicent, agrémentent nos conversations, nos discours et nos écrits. Les plus belles expressions de nos régions invitent à cette fête des mots les accents, les odeurs, les souvenirs, les vacances, l'enfance. Elles sont nos racines. » Être bon pour la chasse à la luterne, souffler dans le biniou, se mettre à l'abouchon, parler le fada, en prendre une lichette, faire quinquenelle, mettre le caillon... Agouler tout cru - Manger goulûment » Champagne-Ardenne de goule, forme ancienne de gueule ». Courir les boragnes - Perdre la tête, radoter » Auvergne cette expression a d'abord signifié vagabonder, faire des choses inutiles » ; de borogne, un buisson infranchissable. Souffler dans le biniou - Souffler dans l'alcootest » Bretagne, évidemment ! et, aujourd'hui, le biniou est aussi appelé l' éthylotest musical » ! Aller de bizingue - Zigzaguer, marcher de travers » du patois alpin bisingoin, aller de travers ». Cette expression peut s'employer en d'autres circonstances Un mur tout de bizingue », qui penche ; Une voiture toute de bizingue », mal garée. Boulègue-toi, collègue ! - Bouge-toi, mon ami ! » Provence-Alpes-Côte d'Azur et le boulegoun est un individu remuant, voire agité. Et l'on dira aussi Ne boulègue pas le bateau, j'ai le mal de mer. » S'enfarger dans les fleurs du tapis - S'attarder sur des petits détails » Centre enfarger autrefois enfeirgier , c'était attacher un animal. Cette expression est usuelle au Québec. Et s'enfarger, c'est encore aujourd'hui s'empêtrer ». S'en jeter un dans le garguillot - Boire un verre » Bourgogne ; ce qui peut se comprendre ! le garguillot , c'est le gosier, la gorge ; de l'onomatopée garg, comme dans gargouille » ou gargouillis ». Être bon pour la chasse à la luterne - Être excessivement naïf » Bourgogne la luterne serait le rejeton d'un lièvre et d'un perdreau ! On disait autrefois aller à la chasse au dahu », et en Picardie encore aujourd'hui la chasse à la bitarde » un oiseau imaginaire. Monter sur son poironnier - Se mettre en colère » Bourgogne poironnier est le nom du poirier sauvage, dans cette région. Faire quinquenelle - Faire de mauvaises affaires », et aussi avoir un sursis » Auvergne quinquenelle était le délai de cinq ans qu'un juge accordait à un débiteur pour qu'il rembourse ses dettes. Avoir perdu sa quinzaine - Être ou avoir l'air triste » Lorraine autrefois, versée deux fois par mois, la quinzaine était le salaire des mineurs. Coucher à la rechaude - Coucher dans un lit non refait » Bourgogne comme si les draps étaient restés chauds. Tout va à la valdrague - Ce mot vient, curieusement, du suédois val choix » et drag rebut » ; ainsi la valdrague » désigne un mélange d'objets précieux et d'autres sans valeur. Avoir le veuzon - Être triste » Poitou-Charentes veuzon est le nom des bourdons, des grosses mouches et des taons. On pensera à l'expression avoir le bourdon ». Balzac, Honoré de 1799-1850 La passion est sourde et muette de naissance. La Muse du département. Je n'aurais pas l'audace de vous affirmer que j'ai lu la totalité de La Comédie humaine, mais il y a certains livres, comme Les Illusions perdues, Le Père Goriot, Eugénie Grandet, La Cousine Bette, Gobseck, qui m'ont subjugué par le réalisme de la peinture de la société de la Restauration et de la monarchie de Juillet, ainsi que par la puissance d'une imagination visionnaire. Les héros, plus beaux, plus jeunes, plus séduisants que l'auteur, sont animés par la même extraordinaire volonté de réussite sociale. Balzac, l'enfant mal aimé mis très tôt en pension, a toujours voulu prouver à sa mère qu'il était capable de grandes choses. Certes, ses entreprises commerciales ont été des désastres financiers qui resteront pendant de longues années une lourde charge. Et pourtant il sait décrire de façon exacte tous les mécanismes financiers qui gouvernent l'époque. La soif de l'or et l'ambition, conditionnée par la richesse, dirigent le monde. Dans Le Père Goriot, le terrible Vautrin, forçat évadé à l'image de Vidocq qui exista réellement et devint chef de la police, est la grande figure initiatrice des cruels mécanismes de la réussite sociale. Il explique au jeune Eugène de Rastignac, pauvre et dévoré d'ambition, comment arriver à ses fins Une rapide fortune est le problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens qui se trouvent tous dans votre position... Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées dans un pot, attendu qu'il n'y a pas cinquante mille bonnes places. Savez-vous comment on fait son chemin ici ? Par l'éclat du génie ou par l'adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse d'hommes comme un boulet de canon, ou s'y glisser comme une peste. L'honnêteté ne sert à rien. Vautrin donne une série d'exemples concrets pour illustrer son propos, et poursuit Si donc vous voulez promptement la fortune, il faut déjà être riche ou le paraître. Pour s'enrichir, il s'agit ici de jouer de grands coups... L'homme est imparfait. Je n'accuse pas les riches en faveur du peuple l'homme est le même, en haut, en bas, au milieu. Il se rencontre par chaque million de ce haut bétail dix lurons qui se mettent au-dessus de tout, même des lois ; j'en suis. Vous, si vous êtes un homme supérieur, allez en ligne droite et la tête haute... Vautrin propose à Rastignac d'épouser une riche héritière qui est amoureuse de lui. Lui-même se chargera d'éliminer le frère qui est le premier héritier. Rastignac est très tenté, mais il choisira de réussir par une femme, Delphine de Nucingen, épouse d'un banquier malhonnête et richissime, comme l'a fait Balzac lui-même qui a aimé et été aimé dans sa jeunesse par une aristocrate bien plus âgée que lui, Mme de Berny. Elle Ta introduit dans le grand monde et Ta protégé en l'initiant à ses règles compliquées. Balzac est fasciné par l'argent vite et mal gagné, même si lui-même n'est devenu riche et célèbre que grâce à sa plume féconde La prospérité de la maison Nucingen est un des phénomènes les plus extraordinaires de notre époque. En 1804, Nucingen était peu connu... Ce grand financier sent alors son infériorité. Comment se faire connaître ? Il suspend ses paiements. Bon ! Son nom, restreint à Strasbourg, retentit sur toutes les places. Il désintéresse son monde avec des valeurs mortes, et reprend ses paiements ; aussitôt, son papier se répand dans toute la France. Par une circonstance inouïe, les valeurs revivent, reprennent faveur, donnent des bénéfices. Le Nucingen est très recherché. L'année 1815 arrive, mon gars réunit ses capitaux, achète des fonds avant la bataille de Waterloo, suspend ses paiements au moment de la crise, paie ses créanciers avec des actions dans les mines de Wortschin qu'il s'était procurées à vingt pour cent au-dessous de la valeur à laquelle il les émettait lui-même ! Il prend à Grandet cent cinquante mille bouteilles de champagne... et autant à Duberghe en vins de Bordeaux. Ces trois cent mille bouteilles acceptées [en règlement de ses créances], à trente sous, il les fait boire aux Alliés, à six francs, au Palais-Royal, de 1817 à 1819. Le papier de la maison Nucingen et son nom deviennent européens. Même constat cynique, mais encore vrai aujourd'hui, Balzac dénonce le pouvoir corrupteur de l'argent dans le milieu du journalisme et de l'édition, un domaine dont il a souffert au début de sa carrière, dans Les Illusions perdues. Lucien de Rubempré est un jeune homme tout aussi ambitieux que Rastignac, mais dépourvu de sa force d'âme, même s'il est un écrivain talentueux. Lousteau, feuilletoniste et journaliste douteux, Dauriat, libraire et éditeur tout-puissant dépourvu de tout scrupule, se chargent de le déniaiser Il y a des impôts surtout, on y vend tout, on y fabrique tout, même le succès. » Est-ce bien différent aujourd'hui ? Pas vraiment car les écrivains influents sont souvent directeurs de collection, critiques dans les journaux, et donc juges et parties. Balzac sait, mieux que personne, décrire les feux dévorants de la passion, qu'elle soit de l'amour ou de l'argent comme chez Gobseck l'usurier ou Grandet le vigneron. Gobseck, peu connu du grand public, a un pouvoir occulte quasi démiurgique. Ruinant les uns, protégeant les autres, son esprit est indomptable. Mi- juif, mi-hollandais, il a un passé d'aventurier, au Liban, en Inde, aux Antilles, en Amérique du Nord et du Sud. Il a la même morale amère que Vautrin qui a lui aussi un passé plus qu'agité. Gobseck meurt à côté de ses marchandises accumulées en vrac dans une pourriture abominable qui annonce sa propre décomposition Gobseck fut donc l'insatiable boa... Chaque matin il recevait ses tributs et les lorgnait comme eût fait le ministre d'un nabab avant de signer une grâce. Gobseck prenait tout, depuis la bourriche du pauvre diable jusqu'aux livres de bougies des gens scrupuleux, depuis la vaisselle des riches jusqu'aux tabatières d'or des spéculateurs. Personne ne savait ce que devenaient ces présents faits au vieil usurier. Tout entrait chez lui, rien ne sortait... Derville, un honnête avoué, assiste seul à sa mort. Sur les conseils de Gobseck, il visite les pièces du premier étage. Dans la chambre voisine de celle où Gobseck était expiré, se trouvaient des pâtés pourris, une foule de comestibles de tout genre et même des coquillages, des poissons qui avaient de la barbe et dont les diverses puanteurs faillirent m'asphyxier. Partout fourmillaient des vers et des insectes. Ces présents récemment faits étaient mêlés à des boîtes de toutes formes, à des caisses de thé, à des balles de café. Sur la cheminée, dans une soupière d'argent étaient des avis d'arrivage de marchandises consignées en son nom au Havre, balles de coton, boucauts de sucre, tonneaux de rhum, café, indigos, tabacs, tout un bazar de denrées coloniales !... L'énumération dure longuement. L'énormité des biens accumulés par le vieil homme est inconcevable. Cependant, il n'oublie pas, dans son testament, de très richement doter une lointaine parente, devenue prostituée, et la famille de la comtesse de Restaud, une des filles du père Goriot. Ainsi, la mort de cette figure de l'avarice, cynique et grandiose, avide et généreuse, ne dévoile pas entièrement ses secrets, et ce n'est pas là le moindre talent de Balzac. Dans Le Père Goriot, Balzac fait de l'habile négociant enrichi en fournissant les troupes de Napoléon un Christ de la paternité ». Après avoir permis à ses filles de s'élever dans la plus haute société, il se dépouille peu à peu de ses biens pour leur permettre de payer leurs dettes innombrables d'enfants gâtées. Il s'est installé dans la sinistre pension Vauquer, magistralement décrite dans ses moindres détails, où règne la misère sans poésie ; une misère économe, concentrée, râpée. Si elle n'a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n'a ni trous ni haillons, elle va tomber en pourriture ». En à peine trois années, le père Goriot, qui se prive de tout pour essayer de satisfaire les exigences de ses deux filles prises dans le tourbillon de la vie mondaine, est devenu un septuagénaire hébété, vacillant, blafard », alors qu'auparavant c'était un homme de soixante-deux ans qui ne paraissait pas en avoir quarante, bourgeois gros et gras, [...] qui avait quelque chose de jeune dans le sourire ». Son agonie est terrible. Ses filles ont préféré aller au bal. Pourtant, il continue à les mettre au rang des anges et à se réjouir de leurs plaisirs. Eugène de Rastignac, qui loge dans la même pension que lui, est seul à son chevet. Le père Goriot délire. Il réclame ses filles Envoyez-les chercher par la gendarmerie, de force ! La justice est pour moi, tout est pour moi, la nature, le Code civil... Je les entends, elles viennent. Oh ! oui, elles viendront. La loi veut qu'on vienne voir mourir son père, la loi est pour moi... Puis ça ne coûtera qu'une course. Je la payerai. Écrivez-leur que j'ai des millions à leur laisser. Parole d'honneur. J'irai faire des pâtes à Odessa... Puis il voit la réalité en face Je serai mort dans un accès de rage, de rage ! La rage me gagne ! En ce moment, je vois ma vie entière. Je suis dupe ! elles ne m'aiment pas, ne m'ont jamais aimé ! cela est clair. Si elles ne sont pas venues, elles ne viendront pas. Plus elles auront tardé, moins elles se décideront à me faire cette joie. Je les connais. Elles n'ont jamais su rien deviner de mes chagrins, de mes douleurs, de mes besoins, elles ne devineront pas plus ma mort ; elles ne sont seulement pas dans le secret de ma tendresse... Le vieillard les maudit, mais aussitôt après il les réclame de nouveau, aussi aimant qu'avant. Il meurt en les réclamant Oh ! les voir ! je vais les voir, entendre leurs voix. Je mourrai heureux. Eh bien, oui, je ne demande plus à vivre, je n'y tenais plus, mes peines allaient croissant. Mais les voir, toucher leurs robes, ah ! rien que leurs robes, c'est bien peu ; mais que je sente quelque chose d'elles ! Faites-moi prendre leurs cheveux... veux... Ses filles n'assistent même pas à ses obsèques que Rastignac et Bianchon, l'étudiant en médecine qui a soigné Goriot, doivent payer de leurs derniers sous. Rastignac a perdu ses illusions. Contemplant la capitale du cimetière, il défie la société avec ces mots grandioses À nous deux maintenant ». Il part rejoindre Delphine de Nucingen, la fille cadette du père Goriot, qui lui servira de marchepied pour s'élever dans la société. Comment ne pas admirer une telle maestria dans la peinture des duretés de la vie mondaine - et de la vie en général... ? D'ailleurs, Balzac lui-même a probablement songé à un tel défi quand il est arrivé à Paris. Hélas pour lui, il n'est pas devenu pair de France comme Rastignac ou Chateaubriand. Certes, il a réussi à épouser Mme Hanska, sa fidèle lectrice, qu'il convoitait depuis des années, il est devenu riche et célèbre grâce à son travail acharné d'écrivain, mais il est mort d'épuisement à cinquante et un ans, le cœur explosé sans doute à cause des litres de café qu'il buvait chaque jour pour soutenir le rythme effréné de sa création gigantesque. Il s'est quasiment décomposé vivant. Une odeur épouvantable empestait sa chambre, raconte Victor Hugo qui s'était rendu à son chevet, et sa nouvelle épouse n'arrivait plus à affronter une telle puanteur. Balzac fut certainement l'un des écrivains les plus importants du xix e siècle. Zola en 1881 avait écrit de lui Shakespeare seul a enfanté une humanité aussi large et aussi vivante. » Ce génial observateur de la société précapitaliste était-il aussi un visionnaire ? Baudelaire, dans L'Art romantique, hésitait J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire. » Mais Gobineau en 1844 écrivait Nous ne serions pas surpris que la postérité en fît quelque jour le type même de l'auteur de romans. » Il avait parfaitement raison ; la prophétie s'est réalisée, car Balzac apparut après sa mort comme le précurseur incontesté du réalisme » dans le roman. Baragouins et Cie J'en mourirai n'est pas français. Serge Gainsbourg. Et si Ton s'amusait à repérer des auteurs qui font sciemment des fautes d'orthographe ou de grammaire ? Comme s'ils nous suggéraient qu'il ne faut pas être trop sérieux avec notre langue - même si, pour l'essentiel, tous la respectent. L'affaire n'est pas récente puisque Clément Marot 1496-1544, dans ses Épigrammes, avait déjà noté quelques mauvaises manières de parler » Colin s'en alla au Lendit, Où n'achetit ni ne vendit, Mais seulement à ce qu'on dit, Dérobit une jument noire. La raison qu'on le penda Fut que soudain il réponda Que jamais autre il n'entenda Sinon que de la mener boire. Plus tard, Robert Desnos 1900-1945 lui emboîte le pas, d'une manière plus radicale, avec un texte intitulé Idéal maîtresse » dans le recueil Corps et biens. Dans l'escalier je la rencontrai. "Je mauve", me dit-elle et tandis que moi- même je cristal à pleine ciel-je à son regard qui fleuve vers moi. Or il serrure et, maîtresse ! Tu pitchpin qu'a joli vase je me chaise si les chemins tombeaux. L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche. [...] Eh quoi, déjà je miroir. Maîtresse tu carré noir et si les nuages de tout à l'heure myosotis, ils moulins dans la toujours présente éternité. » Plus raisonnable », c'est Renaud qui chantait, en 1983 Dès que le vent soufflera je repartira Dès que les vents tourneront nous nous en ailerons. Comme, un peu avant lui, Richard Gotainer qui se faisait connaître avec sa chanson Primitif » 1980 Tu être jolie beaucoup Moi être zinzin de ta fantaisie Tu rendre moi fou de vous Car tu être belle à l'infini Je graver ton nom partout Je écrire tous les arbres avec un canif Vous faire de moi un zoulou Je vouloir aimer vous primitif [...] Dans ce monde de la publicité - où avait d'ailleurs travaillé Gotainer -, on ne se prive pas de pratiquer ce genre d'écarts Les crocodiles sont belles. Moi très frais. Skiez Courchevel. Mützig quand on est très bière. En 1970, Robert Beauvais 1911-1982 publiait un livre humoristique où il se moquait des jargons de l'époque qu'il présentait en ces termes L'alphabétisation est impérative, exonérée et sacralisante. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie que "l'instruction publique est obligatoire, gratuite et laïque". Pour stigmatiser le pédantisme du parler à la mode en politique, à la télévision, dans l'université..., j'ai choisi l'arme du rire. » La mode, par définition, n'est que passagère, et bien des mots épinglés par Robert Beauvais sont totalement hors d'usage. Et certains des mots cités n'ont-ils pas été, tout simplement, inventés par lui ? À suivre Beauvais, on préférait missive » à lettre », pinacothèque » à musée », céphalalgie » à mal de tête ». Quid de l' œniculteur », plutôt que du viticulteur » ? De l'irrationalité éthique du monde », au lieu de le monde est mal fait » ? De la grammatologie d'une ethnie » pour les langues étrangères » ? De la québecquité » ? Des confrontations », au lieu de concerts » ? Une pléiade de jeunes », pour un groupe de jeunes » ? Ou encore les formulations suivantes Comment va votre petit-fils ? Comment va votre épigone ? » Et cette santé ? Et ce métabolisme ? » Porte-t-on encore les cheveux longs ? Porte-t-on encore les cheveux christiques ? » Je suis un mordu du tiercé. Je suis habité par la passion tiercésiste. » Je vais réduire mon personnel. Je vais dégraisser mon organigramme. » Où y a-t-il un hôtel ? Où y a-t-il une structure d'accueil ? » Je n'accorde de préférence à aucune marque. Je n'hypostasie pas un holding particulier. » Bref, tout cela est certes fort distrayant, mais guère convaincant, et en matière de purisme et de critique, il faut rester prudent... Pour moi, le jargon » par excellence pourrait être celui que j'ai découvert dans le guide d'utilisation d'un programmateur numérique » appareil assez simple permettant, par exemple, de faire démarrer une machine à laver fabriquée en Corée et sans doute traduit, avec des logiciels de traduction automatique, du coréen à l'anglais puis en français ; si tant est que l'on puisse appeler cela du français. Dans le genre, c'est un chef-d'œuvre dont je vous livre la première page, littéralement retranscrite, bien sûr Fonctions principales de 2 prises minuterie numérique Fixer l'heure pour ouvrir/fermer la source de courant. Contrôler l'ouverture/fermeture de la source de courant. On peut fixer 14 groupes d'information comme ON/OFF dans cette minuterie, et contrôler les boutons de deux différentes prises. Il y a 8 boutons dans cette minuterie CLOCK », CD », RND », ON/OFF », SET », V », A », ON/OFF 2 [METTRE 2 EN INDICES », et deux lampes comme LED ». Quand LED » brille, c'est l'ouverture de la source de courant, au contraire, il est dans le statut de fermeture. Il y a deux indications statuts dans cette minuterie l'horloge statut et le statut de fixation de l'heure d'ouverture et de fermeture. Paramètres techniques principaux de cette minuterie voltage nominal 230V/AC, fréquence nominal 50/60 Hz ; charge résistante 3 680 W ; minimale heure fixée 1 minute 1 seconde peut être fixée quand on compte le temps en bas, l'heure de fixation maximale 7 jours heures peuvent être fixées quand on compte le temps en bas. Précision moins que 2 minutes/ moins. » Dans le même ordre d'idée, mais peut-être, hélas, en plus pire », notre pauvre langue se trouve écorchée, malmenée, maltraitée et c'est un euphémisme ! par les hérauts de la télé-réalité qui depuis plus de dix ans nous apportent un nombre d'échantillons remarquables - au seul sens de dignes d'être remarqués » - en révélant diverses nouvelles manières de malparler » français. De la simple écorchure à la maltraitance entière. L'usage de la langue étant un certain reflet de la pensée, je m'inquiète ces acteurs de la télé-réalité » ont-ils le moindre semblant de pensée ? Dans les énoncés ci-dessous, récoltés dans La Ferme Célébrités, barbarismes, solécismes, clichés, balivernes et autres invraisemblances nous laissent pétrifiés. Tu dois te mettre dans la tête qu'il y a des gens que tu ne plais pas physiquement. Il a une bonne réponse tout de suite. Ça ne m'étonne pas de lui, il a beaucoup de culturisme. Des inconnus qui ne me connaissaient pas. Je crois que le secret de Laly, c'est qu'elle est actrice porno. Ou alors, actrice X. Niousha n'a pas rendu l'ascenseur. Putain, les gonz, j'ai envie de pisser grave. La tentatrice que j'ai le plus d'affinités, c'est Annabelle. C'est celle que j'ai le plus d'affinités en commun. Ce n'est pas aux vieux singes qu'on apprend à faire des limaces. On s'est fait mener par le bout de la queue. C'est mon préféré garçon et mon préféré fille qui sont nominés. Baryton, je croyais que c'était un poisson. Faudrait savoir pourquoi à la base les choses ont été faites. J'ai été pompeuse d'essence. Si Élodie elle a joué un jeu avec oim, sur la tête de oim, je vais lui mettre une misère vocale que sans mentir elle va perdre l'élastique de son calebard. En ce qui concerne la mission qu'on nous a donnée, eh ben, je l'ai réussite. J'ai peur de dire une sotterie. T'as des positions positionning. Chuis heureuse d'avoir fait sa vraie connaissance. C'est bien plutôt de français bousillé » qu'il faudrait parler ici. Barthes, Roland 1915-1980 Je m'intéresse au langage parce qu'il me blesse ou me séduit. Journaliste, il collabora à Combat et à France Observateur , sociologue, il enseigna à l'École des hautes études avant d'occuper la chaire de sémiologie du Collège de France. En 1950, il devint la figure dominante de la Nouvelle Critique » en polémiquant sur les méthodes de lecture inspirées des sciences humaines. Avec le groupe Tel Quel, il se fit chantre d'une certaine esthétique de l'écriture suivant un usage original du mot proposé dans son célèbre Degré zéro de l'écriture 1953, qui réunit ses articles parus dans Combat. Pour lui, le degré zéro », c'est une écriture libre de toute idéologie, et susceptible de restituer au mot sa propriété naturelle. Il faut, selon lui, bien distinguer d'une part la langue, un corps de prescriptions et d'habitudes communes à tous les écrivains d'une époque », le style, qui plonge dans la mythologie personnelle et secrète de l'auteur », et enfin l'écriture, un acte de solidarité historique ». Je ne vous cache pas que tout cela est quand même hermétique pour le sémiologue buissonnier que je suis, même si mon ami Pascal Bruckner, qui fut son élève et qui lui voue une profonde admiration, en parle de façon qui m'est presque accessible Chacun de ses livres constituait un événement que nous commentions avec passion. Sa fameuse phrase de 1972 "Tout à coup il m'est devenu indifférent de ne pas être moderne" avait résonné à nos oreilles comme un coup de tonnerre bienvenu, la libération d'un carcan qui nous écrasait. Si lui, l'icône de l'hyper- modernité, s'autorisait une telle licence, c'est qu'une époque se terminait, qu'une brèche s'ouvrait dans le bétonnage théorique que nous subissions depuis trop longtemps. Enfin nous avions le droit de lire et de relire les grands romans sans dédain ni mauvaise conscience. » Si j'ai quelque difficulté à comprendre Barthes le théoricien, je suis assez fasciné par le petit livre qu'il publia en 1957 au Seuil et dans lequel je picore régulièrement avec délice Mythologies, une espèce de catalogue qui recense les nouveaux emblèmes de l'après-guerre la DS Citroën, le Tour de France, l'abbé Pierre et même le steak-frites. Le bifteck participe à la même mythologie sanguine que le vin. C'est le cœur de la viande, c'est la viande à l'état pur, et quiconque en prend s'assimile la force taurine. De toute évidence, le prestige du bifteck tient à sa quasi-crudité le sang y est visible, naturel, dense, compact et sécable à la fois ; on imagine bien l'ambroisie antique sous cette espèce de matière lourde qui diminue sous la dent de façon à bien faire sentir dans le même temps sa force d'origine et sa plasticité à s'épancher dans le sang même de l'homme. » Tel un ethnologue consciencieux il se penche sur ces nouveaux mythes » d'une société qui, dit-il, finit par se penser à travers eux ». Écrites quotidiennement de 1954 à 1956, ce sont autant de petites chroniques savoureuses et très accessibles pour tous ceux qui comme moi éprouveraient quelque embarras à déchiffrer le langage barthésien. À ce sujet, je ne peux m'empêcher d'évoquer le pamphlet iconoclaste, mais tellement drôle, des complices Rambaud et Burnier, publié en 1978 chez Balland, qui s'intitulait Le Roland-Barthes sons peine, et qu'ils présentaient en ces termes Le R. B. en Roland-Barthes, Roland Barthes se dit R. B. apparut sous sa forme archaïque voilà vingt-cinq ans dans l'ouvrage intitulé Le Degré zéro de l'écriture. Depuis, il s'est peu à peu détaché du français dont il est partiellement issu, se constituant comme un langage autonome avec sa grammaire et son vocabulaire propres. L'étudiant trouvera dans le présent livre une méthode attrayante qui l'initiera au Roland-Barthes. D'emblée nous proposons de le mettre à l'aise en pratiquant un peu de conversation courante sur des sujets très simples. Par exemple Question - Comment t'énonces-tu, toi ? Français Quel est votre nom ? Réponse - Je m'énonce W. Français Je m'appelle William. Q. - Quelle stipulation verrouille, clôture, organise, agence l'éco-nomie de ta pragma comme l'occultation/exploitation de ton ek-sistence ? Français Que faites-vous danslavie? R. - J'expulse des petits bouts de code. Français je suis dactylo. » On le comprend, je ne suis pas le seul à ne pas saisir toutes les subtilités de l'écriture barthésienne, ce qui n'enlève rien à la grandeur et au génie de ce grand intellectuel décédé accidentellement en 1980. Baudelaire, Charles 1821-1867 Je suis l'ange gardien, la muse et la madone. Sans doute de par sa situation chronologique, Baudelaire se trouve au confluent de deux courants poétiques celui du Romantisme qui privilégie l'expression des sentiments et du Parnasse qui s'oppose aux excès du Romantisme où Musset par exemple comparait le poète au pélican, qui, croyait-on alors, nourrissait ses petits avec ses entrailles ! Les parnassiens veulent revenir à une poésie purement plastique, fruit d'un art débarrassé des facilités parfois impudiques des romantiques. Baudelaire a gardé des parnassiens une extrême rigueur dans la technique, ce qui l'a amené à produire peu de poèmes, par comparaison aux jaillissements d'un Hugo, d'un Musset ou d'un Lamartine. Mais il a très vite compris qu'il était vain d'étouffer les sentiments qu'il vivait si intensément, pour leur substituer la beauté formelle des mots seuls. Il a su, à l'instar de Flaubert pour le roman, être l'initiateur d'une nouvelle forme poétique, ainsi qu'il le définit lui-même La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable. » Certains épisodes de sa vie ont été des éléments fondateurs il n'a jamais accepté le remariage de sa mère, quand il avait sept ans, avec le général Aupick. C'est une des raisons pour lesquelles Baudelaire, très tôt, sombre dans de lourdes mélancolies, qu'il appellera spleen », variante plus invalidante que le mal du siècle » des Romantiques. Dès qu'il sort du lycée, bénéficiant de l'héritage paternel, il mène une vie de bohème que le beau-père ne peut tolérer. On l'expédie au loin, et si Baudelaire en partance pour les Indes s'arrête à l'île Bourbon La Réunion maintenant, ce voyage enrichit profondément sa sensibilité, l'éveille à la poésie de l'exotisme, de la mer, du soleil, lui qui redoute tellement les saisons froides qui déclenchent immanquablement des crises de spleen. Rappelons l'origine de ce terme anglais c'est la bile noire, la mélancolie incurable. Baudelaire dissipe allègrement la fortune paternelle. Sa famille lui impose un conseil juridique. Il n'a plus qu'une petite rente qu'il arrondit avec des travaux de critique. Ainsi, il défendra Wagner, quasiment seul contre tous, et il traduira les oeuvres d'Edgar Poe qui lui est si proche. Cette partie de son oeuvre lui permet de développer une exceptionnelle intelligence esthétique, qui sera très bénéfique pour la qualité des Fleurs du mal 1857, condamné la même année que Flaubert pour immoralité et vulgarité. Et déjà le titre provocateur la beauté n'est pas obligée de se limiter au chant des petits oiseaux ou aux nobles mouvements du cœur. Des fleurs splendides peuvent pousser sur du fumier, et la poésie peut et doit parler des spectacles horribles de la nature, comme dans Une charogne » Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d'été si doux Au détour d'un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux, Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons. Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point. Et de rendre au centuple à la grande Nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint. Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s'épanouir [...] Baudelaire n'hésite pas non plus à montrer comment la vieillesse et les infirmités sont souvent repoussantes, comme dans Les petites vieilles » ou Les aveugles », bien loin du politiquement correct d'aujourd'hui qui veut que tout le monde y soit beau et soit gentil », pour reprendre le titre d'un film de Jean Yanne. Honteuses d'exister, ombres ratatinées. Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs, Et nul ne vous salue, étranges destinées ! Débris d'humanité pour l'éternité mûrs ! Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille, L'œil inquiet, fixé sur vos pas incertains, Tout comme si j'étais votre père, ô merveille ! Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins Je vois s'épanouir vos passions novices ; Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ; Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices ! Mon âme resplendit de toutes vos vertus ! Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères ! Je vous fais chaque soir un solennel adieu ! Où serez-vous demain, Èves octogénaires, Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ! Devant cette désespérante laideur, Baudelaire ne peut échapper au spleen, mélange de lassitude, de désenchantement et de désespoir. Il consacre plusieurs poèmes à révocation de cet état auquel il cherche en vain à échapper Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ; Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement. Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Il faudrait lire ce poème à voix haute, comme tous les autres d'ailleurs, pour entendre la subtile alternance des voyelles nasalisées c'est-à-dire prolongées par un n, ce qui les allonge et les assourdit, d'où des sons tristes et lents, avec quelques sons plus éclatants, comme espoir, vite annihilé par le lourd vaincu mis en évidence en début de vers... Mais Baudelaire ne s'attarde pas à l'évocation tragique du spleen, ce qui lui permet de se lancer dans des fantasmes et des rêves évocateurs d'une possible rémission. La peinture de l'amour, d'abord. Baudelaire a aimé principalement trois femmes Jeanne Duval, mulâtresse qui satisfait son goût de l'exotisme et du voyage intérieur, Mme Sabatier, près de la place PigaIle, surnommée la Présidente, qui tient un salon littéraire très couru et qu'il idolâtre avec mysticisme, et l'amie, sœur d'élection, Marie Daubrun. Il a su peindre la sensualité charnelle de Jeanne Duval dans des poèmes comme Parfum exotique », où l'odeur de sa peau et de ses cheveux l'entraîne dans de longues rêveries Guidé par ton odeur vers de charmants climats. Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encore tout fatigués par la vague marine, Pendant que le parfum des verts tamariniers Qui circule dans l'air et m'enfle la narine, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers. On voit dans ces quelques vers comment Baudelaire sait faire correspondre tous ses sens, l'odorat, le plus archaïque, la vue ou l'ouïe. Ainsi s'éclaire son fameux poème Correspondances », dont je vous livre une partie Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants. Doux comme les hautbois, verts comme les prairies [...] Mme Sabatier représente l'amour détaché des sordides contingences terrestres, elle est l'Ange qui protège le poète des turpitudes de la débauche, la Muse qui lui montre la Beauté. Voici Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire » Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire, Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri, À la très belle, à la très bonne, à la très chère, Dont le regard divin t'a soudain refleuri ? Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges Rien ne vaut la douceur de son autorité; Sa chair spirituelle a le parfum des Anges, Et son œil nous revêt de clarté [...] Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone. Le souvenir des trois femmes aimées va donner un des plus beaux poèmes de Baudelaire, Le balcon », dont voici un extrait Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses, Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs ! Tu te rappelleras la beauté des caresses. La douceur du foyer et le charme des soirs, Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses ! [...] Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses ! [...] Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis. Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes, Comme montent au ciel les soleils rajeunis Après s'être lavés au fond des mers profondes ? Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis ! Pourtant, en dépit des moments de bonheur ravivés par les souvenirs, l'horizon de Baudelaire, même lorsqu'il s'enivre de paradis artificiels », avec le secours tout provisoire de l'absinthe, du vin ou de l'opium, est désespérément bouché. Dans Le poison », Baudelaire chante d'abord les magies du vin et de l'opium, qui allonge l'illimité, mais ne donne que des plaisirs noirs et mornes. Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord, Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remords. Et, charriant le vertige, La roule défaillante aux rives de la mort ! Pour échapper au terrible pouvoir du temps qui écrase le poète en proie à l'ennui, il n'y a qu'une seule issue, la mort. Au début du recueil, la mort est angoissante, mais peu à peu le mysticisme de Baudelaire la lui fait entrevoir comme une éternité idéale. Dans Le voyage », il s'exclame Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre, Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons ! Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte ! Nous voulons, tant que ce feu nous brûle le cerveau. Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! Hugo a délivré une oeuvre immense, Baudelaire, lui, passe à la postérité avec un seul volume après n'avoir vécu que quarante-cinq ans dans la souffrance. Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remède à nos impuretés Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui prépare les forts aux savantes voluptés. Ce sont ces souffrances qui lui ont valu d'être admiré et aimé par ceux qui sont venus après lui. Le monde après Baudelaire n'a plus été le même » Jean d'Ormesson. Beau comme... Beau, oui, comme Bowie. Serge Gainsbourg. Comme bien des figures de style, la comparaison appartient d'abord au langage ordinaire. Parmi beaucoup d'autres malade comme un chien, muet comme une carpe, gai comme un pinson, copains comme cochons, malin comme un singe »... Mais les écrivains donnent un souffle nouveau à cette figure souvent banale, voire sotte. Pourquoi le pinson serait-il gai » ? Et le chien malade » plus qu'un autre animal ? Dans les Chants de Maldoror, Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont 1846-1870, écrit quelques lignes qui deviendront célèbres, par l'entremise des surréalistes Il a seize ans et quatre mois ! Il est beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l'incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l'animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine et d'un parapluie ! » Nous ne sommes pas loin de Magritte... Et, plus loin Beau comme le vice de conformation congénital des organes sexuels de l'homme, consistant dans la brièveté relative du canal de l'urètre et la division ou l'absence de sa paroi inférieure, de telle sorte que ce canal s'ouvre à une distance variable du gland et au-dessous du pénis ; ou encore, comme la caroncule charnue, de forme conique, sillonnée par des rides transversales assez profondes, qui s'élève sur la base du bec supérieur du dindon. » Quelques décennies plus tard, Marcel Proust, dans À la recherche du temps perdu, déplie une impressionnante série de figures de l'image à l'aide de métaphores et de comparaisons. Et, plus près de nous, c'est Jacques Prévert qui écrit Notre amour reste là Têtu comme une bourrique Vivant comme le désir Cruel comme la mémoire Bête comme les regrets Tendre comme le souvenir Froid comme le marbre Beau comme le jour Fragile comme un enfant Il nous regarde en souriant. Belgicismes et belgitude On se reprend une drache ? Et n'oublions pas la dringuelle ! Il faut savoir gré aux habitants de quelques pays francophones de faire vivre avec bonheur notre langue. Et je ferai ici la part belle à nos voisins de Wallonie, à laquelle on doit, entre autres, René Magritte, Louis Scutenaire, Paul Delvaux, Jacques Brel, Georges Simenon, Henri Michaux, Christian Dotremont ou Géo Norge. Est-il besoin de préciser qu'en Belgique francophone, c'est-à-dire picarde et wallonne, l'histoire de la langue est la même que celle de la France du Nord malgré les spécificités historiques. À noter que la vitalité du français de Belgique dans tous les domaines d'expression notamment littéraire est très forte. Le 17 février 2006, le quotidien de Bruxelles Le Soir publiait un dossier intitulé 175 ans 175 mots ». La Belgique moderne était née en effet en 1830. Dans leur présentation, les journalistes précisaient Ceci n'est pas un dictionnaire. Juste un pêle-mêle, un assemblage de mots un peu en vrac. Que nous avons trouvés jolis, goûteux. C'est un moment de plaisir. Un étonnement, aussi la plupart de ces mots nous sont apparus bizarrement étranges, surannés, ressurgis de l'enfance. » Mais les auteurs manifestaient aussi quelque inquiétude Le belgicisme, chef-d'œuvre en péril ou en cours de reconnaissance ? Est-ce parce que le métier incite à écrire en français, en franglais ? À négliger les joyaux langagiers de notre belgitude ? Ou, plus inquiétant, est-ce la grande faux normative du français hexagonal qui est passée par là, arasant nos particularismes ? » Le français serait-il donc l'ennemi d'autres français ? Dans ce florilège, on appréciera la manière dont certains mots sont utilisés dans un autre sens qu'en France, et ceux qui sont, pour nous, de purs néologismes. Amitieux affectueux. Aubette Abribus. Le mot belge est plus joli. Il ferait penser à une aubade avec Odette... Babeler bavarder. Baise ce mot n'a rien de grivois, puisqu'il signifie la bise » entre une grand- mère et l'un de ses petits-enfants. Bak poubelle. Battre le beurre s'embrouiller. Berdouille sauce aux échalotes, au vin blanc, aux cornichons et à la moutarde. Biesse idiot. Mon Dieu, qu'il est biesse ! » Brol une espèce de synonyme de machin », truc ». Va me mettre ce brol ailleurs ! » Ça va D'accord. — Tu viens dîner demain ? — Ça va. » Caricole petit escargot servi dans un court-bouillon de légumes. Carnet livret d'épargne. Décauser dire du mal de. Il décause sans cesse ses confrères. » Drache pluie battante. Et, par extension une tournée, dans un café. Dringuelle pourboire. Mot joliment formé à partir de l'allemand drinken, boire, et geld, argent. Margaille dispute bruyante. Nicnac petit biscuit sec en forme de chiffre ou de lettre, ou rond. Pète échec. J'ai eu une pète en maths. » Plic-ploc de manière désordonnée. Et le fameux une fois, pour un jour, pourquoi pas »... Je devrais les inviter, une fois. » Enfin, il n'y a pas une langue wallonne, mais diverses variantes. En témoignent les traductions de l'album Les Bijoux de la Castafiore 1963 - en liégeois L'Émerôde d'al Castafiore ; - en ottintois Les Pindants dèl Castafiore ; - en a clôt Les Berlokes de! Castafiore ; - en carolorégien Lès-Ôr'rîyes dèl Castafiore ! Pauvre Milou ! Belle Province La La skide en tabernak sur l'autoroute. C'est grâce au miracle d'une fidélité de quatre siècles qu'aujourd'hui notre langue est parlée par près de six millions de Canadiens une extraordinaire histoire d'amour dont nous, Français de métropole, avons rarement été conscients ! Sous Henri IV, les premiers colons français vinrent s'établir dans la vallée du Saint-Laurent qu'ils baptisèrent Nouvelle-France. Là, Samuel de Champlain fonda Québec en 1608. Colbert y établit en 1663 un gouvernement royal qui devait administrer le pays comme une province française. Dans un monde où domine la langue anglaise, que dirige l'administration anglaise, que menace la civilisation américaine, la lutte incessante des Canadiens français pour conserver leur langue et leur culture relève d'une sorte d'héroïsme quotidien. Aujourd'hui, Montréal est - ex aequo avec Bruxelles - la deuxième ville francophone du monde, juste après Paris. La langue québécoise est particulièrement savoureuse, et le Français qui débarque au Canada a besoin de consulter son lexique s'il veut éviter quelques quiproquos gênants. Je n'en donnerai pour preuve que ce dialogue de sourds entre un Français en panne sur l'autoroute Québec-Montréal et le garagiste local venu le dépanner Té pogné icitte pour une bonne secousse. On a tout tchéqué, moé pis mon chum stie ! Le trouble y vient d'Ia fan qu'éta trop slak. À force de zigonner su l'starter t'as mis ta batterie à terre. C'est l'bout d'Ia marde ! M'a t'être forcé à changer l'shaft. Y é pété lui itou. À part d'ça, j'sé pas si t'as vu mais y pus d'anti- freeze dans le maudzi bazou. Avec le fret qu'on a c'est pas ben smart de runner un char de même. J'dis pas si c'éta un char neu mais on n'est pas su'a Côte d'Azur icitte, pis c'est vrai en crisse. Ça gèle en tabaslak dans l'boutte où s'qu'on reste nouz'aut. En té cas, pour être bad-locké, t'es bad-locké en sacrament ! Si c'était rien que de moé, tandis qu't'es t'icitte, j'fra un check-up complet, pis échangera les spark plugs en si vous plaît. Pas mes mosusses d'aaires mais c't'une vrai minoune que l'rent-a-car y t'a louée là. Y é toute foqué c'char-là. Ç'a pas d'allure. Y ont même pas mis de tayeurs à neige. Ça doit skider en tabarnak su l'autoroute ! Sutou qu'astheure, à cause de leu maudit'z'économies à made y z'épandent pus pantoute de soffe dans a's'maine. Y z'en garrochent rien qu'en fin de semaine, les osties de calvaie ! Si c't'avec ça qui z'espèrent attirer l'tourisse, les épâts, y s'content des pipes, les sacrements ! » Explications Pogné icitte coincé ici. Une bonne secousse un bon moment. Tchéqué vérifié. Moé pis mon chum moi et mon ami. Stie ! hostie interjection courante au Québec, tout comme christ », tabernacle », sacrement », qui peuvent se comparer au bon Dieu » français. Trop slack trop lâche, pas assez serré. Zigonner jouer, tâtonner. Shaft arbre de transmission. Maudzi bazou maudit tacot. Fret froid. C'est vrai en crisse c'est vrai en christ [cf. hostie », bon Dieu », tabernacle ». Ça gèle en tabaslak déformation de tabernacle ». Bad-locké de l'anglais bad luck- pas de chance ». Sacrament sacrement. Pas mes mosusses d'affaires c'est pas mes maudites affaires. Minoune tacot. Foqué de l'anglais fucked- foutu ». Tayeur à neige de l'anglais tyre - pneu neige ». Skider de l'anglais to skid- déraper ». Marde merde. Pantoute de stoffe de l'anglais stuff - truc ». En l'occurrence, du sel pour faire fondre la neige. Garrocher jeter, lancer. Les épâs littéralement les épais » ; par extension les lourdauds ». Y s'content des pipes ils se racontent des bobards. Bibliothèque nationale de France En juillet 1988, François Mitterrand annonce la construction et l'aménagement de l'une ou de la plus grande et la plus moderne bibliothèque du monde... ce sera la BNF. Plusieurs sites seront proposés, y compris en province et en banlieue. Celui qui aura la préférence se situe au cœur de la ZAC Rive-Gauche, dans le 12 e arrondissement, le nouveau quartier de Tolbiac. Les travaux, commencés en 1991, dureront jusqu'en 1995. Au début de 1994, la BN Bibliothèque nationale et l'EPBF Établissement public de la Bibliothèque de France fusionnent pour devenir la Bibliothèque nationale de France BNF. En 1995, François Mitterrand inaugure le nouveau bâtiment. C'est sous Jacques Chirac, alors président de la République, en décembre 1996, qu'elle sera ouverte au public. La lointaine ancêtre de la BNF est la librairie de Charles V au xiv e siècle, dispersée après la mort de son successeur Charles VI. Sous Louis XI, elle est reconstituée et se transmettra de roi en roi, et sera installée successivement à Ambroise, Blois et Fontainebleau. Les premiers catalogues apparaîtront au xvm e siècle, et c'est à cette même époque que la bibliothèque sera transférée rue Richelieu. À la Révolution, malgré le saccage de la bibliothèque du roi, les collections vont être enrichies grâce aux confiscations des bibliothèques des communautés religieuses, par l'intégration de fonds de provenances diverses et par celles de l'Université plus de 800 000 pièces en tout, par les fonds des dépôts littéraires provinciaux des conquêtes révolutionnaires, les troupes françaises s'emparant de collections jugées utiles ou prestigieuses. Cabotins Les Et si, comme le suggérait Laurence Sterne dans Vie et opinions de Tristram Shandy, ce ne seraient pas les écrivains qui devraient suivre les règles, mais les règles qui devraient les suivre ? Et si quelques plumes malicieuses, turbulentes et aventurières avaient aussi bien servi notre langue que certains de nos soi-disant doctrinaires de la littérature classique ? En dehors de Renard, Apollinaire, Devos, Dard, Perec, Queneau et d'autres, sur lesquels je m'attarde ailleurs dans ce livre, j'ai aussi un faible pour quelques saltimbanques qui, en chatouillant et malaxant les mots, se sont imposés, tels des orfèvres, à nous rendre euphoriques avec leurs aphorismes. Ils ont à mon avis aussi leur place dans le Panthéon des serviteurs de la langue en prônant une littérature ronde et généreuse opposée à une littérature sectaire, doctrinaire et laconique. Prenez par exemple Jean Louis Auguste Commerson 1802-1879, un illustre inconnu pour la plupart d'entre nous et qui, malgré le titre prosaïque de son principal opus, Les Pensées d'un emballeur..., savait à merveille tirer parti des fleurs de rhétorique J'ai dîné hier avec une femme et un bœuf à la mode », Plus un peuple est léger, plus il est facile à soulever », Les marmottes sont des bêtes de somme », Quand je mange des glaces, je me mets à réfléchir », et tout à l'avenant. Sa grande force, c'est que ses formules décapantes donnent l'impression qu'il les distille par effraction. Ce roi de l'apophtegme Ma cuisinière aime mieux l'Ave Maria que laver la vaisselle », ce prince de la métaphore Avec l'asticot de l'ignorance on est sujet à pêcher le goujon de l'erreur dans l'océan de l'incertitude » s'est éteint lors d'un moment de distraction, car il disait préférer panser son cheval, qu'à la mort ». Jean-Pierre Brisset, né en 1837, qui annonça tranquillement un beau matin que l'homme ne descendait pas du singe mais de la grenouille. Celui qui fut élu, avec une certaine ironie, Prince des penseurs » pour son travail sur l'origine batracienne du langage » avait en effet démontré dans sa Grammaire logique qu'il fallait rechercher les sources du langage dans les cris des animaux, et plus particulièrement chez les amphibiens. Tout cela paraît bien farfelu, mais l'œuvre de celui qui a figuré longtemps au palmarès des fous littéraires a été reconnue comme une des plus florissantes en inventions langagières aussi bien par les surréalistes, André Breton ou Marcel Duchamp, que par les linguistes, comme Raymond Queneau qui le défendit bec et ongles. En étudiant les langues à travers leurs sonorités, il jouait sur les permutations de lettres, ou les glissements de syllabes. Exemple tu sais que c'est bien / tu sexe est bien ». Vous en redemandez ? Salaud / sale eau / salle aux prix / saloperie ». Si sa conduite mentale pouvait parfois étonner, voire inquiéter, il était aussi capable d'énoncés logiques implacables, comme celui qu'il prononça un jour devant la statue de Rodin Il n'est pas nécessaire d'être nu pour penser. » Celui dont Patrice Delbourg disait que sa tour de babils donna des vertiges à plusieurs générations » mourut le 2 décembre 1919 non sans avoir désigné Jules Romains parmi ses légataires afin de perpétuer sa mémoire et diffuser son oeuvre. Jacques Prévert 1900-1977, un cabotin ? Mieux que ça, ou plutôt pas seulement ça, surtout un poète, et un poète de la rue Prévert, plus qu'un langage, c'est un accent, c'est une rue, c'est un carrefour. On trouve chez lui des bistrots avec des bruits d'œuf dur, des escargots qui vont à l'enterrement d'une feuille morte, des dîners de fête, des pêches à la baleine et sur le sol mouillé les pas des amants qui prenaient le bitume pour un océan » Renaud Matignon. Prévert avait ce talent particulier de savoir parfaitement pratiquer l'enregistrement verbal des choses et des gens. Les textes, même lorsqu'ils s'inspirent du langage parlé, sont très écrits et travaillés. Ce qui tombe sous le sens rebondit ailleurs », avait-il coutume d'affirmer. Non content d'être le troubadour aux 800 chansons, il est l'auteur de nombreux recueils dont le plus célèbre, Paroles , a été vendu en France à plus de 3 millions d'exemplaires. On pouvait, entre autres, y lire Le cancre » Il dit non avec la tête mais il dit oui avec le cœur il dit oui à ce qu'il aime il dit non au professeur [...] et malgré les menaces du maître sous les huées des enfants prodiges avec des craies de toutes les couleurs sur le tableau noir du malheur il dessine le visage du bonheur. C'est ainsi qu'il fait danser les mots avec une certaine facilité qui en fait une véritable révolution, car, en taclant les alexandrins des forts en thème, il faisait découvrir à des enfants souriants que des récits décousus et charmants sont en fait des poèmes. Cela explique bien sûr le succès de Paroles, qui fut le premier best- seller de poésie en France, relayé, il faut le dire à l'époque, par les premiers Livre de poche. Jean Tardieu 1903-1995, lui, n'était pas seulement un célèbre homme de théâtre Tonnerre sans orage ou Les Amants du métro, mais aussi un immense poète, qui se demandait toujours comment on peut écrire quelque chose qui ait du sens ». Les mots l'obsèdent, et il cherche toujours à forcer leur sens surtout quand ils sont usés et plats Quelle joie d'accoupler les mots sans lien logique et d'écouter sonner leur assemblage cocasse comme le légendaire garnement parigot qui attachait une casserole à la queue d'un chien et le faisait courir sur le trottoir. » Dans le célèbre Monsieur Monsieur, il prévient lui-même qu' il entend sa propre voix intérieure moduler des accents grotesques, irréels, à force de niaiserie, et il sent son masque parcouru de tics nerveux annonciateurs d'une gesticulation idiote et libératrice ». Et, un peu plus loin, on trouve cette emblématique Môme néant » Pourquoi gu'a dit rin ? Pourquoi qu'a fait rin ? Pourquoi qu'a pense à rin ? — A'xiste pas. Dans Margerie, l'un de ses plus beaux recueils, chacun peut pêcher dans cet inépuisable réservoir des monorimes, des notices cocasses, des bouts-rimés et des alexandrins décalés mais toujours surprenants par leur inventivité, car rien ne l'amuse plus qu'une rime à l'endroit et une réplique à l'envers. Les mots, je les pose sur la table, ils commencent à parler tout seuls et je m'en vais. » Cacographie Seule l'orthographe permet de distinguer une pieuvre d'un poulpe. Raoul Lambert. Mais que se cache-t-il donc sous cet horrible mot dont les origines grecques [kakos, mauvais », et graphie, écrire » ne laissent présager rien de bon si ce n'est quelque chose dans le genre orthographe vicieuse » ? Vicieuse ou pas, c'était encore au xix e siècle une méthode d'enseignement consistant à introduire volontairement dans un mot une faute d'orthographe pour la faire corriger par les élèves. Un comble ! En quelque sorte une espèce de jeu des sept erreurs. Jacques Prévert avait lui imaginé une belle image pour définir la cacographie C'est ma faute / C'est ma faute / C'est ma très grande faute d'orthographe / Voilà comment j'écris / Giraffe. » Quant à Alphonse Allais, il illustre aussi bien notre propos... au restaurant Pour commencer, je prendrai une faute d'orthographe. — Pardonnez-moi, Monsieur, il n'y en a pas. — Alors pourquoi dans ce cas les mettez-vous sur le menu ? » Faut-il alors, oui ou non, en vouloir à ceux qui ne respectent pas l'orthographe ? L'homme raisonnable qui sommeille en moi serait plutôt tenté de dire oui, bien sûr, et j'aborde d'ailleurs plus loin dans ce livre le débat complexe soulevé par l'opportunité ou non d'une réforme, véritable serpent de mer qui ressurgit régulièrement au gré des changements d'Administration. Mais l'amoureux de la langue et de ses subtilités aurait tendance à célébrer les joies de la cacographie, comme l'ont si bien fait Frédéric Dard Kayac peut s'écrire Kayak, mais l'essentiel c'est qu'il ne soit pas percé » ; Éric Chevillard Il est bien facile de distinguer la brume et le brouillard comme ça se prononce » ; Grégoire Lacroix L'ornithorynque est le seul animal qui ne sait pas écrire son nom sans faire des fautes d'orthographe. » Et je laisserai à Rivarol le soin de conclure à l'un de ses correspondants qui lui disait Je vous écrirai demain sans faute », il répondit Ne prenez pas cette peine, écrivez-moi comme à votre ordinaire ». Calembour Le calembour est un jeu de mots, le meilleur étant celui fait spontanément, fondé sur l'homonymie ou l'homophonie mots qui s'écrivent ou se prononcent de la même façon, mais différents par le sens, la paronymie mots dont l'écriture ou la prononciation est très proche, ou encore la polysémie mots ayant plusieurs sens. S'il n'y a pas recherche, si c'est le produit du hasard, c'est un lapsus. Le calembour n'a pas bonne presse, rappelons-nous Molière qui disait ramassé parmi les boues des Halles et de la place Maubert », Voltaire Le calembour est l'éteignoir de l'esprit », Charles de Rozan C'est l'enfant gâté de l'oisiveté et du mauvais goût, c'est l'esprit de ceux qui n'en ont pas, c'est l'apanage des sots », André Chénier Le Janus à deux fronts l'hébété calembour » ; quant à Victor Hugo, avec son Fiente de l'esprit qui vole. Le lazzi tombe n'importe où ; et l'esprit, après la ponte d'une bêtise, s'enfonce dans l'azur », il aurait pu s'abstenir de cette critique, étant l'auteur de ce qui suit Bon sens ne saurait mentir » Les Misérables. Dis-moi qui tu hantes et je te dirai qui tu hais » Océan. Le marquis de Bièvre 1747-1789, mousquetaire puis maréchal des logis des camps et des armées, et collaborateur de Y Encyclopédie, la tête et les jambes en somme, fut maître ès calembours ou ès kalembours. Notre marquis, auteur de la Lettre à la comtesse Tation, des Sentiments et Réflexions utiles de l'abbé Quille ou encore des Amours de l'ange Lure, et d'une tragédie en calembours, Vercingetorixe, était détesté des philosophes qui pensaient qu'écrire des phrases comme Une secrète horreur me glace au chocolat », Je vais me retirer dans ma tente ou ma nièce » déniait tout sérieux à la langue de la raison ; il n'en fut pas moins celui que Diderot et D'Alembert choisirent pour écrire un article dans un supplément de YEncyclopédie la commande tardive obligea à renoncer à le mettre à la lettre C et ce fut Kalembour. KALEMBOUR, ou CALEMBOUR, Gramm c'est l'abus que l'on fait d'un mot susceptible de plusieurs interprétations, tel le mot pièce, qui s'emploie de tant de manières pièces de théâtre, pièces de plein pied [s/c], pièces de vin, etc. Par exemple, en disant qu'on doit donner à la comédie une fort jolie pièce de deux sols, on fera de ce mot l'abus que nous appelons kalembour Article extrait du Supplément à l'Encyclopédie - 1777 . C'est peut-être en composant ce papier qu'il apprit que le ciel de lit s'était détaché pendant le sommeil de M. de Calonne et qu'il commenta par Juste ciel ! » Il faut ajouter que l'homme était redoutable, car il n'arrêtait pas ; quand son pâtissier chantait il lui conseillait de faire un gâteau de sa voix ; quand il voyait un enterrement il arrêtait ses chevaux de peur qu'ils ne prennent le mort aux dents ; ou, ayant planté six ifs dans son jardin pour y conduire certaines jeunes filles C'est l'endroit décisif » ; les puces étaient selon lui de la secte d'Épicure, et les poux d'Épictète. Autre exemple de son lyrisme Il plut à verse aux dieux de m'enlever ces biens. Hélas ! Sans eux brouillés que peuvent les humains. Jésus comme un cochon résistera leurs armes Et je pus comme un bouc dissiper vos alarmes. Cela commençait bien. Il se justifiait de son mauvais goût » Le goût des calembours n'est point une maladie chez moi, mais au contraire un remède pour repousser l'ennui et rappeler la gaîté. » Daniel Pennac nous donne lui aussi l'absolution, à nous, amateurs de calembours, quand il invoque une raison affective Il ne faut pas cracher sur les jeux de mots. Les plus mauvais sont nos meilleurs amis. C'est l'ineffable prix de l'intimité. » Ne livrons-nous pas en effet, sans calcul, avec confiance, nos mauvais jeux de mots seulement en présence de nos amis intimes, jeux de mots que l'on aime bien faire, comme le dit Alain Finkielkraut, entre la poire et le fromage ? Et Jean-Paul Grousset, grand calembourier » devant l'Éternel, nous tranquillise À notre connaissance, aucune loi, dans aucun pays, n'interdit de pratiquer le calembour. » Qu'il se rassure... cela viendra, au train où vont les interdictions. Freud, dans Le Mot d'esprit..., le dédaigne car jeu de mots fondé sur le son et non sur le mot [...] », mais Freud n'est peut-être pas l'invité idéal pour un réveillon... Ce calembour » est-il fils naturel de l'abbé de Calemberg, auteur médiéval ? De calembredaine et de bourde ? Ou de l'italien calamajo burlare, plaisanter avec la plume » ? Toujours est-il qu'il existait bien avant que notre marquis lui donne un patronyme Jésus-Christ a fait un calembour sur saint Pierre Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église », Adam et Ève Où est ta brosse, Adam ? », Aristophane, Homère, Plaute, Rabelais et, paraît-il, Cicéron I. De nos jours il se porte bien et fait partie de notre quotidien - Shell que j'aime - Le palais des thés -, les journaux, Libération Pour Nixon le glas, L'Équipe Let et le néant, Le Canard enchaîné, ainsi que dans les bandes dessinées comme Iznogoud ou Astérix le Gaulois Les Ibères sont rudes, Apollinaire, Coluche ou même Corneille. Après le xvm e siècle où toute une génération d'oisifs fréquentant les bureaux de l'esprit » se tordirent les côtes, le xix e siècle en raffola, on en mettait sur les cartes postales, les assiettes, les pots à tabac, il y eut même un Dictionnaire des calembours. Alphonse Allais donnait des noms calembouresques à ses personnages Tony Truant, Tom Hatt, Mac Larinett, l'abbé Trave. Il a ses spécialistes, certains disparus Alphonse Allais, Breffort surnommé l'Aigle des mots, Antoine Blondin, Cami, Commerson auteur des Pensées d'un emballeur, Frédéric Dard, Raymond Devos, Pierre Desproges, Feydeau, Sacha Guitry, Max Jacob, Henri Jeanson, Jacques Offenbach, Jacques Prévert, Mozart, Boby Lapointe, Willy, et quelques autres comme Patrice Delbourg, Marc Favreau, Jean- Paul Grousset, Gérald Genty, François Pérusse. Balzac Il ne faut pas courir deux lèvres à la fois. Francis Blanche Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. Corneille Vous me connaissez mal la même ardeur me brûle, Et le désir s'accroît quand l'effet se recule. Pierre Dac On est mieux assis que debout, et vermouth cassis. Patrice Delbourg L'amour avec un grand tas. Les trempettes de la renommée. L'enfer c'est les hôtes. Jean-Paul Grousset C'est beau mais c'est twist ! Les choses étant ce caleçon... Un peu d'Eire, ça fait Dublin ! Un seul hêtre vous manque et tout est des peupliers ! San-Antonio Tous les égouts sont dans la nature. Henri de Toulouse-Lautrec eh oui I La critique est Thésée, mais l'art est Hippolyte. Camus, Albert 1913-1960 Sa mort laisse en moi un vide énorme. Nous avons tellement besoin de ce juste. Eugène Ionesco. Je me souviens encore maintenant, cinquante-quatre ans plus tôt les journaux avaient mis à leur une, le 5 janvier, l'annonce de l'accident de voiture qui venait de coûter la vie à Albert Camus. J'avais lu l'année précédente son roman L'Étranger, et cette mort subite en pleine gloire, puisqu'il avait obtenu le prix Nobel en 1957, m'est apparue comme l'illustration tragique de l'absurde dont il avait fait un des thèmes centraux de son oeuvre. Camus est l'enfant d'un pays de lumière. Il est né en Algérie et a vécu toute son enfance dans les faubourgs populaires d'Alger, là où il situe son roman. Orphelin de père mort à la Grande Guerre, il a vécu avec son frère sous l'autorité d'une grand- mère froide et autoritaire qui estimait, comme la génitrice de Poil de Carotte, que l'amour lui était dû. Les enfants devaient dire - de préférence devant témoins et bien sûr devant leur maman, une petite femme effacée et silencieuse qui trimait dur pour apporter de l'argent à la maison - qu'ils préféraient leur grand-mère. Ils s'exécutaient la mort dans l'âme, et n'arrivaient pas à dire à leur maman combien ils l'aimaient, pas plus qu'elle-même en retour, comme Camus le raconte dans son essai L'Envers et l'Endroit. Camus a été un enfant enfermé dans une solitude affective qui a peut-être laissé des traces dans l'apparente indifférence de Meursault, le héros de L'Étranger. Je n'ai pas appris la liberté dans Marx, écrira-t-il dans Actuelles, je l'ai apprise dans la misère. » Mais il a su aussi apprécier la vie quotidienne d'Alger, le cri des marchands de glace, que son héros entendra du fond de sa prison, les corps bruns des jeunes gens sur la plage, la mer visible du coin de chaque rue. Élève boursier, il fréquente le lycée d'Alger. Sa réussite scolaire ne l'empêche pas de pratiquer intensément la natation ou le football. La tuberculose le freine à peine, et il pratique des tas de petits métiers, se marie, divorce deux ans plus tard, fonde le théâtre du Travail, milite au Parti communiste algérien qu'il quitte après deux ans quand le PC évacue la question des musulmans et ne les soutient plus dans leurs revendications. Revenu en Algérie après une hospitalisation en sanatorium dans les Alpes, il ne peut se présenter à l'agrégation car il est encore trop fragile. Il refuse de végéter dans un poste de professeur auxiliaire, devient journaliste à Alger Républicain et se consacre à récriture. Il se met en scène dans son roman L'Étranger, sous la forme d'un jeune journaliste, yeux clairs, visage asymétrique, qui donne à Meursault l'impression bizarre d'être regardé par lui- même. Il devient indésirable en Algérie à cause de ses opinions critiques à l'égard de la colonisation. Ainsi écrit-il dans le journal où il travaille à cette époque La misère en Kabylie m'enlève le droit de jouir de la beauté du monde. » Il se rend à Paris au début de la guerre, s'engage, mais est réformé en raison de son état de santé, travaille à Paris-Soir et entre dès 1941 dans la Résistance. Il dirige alors le journal clandestin Combat. Son activité littéraire redouble à la Libération, il publie La Peste et de nombreuses pièces de théâtre. Mais j'avoue que mon goût me porte vers son premier roman, où, il me semble, on retrouve moins le poids parfois pesant de ses thèses philosophiques et politiques que dans ses oeuvres suivantes, comme cela a été aussi le cas de Sartre. La rivalité entre les deux philosophes s'est d'ailleurs exacerbée avec le temps. Sartre, qui taisait l'effrayante machine du totalitarisme stalinien pour ne pas désespérer Boulogne-Billancourt », s'est offusqué de ce que Camus ait refusé de mentir et ait dénoncé ce totalitarisme. Pour Sartre, Camus n'était qu'un petit-bourgeois ! Ce qui est comique, car Sartre était un authentique grand bourgeois et n'a jamais approché la vraie misère, ni la vie naturelle et simple qui a été si importante pour Camus. Je reviens au choc que la lecture de L'Étranger a provoqué en moi la première page du journal que tient Meursault m'a littéralement frappé, ni coordination, ni subordination, une suite de phrases courtes, hachées, les verbes au passé composé, comme à l'oral. J'avais alors lu deux ou trois romans américains qui adoptaient cette neutralité du spectateur qui se contente d'enregistrer les faits sans les analyser. Mais là le procédé m'a semblé poussé au maximum, en parfaite adéquation avec le sujet. Lisez plutôt Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C'était peut- être hier. © Éditions Gallimard Meursault ne manifeste aucun chagrin. On saura plus tard qu'il n'avait guère de rapports avec sa mère, à qui il n'avait rien à dire comme tant de gens qui refusent de se l'avouer.... Il accepte docilement les rites de la veillée funéraire et des divers temps de l'enterrement. Il a sans doute de la peine, mais, accablé par la chaleur et le manque de sommeil, il est incapable de mentir et de manifester sa douleur aux yeux des assistants. Le lendemain dimanche, il retrouve une amie qu'il avait désirée jadis, il se baigne avec elle, l'accompagne au cinéma et voit un film de Fernandel comme elle l'a souhaité. Toutes ces circonstances dues au hasard auquel Meursault livre sa vie vont peser lourd dans son procès. Sa vie d'employé de bureau continue, banale et monotone. Sa liaison avec Marie se poursuit, il accepte de l'épouser sans l'aimer vraiment, comme il le lui avoue franchement quand elle lui pose la question. Il reste poussé par les événements extérieurs, les menus désagréments de la vie de bureau avec l'essuie-main trop humide le soir, le refus de partir en avancement à Paris qu'il juge trop noir et triste, les baignades heureuses, le copinage superficiel avec les voisins, le vieux Salamano qui martyrise son chien, Raymond qui se dit magasinier et qui est en fait maquereau, Masson l'ami de Raymond... Un dimanche, il va avec Marie et Raymond voir Masson qui a un cabanon sur une plage de banlieue. Après le déjeuner copieusement arrosé, les trois hommes ont une bagarre avec deux Arabes qui poursuivaient Raymond pour une histoire de femme. Ce dernier a le bras tailladé d'un coup de couteau. Meursault lui prend son revolver pour éviter l'escalade de la violence. Il réussit à lui faire regagner le cabanon où les deux femmes sont en pleurs. Mais, écrasé par la chaleur, il souhaite retrouver une source qui coule non loin du lieu de l'altercation. Malheureusement, l'Arabe qui avait agressé Raymond s'y trouve. Il y avait déjà deux heures que la journée n'avançait plus, deux heures qu'elle avait jeté l'ancre dans un océan de métal bouillant. [...] J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. [...] C'était le même soleil que le jour où j'avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. [...] l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. © Éditions Gallimard La sueur coule sur ses paupières et l'aveugle. Je souligne les premiers mots de liaison du récit qui mettent en valeur l'enchaînement inéluctable des circonstances qui amènent au meurtre Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent... Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur. © Éditions Gallimard Dans la seconde partie du roman, Meursault raconte son incarcération avec d'abord la même indifférence, le même sentiment d'être étranger » à ce qui lui arrive. Il ne se sent pas responsable du crime qu'il a commis, et quand on l'interroge sur les raisons qui l'ont poussé à commettre l'irréparable, il ne sait que répondre C'est le soleil », sans pouvoir expliquer le rôle essentiel que le soleil a précisément joué. La salle rit à sa réponse, incapable de comprendre que Meursault dit la vérité, comme toujours. Le monde judiciaire s'excite autour de son cas, du côté de l'accusation comme de celui de la défense, mais sans jamais lui demander son avis. En quelque sorte, on avait l'air de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se réglait sans qu'on prenne mon avis. © Éditions Gallimard Le procureur s'appuie sur l'apparente indifférence de Meursault lors de la mort de sa mère, corroborée par des preuves absurdes il a bu du café au lait pendant la veillée mortuaire, pour l'accuser d'avoir enterré sa mère avec un cœur de criminel. Le héros avait eu le tort de lui dire, sans mentir comme un vrai criminel, qu'il ne croyait pas en Dieu, ce qui avait fait basculer son accusateur dans une colère folle et l'avait convaincu qu'il était irrécupérable. Camus montre ainsi combien les jugements peuvent être influencés et faussés par des idées et des convictions qui n'ont rien à voir avec les accusés. Meursault est condamné à mort, et peu à peu il se révolte contre la monstrueuse injustice de nos institutions. L'aumônier dont il a toujours refusé la visite réussit à entrer dans sa cellule. Meursault lui déclare qu'il ne croit pas en Dieu et qu'il aime mieux consacrer le temps qui lui reste à vivre à ce dont il est sûr, la beauté de la Terre et de la nature qui lui ont apporté les seules vraies joies de sa vie. Importuné par les incessantes tentatives du prêtre pour l'amener vers Dieu, Meursault se révolte et le chasse. Après son départ, le condamné peut enfin profiter pleinement du monde La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée... Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. © Éditions Gallimard J'aurais pu aussi évoquer bien sûr La Peste, dont l'immense succès international a fait un classique de la littérature antitotalitaire, un hymne à la solidarité qui fait dire à Camus Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. » J'aurais pu également parler de Caligula, de L'Homme révolté curieusement condamné par Sartre dans un étonnant portrait en sorcellerie, ou de Noces à Tipasa. J'aurais pu enfin parler du Premier Homme, ce roman quasi autobiographique et inachevé que l'on a trouvé dans la Facel-Vega qui fut son tombeau ce triste 4 janvier 1960. Après avoir lu ces pages magnifiques, on comprend pourquoi il avait écrit dans une note en préparant son manuscrit En somme je vais parler de ceux que j'aimais. » Carabistouilles Carabistouilles » fait partie des mots que Ton aime prononcer et que Ton découvre au détour d'une page de dictionnaire, comme embrouillamini, amphigouri, nycthémère, foutriquet, salmigondis ou volapük. Qu'en disent nos dictionnaires ? Le Dictionnaire universel Larousse en 2 volumes de 1930 ne signale pas l'existence de la carabistouille. Par contre, les éditions récentes la mentionnent comme étant la version belge de la galéjade. Toujours est-il qu'à la même époque la carabistouille existe déjà, mais en wallon de Liège, avec l'orthographe carabistouye », sous la plume de Jean Haust dans son Dictionnaire liégeois. Il lui attribue alors la traduction française faribole ». Le Petit Larousse l'a accueillie avec pour synonymes bêtises, fariboles ». Le Petit Robert la boude, pourtant Bernard Pivot, dans 100 mots à sauver, lui dédiait ce texte Les carabistouilles -ah, quel mot comique et truculent, original et farceur ! -viennent de Belgique. Ce sont des fariboles, des bêtises, des propos anodins et un peu trompeurs. Ce mot est si rarement employé qu'il ne figure ni dans le Grand ni dans le Petit Robert ! Absent du Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse, il est heureusement présent au pluriel dans le Petit Larousse. Par pitié, qu'on l'y laisse ! Carry ou curry ? Le Maharadjah est l'ami du Shah. L'orthographe incertaine de divers mots est une source de tracas, autant pour qui maîtrise mal sa langue que pour celui qui s'en préoccupe. Je prépare un album sur les animaux ; dois-je écrire sconse, skons, skunks, ou skuns mot désignant la fourrure de la mouffette ? Un livre de cuisine cari, carry ou curry ? Un ouvrage sur la pêche èche, esche ou aiche ? Que les lecteurs fâchés avec l'orthographe se rassurent, car, même si les dictionnaires semblent rarement d'accord, toutes ces graphies sont possibles. Et bien d'autres mots peuvent s'orthographier de deux façons. D'où les deux dictées suivantes, aussi recevables l'une que l'autre. Première version Ami du chah, le maharajah, sitôt sorti de l'ashram, courut retrouver dans l'arrière-salle d'un bistro le guru et un muphti de ses amis. Étaient aussi présents un calife irakien, de Bagdad pour être précis, et un Cingalais, pêcheur à Puttalam et vêtu d'un chantoung coloré. Tous conversaient paisiblement autour d'un narguilé chargé de haschisch parfumé à l'huile de coprah. La curieuse confrérie ne tarda pas à divaguer, non loin de beaux lis et jolis bougainvilliers. Le muphti, qui était un grand soufi, entama une sourate et des soutra qui n'amusaient guère les quatre autres. C'est alors que le Cingalais proposa une partie de pêche en mer. Et notre équipage hétéroclite de se diriger vers le port de Nâgapattinam. Un aconier balèze, vieux briscard plein de bagou, embarqua tout ce beau monde. Pas loin du rouf, la voile faseillait et les aussières tremblaient, résistant au norois. Le maharajah choisit en guise de boëte un boucaud, prit une daurade et poussa un hourra. Le guru, dont l'esche était un cabillaud, ferra un béluga. Le muphti et le calife furent surpris de trouver dans leurs seines, en pleine mer, un chevesne et une barbote ! Après avoir arisé, ils accostèrent. Un canaque portant un baluchon et un jerrican les accueillit. Il était accompagné d'un bardeau et d'un cacatoès qui grignotait des cacahuètes. Quant au Cingalais, tout pêcheur qu'il était, il revint bredouille et dut se contenter au repas d'un bortsch, avec un peu d'aïoli, d'un goulache arrosé d'un verre de gnôle frelatée et de quelques akènes... Seconde version Ami du shah, le maharadjah, sitôt sorti de l'asram, courut retrouver dans l'arrière-salle d'un bistrot le gourou et un mufti de ses amis. Étaient aussi présents un khalife iraqien, de Baghdad pour être précis, et un Cinghalais, pêcheur à Puttalam et vêtu d'un shantung coloré. Tous conversaient paisiblement autour d'un narghilé chargé de hachich parfumé à l'huile de coprah. La curieuse confrérie ne tarda pas à divaguer, non loin de beaux lys et jolis bougainvilliers. Le mufti, qui était un grand sufi, entama une surate et des soutra qui n'amusaient guère les quatre autres. C'est alors que le Cinghalais proposa une partie de pêche en mer. Et notre équipage hétéroclite de se diriger vers le port de Nâgapattinam. Un acconier balaise, vieux brisquard plein de bagout, embarqua tout ce beau monde. Pas loin du roof, la voile faséyait, et les haussières tremblaient, résistant au noroît. Le maharadjah choisit en guise de boette un boucot, prit une dorade et poussa un hurra. Le gourou, dont l'aiche était un cabillau, ferra un bélouga. Le mufti et le khalife furent surpris de trouver dans leurs sennes, en pleine mer, un chevaine et une barbotte ! Après avoir arrisé, ils accostèrent. Un kanak portant un balluchon et un jerricane les accueillit. Il était accompagné d'un bardot et d'un kakatoès qui grignotait des cacahouètes. Quant au Cinghalais, tout pêcheur qu'il était, il revint bredouille et dut se contenter au repas d'un borchtch, avec un peu d'ailloli, d'un goulasch arrosé d'un verre de gnaule frelatée et de quelques achaines... J'ai ajouté ci-dessous quelques mots, en désordre, qui eux aussi se targuent de pouvoir s'écrire de deux façons Première façon aérolite, angrois coin de fer, aulne, becquet petit papier, bésef, bisexuel, bizut, blase, boomerang, cabale, caduc, caduque, canisse tige de roseau, carbonade ragoût, cariatide statue de femme, cèpe, chacone, chausse-trappe, chorde plante, cirre vrille des plantes grimpantes, clabot pièce mécanique, clé, cleptomane, cliquettement, cola fruit du kolatier, coquard, corniaud, cuillère, czar, drenne grive, emmental, épissoir poinçon, escarre, euristique qui sert à la découverte, fellaga, fedayin, fjord, flash, flegmon inflammation, granit, grateron plante, grizzli, homoncule avorton, horsain occupant d'une résidence secondaire, hululer, labri chien de berger, laïc, lause tuile, lice en termes de tissage, lombago, mafia, maelstrôm, mariole, maroilles fromage, mauresque, mironton, nénufar, orang-outan, oukase, oust, paie, parafe, picvert, plasticage, pouding, rai, rancard, redan, rigaudon, rufian, samouraï, saoul, sixain strophe de six vers, soja, tanin, taenia, taulard, teck, téléférique, téorbe instrument de musique, terril, trimbaler, tripou plat de tripes auvergnat, trucage, tsigane, tufeau roche calcaire, vigneau mollusque, vipereau petite vipère, walkyrie, yack, yaourt. Seconde façon aérolithe, engrais, aune, bequet, bézef, bissexuel, bizuth, blaze, boumerang, kabbale, chaconne, corde, chausse-trape, cirrhe, crabot, clef, kleptomane, cliquètement, kola, coquart, corniot, cuiller, tsar tzar, draine, emmenthal, épissoire, eschare esquarre, heuristique, fellagha, feddayin, fiord, flashe, phlegmon, granité, gratteron, grizzly, homuncule, horsin, ululer, labrit, laïque, lauze, lisse, lumbago, maffia, malstrom, mariolle, marolles, moresque, miroton, nénuphar, orang-outang, ukase, ouste, paye, paraphe, pivert, plastiquage, pudding, rais, rencard, redent, rigodon, ruffian, samuraï, soûl, sizain, soya, tannin, ténia, tôlard, tek, téléphérique, théorbe, terri, trimballer, tripoux, truquage, tzigane, tuffeau, vignot, vipériau, valkyrie, yak, yoghourt yogourt. Céline, Louis-Ferdinand 1894-1961 Je suis né à Asnières en 1894. Je suis du peuple du vrai. Oui, je sais, oser parler de Céline, cet abominable antisémite qui écrit des pamphlets d'une rare violence pendant la Seconde Guerre mondiale, est peut-être une provocation, mais on ne peut nier, hélas ou heureusement, qu'il a beaucoup apporté à la langue française. Ce qui frappe le plus dans l'œuvre romanesque de Céline, c'est sa petite musique », comme il le proclame lui-même. Non seulement il refuse d'emblée le style Académie française », tout lourd à l'encre, morts phrasibules, morts rhétoreux », avec une inventivité digne de Rabelais, mais aussi il veut retrouver le jaillissement impulsif de la langue orale, et plus encore le bouillonnement de la pensée brute, dégagée des corsets de la bienséance bourgeoise et du surmoi contrôlé par les interdits de siècles dominés par la religion. Céline a fait la guerre, il a vécu la folie meurtrière des officiers qui ne voyaient dans les soldats que de la chair à canon, il a été révolté par la roublardise immense » des embusqués de l'arrière, il a souffert de migraines incessantes causées par une blessure à la tête quand il était au front, ce qui n'a pas amélioré sa paranoïa sensitive. Céline a donc cherché sans cesse l'émotion », la vie la plus intense, la plus paroxystique, comme l'ont fait des peintres comme Soutine ou Francis Bacon. Chez Soutine, la carcasse d'un bœuf donne à voir la torture d'une chair dégoulinante d'un sang qui n'a absolument rien de l'esthétisme académique. Quant aux visages ravagés de Bacon, ils révèlent des êtres à la souffrance morale inextinguible. De même, Céline a cherché un autre langage qui aurait été chargé d'émotion immédiate, transmissible mot par mot, comme dans le langage parlé ». Quand on lit Céline, on est frappé par le caractère apparemment oral de sa prose. La profusion des points d'exclamation, pour traduire la violence de la pensée, ou celle des points de suspension, pour suivre les hésitations, les revirements d'une pensée confrontée à une réalité chaotique, ou encore le recours à des constructions tout en ruptures de phrases qui se cherchent, se perdent, dévient vers d'autres thèmes qui s'imposent en chassant l'idée précédente ou se superposent en un enchevêtrement labyrinthique montrent combien Céline est à l'encontre d'une pensée qui se veut logique ah ! Descartes ! ; enfin, l'emploi très fréquent des abréviations et de l'argot, exclus du français académique, rapproche son style de l'oral. Ainsi, la première phrase de Voyage au bout de la nuit commence par un populaire Ça a commencé comme ça ». Mais ce n'est pas par faute de vocabulaire. L'inventivité et la richesse des mots utilisés par Céline le rapprochent de Rabelais, comme lorsqu'il critique les morts phrasibules, morts rhétoreux » des livres académiques. Céline cherche à reconstituer une pensée proche de l'inconscient, qui d'habitude ne se manifeste que dans les rêves dont on se souvient. Ainsi s'explique l'extraordinaire violence de l'affrontement, dans Mort à crédit, entre le jeune héros et son père. On sait que Céline s'est inspiré de son enfance, mais, comme Francis Bacon qui n'a jamais brutalisé ses modèles pourtant si terribles à regarder tant le peintre en donne une vision torturée, Céline crée lui aussi une hallucinante scène de bagarre familiale [Mon père] recommence ses tremblements, il saccade de toute sa carcasse, il se connaît plus... Il crispe ses poings... Tout son tabouret craque et danse... Il se rassemble, il va ressauter... Il revient me souffler dans les narines, des autres injures, des autres injures... toujours des autres... Je sens moi aussi monter des drôles de choses... Et puis la chaleur... Je me passe les deux mains sur la bouille... Je vois tout drôle alors d'un seul coup !... Je peux plus voir... Je fais qu'un bond... Je suis dessus !... Je soulève sa machine à écrire, la lourde, la pesante... Je la lève tout en l'air. Et plac !... d'un bloc là vlac !... je la lui verse dans la gueule ! L'altercation s'amplifie démesurément, un peu à la façon de celle qui oppose frère Jean des Entommeures aux partisans de Pichrocole venus piller la vigne du cloître de frère Jean. Le père du héros de Mort à crédit n'est pas en reste. Lui aussi se déchaîne avec une violence née dans les tréfonds de l'inconscient. Mais la grande différence avec Rabelais est que cette haine qui secoue les protagonistes me paraît née des dégoûts obsessionnels qui mènent Céline et le minent au plus profond de son inconscient. Son écriture a un souffle qui prend le lecteur aux tripes et le met face à la noirceur du monde et à sa propre noirceur. La lecture de Céline m'oblige à reconnaître sa vision tragique du monde, mais elle est tempérée par un emploi savant de l'humour noir et de l'ironie, comme dans la scène que j'ai évoquée plus haut, où les personnages deviennent loufoques et burlesques, pour mon plus grand plaisir. Chanson La La bonne chanson se venge toujours par la durée. Patrice Del bourg. On ne sera pas étonné, je l'espère, de trouver cette rubrique dans un ouvrage consacré à la gloire de la langue. La chanson emprunte évidemment beaucoup à la littérature et à la poésie où elle trouve la matière qui la construit. C'est l'alliance, certes plus ou moins réussie, entre un texte et une musique. En ce qui concerne le rapport entre poésie et chanson, tout le monde n'est pas d'accord. On ne peut en effet parler de texte poétique », dans la mesure où celui-ci obéit à un certain nombre de règles formelles qui appartiennent au champ de la poésie versification et rimes entre autres. L'ami Patrice Delbourg, dans un formidable hit-parade intime où il célèbre ses chanteurs préférés Les Funambules de la ritournelle, Écriture, 2013, affirme haut et clair que pour lui seuls ont le droit de cité les cajoleurs de mots » et nous propose un autre point de vue que je partage volontiers. Une muraille de Chine sépare et séparera toujours chanson et poésie. L'une est de l'ordre du jour, l'autre reste au service de la nuit. Brassens, Brel ou Nougaro ne s'y trompaient pas. Ils ont toujours laissé Nerval, Desnos ou Apollinaire jouer dans une autre catégorie. Léo Ferré enfonçait le clou "Nul ne peut se proclamer poète. Ceux qui le font, ce sont des rimailleurs du dimanche qui ont les plaquettes éditées à compte d'auteur. Poète ! C'est comme si on me disait que je suis un cordonnier qui fait de belles chaussures..." » Ce qui fait qu'une chanson va dans la rue tient à la musique, ce qui fait qu'elle y reste est le privilège des paroles », affirmait Aznavour. Il faut toujours croire la chanson sur parole », ajoute Delbourg qui prétend ne pas avoir de compétences musicales et se dit même joliment en congé de mélodie », mais cet obsédé textuel qui aime le verbe, le triture, le malaxe, le lance en l'air, le pétrit et le manipule n'hésite pas à confirmer que c'est à ce titre que la chanson a toujours été pour lui une compagne régulière, persistante, confidente des bons et des mauvais jours ». Il ne revendique qu'une seule expertise, celle des mots qui viennent tout bas, bleus, gris, multicolores, ouatés ou couverts d'épines... ». Chateaubriand, François-René de 1768-1848 Tous les jours sont des adieux. Mémoires d'outre-tombe. Chateaubriand est l'initiateur du mouvement romantique. Il eut une jeunesse rêveuse et solitaire au bord de l'océan, où il passe des heures à écouter le refrain des vagues ». Cette écoute prolongée de la musique hypnotique du flux pélagique a- t-elle influencé sa sensibilité poétique ? Je me plais à le croire, tant ses phrases ont une fluidité, un rythme au pouvoir suggestif. Ainsi, dans ses Mémoires d'outre¬ tombe, il réussit à peindre le plaisir indicible » qu'il ressent au retour des tempêtes » [...] le passage des cygnes et des ramiers, le rassemblement des corneilles dans la prairie de l'étang, et leur perchée à l'entrée de la nuit sur les plus hauts chênes du Mail. Lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre au carrefour des forêts, que les complaintes du vent gémissaient dans les mousses flétries, j'entrais en pleine possession des sympathies de ma nature [...] La nuit descendait ; les roseaux agitaient leurs champs de quenouilles et de glaives, parmi lesquelles la caravane emplumée, poules d'eau, sarcelles, martins- pêcheurs, bécassines, se taisait ; le lac battait ses bords ; les grandes voix de l'automne sortaient des marais et des bois... L'adolescent rentre alors au château familial, le château de Combourg... Huit heures sonnaient. À peine retiré dans ma chambre, ouvrant mes fenêtres, fixant mes regards vers le ciel, je commençais une incantation. Je montais avec ma magicienne sur les nuages roulé dans ses cheveux et dans ses voiles, j'allais, au gré des tempêtes, agiter la cime des forêts, ébranler le sommet des montagnes ou tourbillonner sur les mers. » Dès René, publié en 1802, Chateaubriand dépeint les symptômes du fameux mal du siècle » qu'ont éprouvé, peu ou prou, tous les écrivains romantiques qui ont suivi, jusqu'à Baudelaire et son spleen. On m'accuse d'avoirdes goûts inconstants, de ne pouvoir jouirlongtemps de la même chimère, d'être la proie d'une imagination qui se hâte d'arriver au fond de mes plaisirs, comme si elle était accablée par leur durée ; on m'accuse de passer toujours le but que je ne puis atteindre hélas ! je cherche seulement un bien inconnu, dont l'instinct me poursuit. Chateaubriand se sent impuissant à décrire cette foule de sensations fugitives, qu'[il] éprouvait dans [ses] promenades. Les sons que rendent les passions dans le vide d'un cœur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d'un désert on en jouit, mais on ne peut les peindre ». Chateaubriand a eu une existence fort compliquée, en raison des innombrables séismes historiques que la France a subis alors. À 18 ans, il prend un brevet de sous- lieutenant, est présenté au roi Louis XVI à Versailles, se lance dans la vie dissipée des salons parisiens. Il voit les débuts de la Révolution avec une certaine sympathie, part en Amérique en 1791 sur les traces de La Fayette, ce qui va nourrir son imaginaire. À la nouvelle de l'arrestation de Louis XVI, il rentre en France et doit s'exiler à Londres. Il revient en France en 1800 et connaît le succès avec ses romans qui se déroulent dans les forêts profondes de l'Amérique. Il entre en opposition avec Napoléon dont il critique la tyrannie. En 1814, il rédige un pamphlet, De Buonaparte et des Bourbons , qui, selon Louis XVIII, fit plus pour la restauration monarchique qu'une armée de cent mille hommes. Va-t-il devenir un courtisan ? Non, c'est un opposant à toute forme de pouvoir, en raison de ce fameux vague des passions », qui ne peut se fixer sur aucun objet. Il est un polémiste redoutable. Éloigné de France comme ambassadeur, il se ruine pour faire briller son pays. Je vous fais grâce des innombrables péripéties qui jalonnent sa carrière. Lisez ou relisez les Mémoires d'outre-tombe ! Revenons plutôt au vague des passions », que Chateaubriand décortique dans Le Génie du christianisme Il reste à parler d'un état de l'âme qui, ce nous semble, n'a pas encore été bien observé c'est celui qui précède le développement des grandes passions, lorsque nos facultés, jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état de vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste le grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l'homme et de ses sentiments rendent habiles sans expérience. On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse, l'existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite, avec un cœur plein, un monde vide ; et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout. Remplaçons la multitude des livres par la multitude des émissions de télévision et la masse indistincte des informations sur la Toile, et nous avons le tableau du désarroi des esprits actuels ! Certes, on ne connaît plus les soubresauts terribles de la Révolution, belle fête vite entachée par le fanatisme et la Terreur, puis l'Empire qui fauche des millions de combattants, la Restauration qui n'a pas compris que l'ancien monde monarchique n'est plus, la révolution de 1830 trahie, le retour en force des banquiers et de la bourgeoisie, qui se cachent sous une caricature de roi bourgeois, Louis-Philippe ; mais nous vivons actuellement dans une pseudo¬ démocratie, où règne en fait le pouvoir mondialisé de l'argent, nos politiques se contentant d'empocher les miettes et de calmer le petit peuple... Heureusement, il nous reste la poésie si mélodieuse des récits de Chateaubriand, comme lorsqu'il raconte la bataille de Waterloo il est alors en Belgique avec Louis XVIII qui a fui le retour de Napoléon de l'île d'Elbe. Il se promène dans la campagne Je crus ouïr un roulement sourd [...] Je prêtai l'oreille ; je n'entendis plus que le cri d'une poule d'eau dans les joncs et le son d'une horloge de village. Je poursuivis ma route je n'avais pas fait trente pas que le roulement recommença, tantôt bref, tantôt long, et à intervalles inégaux ; quelquefois il n'était sensible que par une trépidation de l'air, laquelle se communiquait à la terre sur ces plaines immenses, tant il était éloigné. Ces détonations moins vastes, moins onduleuses, moins liées ensemble que celles de la foudre, firent naître dans mon esprit l'idée d'un combat [...] Un vent de sud s'étant levé m'apporta plus distinctement le bruit de l'artillerie. Cette grande bataille, encore sans nom, dont j'écoutais les échos au pied d'un peuplier, et dont une horloge de village venait de sonner les funérailles inconnues, était la bataille de Waterloo ! Auditeur silencieux et solitaire du formidable arrêt des destinées, j'aurais été moins ému si je m'étais trouvé dans la mêlée le péril, le feu, la cohue de la mort ne m'eussent pas laissé le temps de méditer; mais seul sous un arbre, comme le berger des troupeaux qui paissaient autour de moi, le poids des réflexions m'accablait Quel était ce combat ? Était-il définitif ? Napoléon était-il là en personne ? Le monde, comme la robe du Christ, était-il jeté au sort ? Succès ou revers de l'une ou l'autre armée, quelle serait la conséquence pour les peuples, liberté ou esclavage ? Mais quel sang coulait ! Chaque bruit parvenu à mon oreille n'était-il pas le dernier soupir d'un Français ? Était-ce un nouveau Crécy, un nouveau Poitiers, un nouvel Azincourt, dont allaient jouir les plus implacables ennemis de la France ? S'ils triomphaient, notre gloire n'était-elle pas perdue ? Si Napoléon l'emportait, que devenait notre liberté ? Bien qu'un succès de Napoléon m'ouvrît un exil éternel, la patrie l'emportait dans ce moment dans mon cœur ; mes vœux étaient pour l'oppresseur de la France, s'il devait, en sauvant notre honneur, nous arracher à la domination étrangère. Peu de nos journalistes sont capables de sentir les aspects contradictoires d'une situation dramatique. Chateaubriand est déchiré entre son loyalisme monarchique et son patriotisme, et toute sa vie a été dominée par son goût pour la liberté de pensée. Cocotte ou Amanda ? Dans la Haute-Rue à Cologne Elle allait et venait le soir Offerte à tous en tout mignonne Puis buvait lasse des trottoirs Très tard dans les brasseries borgnes. Apollinaire, Marizibill ». Les hiérarchies et les conflits qui occupent, hélas, nos vies se manifestent sans cesse à travers les mots. Dans son fameux ouvrage sur la prostitution à Paris 1836, Alexandre Parent- Duchâtelet inventorie les prénoms des filles de joie », très différents selon la classe » à laquelle elles appartiennent. Il précise Beaucoup de filles publiques se donnent ou reçoivent de leurs camarades un nom de guerre ou sobriquet sous lequel elles sont plus volontiers connues ; ces noms, que j'ai relevés avec soin, offrent de grandes dissemblances, suivant les classes des prostituées, et donnent à eux seuls une idée de ce que peuvent être les sociétés qu'elles fréquentent, les lectures qu'elles peuvent faire, l'éducation qu'elles ont acquise et la valeur qu'elles attachent aux expressions. » Classe inférieure Rousselette, La Courtille, Parfaite, Colette, Boulotte, Mourette, La Ruelle, La Roche, Cocotte, Poil-Ras, Poil-Long, Raton, La Blonde, Baquet, La Picarde, La Provençale, L'Espagnole, Belle-Cuisse, Belle-Jambe, Peloton, Rosier, Faux-cul, Mignarde, Fusil, Bourdonneuse, Cocarde, Crucifix, Le Bœuf, Beignet, Brunette, Bouquet, Louchon. Classe élevée Armide, Zulma, Calliope, Irma, Zélie, Amanda, Paméla, Modeste, Natalie, Sidonie, Olympe, Flore, Thalie, Aspasie, Lucrèce, Clara, Angélina, Flavie, Célina, Émélie, Reine, Anaïse, Delphine, Fanny, Virginie, Azélina, Ismérie, Lodoïska, Palmire, Arthémise, Balzamine, Armande, Léocadie, Octavie, Malvina. Mais tout n'est pas digne d'être aimé dans notre langue. Dans son Dictionnaire érotique Payot, 2006, Pierre Guiraud avait recensé environ 500 mots pour désigner la prostituée ! Parmi d'autres, ce sont la cascadeuse, la chandelle, la cocotte, l'essoreuse, la gagneuse, la gourgandine, la gueuse, la maraudeuse, la michetonneuse, l'ouvrière, la patineuse, la racoleuse, la roulure... ». Le plus souvent dépréciatives, ces appellations montrent sans détour la place inférieure où ces femmes sont cantonnées. La prostituée, c'est aussi le bifteck, le bourrin, la conasse nombreux suffixes en -asse, la gadoue, la gamelle, la gaupe, la grognasse, l'impure, la paillasse, la pas grand-chose, la peau de chien, la pétasse, la pintade, la poufiasse, la pisseuse, la radasse, la roulure, la salope, la souillon, la traînée, la tripasse, la truqueuse, la vache, la viande, la volaille... ». Reste heureusement quelques autres sobriquets, moins nombreux mais plus politiques la dulcinée, l'enchanteresse, la mignonne, la vestale... », ainsi que les mots au suffixe en -ette la cocodette, la coquette, la godinette, la gripette, la grisette, la lorette, la ponette, la safrette... ». Coincer la bulle C'est du lard ou du cochon ? Le sens de nombreuses expressions tout à fait courantes est souvent opaque. Aidé entre autres par le travail magistral de notre regretté Claude Duneton [La Puce à l'oreille, Balland, 1985, je rappelle ici l'origine et le sens exact de quelques-unes d'entre elles. Ne pas être dans son assiette. Non ! Il ne s'agit pas ici de l'assiette ordinaire des repas, mais du sens qu'avait le mot jadis la situation, la manière d'être assis, pour un cavalier. Coincer la bulle. Cette bulle est celle du niveau permettant de vérifier qu'un plan est bien à l'horizontale. Dans cette position, la bulle est immobile, comme celui qui se tourne les pouces... De but en blanc. Dans l'art militaire d'autrefois, le but ou butte était le lieu d'où l'on tirait à l'arquebuse ou au canon et le blanc la cible visée. Un rhume carabiné. Carabiné vient de carabin, cavalier militaire au xvi e siècle. Dans les assauts, ils utilisaient leur carabine de manière particulièrement violente. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Cette expression rappelle le temps où la chandelle était cet objet qui servait à éclairer ; en certain cas, le jeu rapportait moins que le coût de cette précieuse chandelle ! Voltaire, cet hédoniste, déclarait Amusez-vous de la vie, il faut jouer avec elle ; et quoique le jeu n'en vaille pas la chandelle, il n'y a pas d'autre parti à prendre. » Devoir une fière chandelle. On remercie Dieu et la personne qui nous a rendu service en faisant brûler une fière » c'est-à-dire grande chandelle... Porter le chapeau. L'expression viendrait de la triste époque de l'Inquisition, quand les hérétiques » étaient envoyés au bûcher coiffés d'une espèce de chapeau conique. Faire bonne chère. Il ne s'agit pas ici de la chair ». La bonne chère », c'est la bonne mine, le visage épanoui après un bon repas du latin cara, le visage », qui a donné chiere », puis chère ». Ménager la chèvre et le chou. Ménager doit ici s'entendre au sens de conduire, diriger » sa maison, par exemple. L'expression signifie ainsi se faire l'arbitre pour éviter que le plus fort la chèvre ne dévore le plus faible le chou. Faire chou blanc. L'expression n'aurait rien à voir avec la plante bien connue, mais elle viendrait du jeu de quilles. Faire coup blanc chou blanc » en berrichon, c'est n'avoir renversé aucune quille. Sauter du coq à l'âne. Devant l'incertitude étymologique de cette expression, Claude Duneton proposait l'explication suivante, l'âne, jusqu'au xm e siècle, désignait la cane, femelle du canard. Certains coqs lascifs cherchent à saillir sauter » la cane, avant d'y renoncer. D'un mot, sauter du coq à l'âne, c'est faire ou dire un peu n'importe quoi. Vivre aux crochets de quelqu'un. Autrement dit lui faire porter le fardeau », se décharger sur lui de tout souci matériel. Le crochet désigne une sorte de hotte qui servait jadis aux portefaix. Tenir la dragée haute. Ce n'est pas la fameuse dragée des baptêmes, mais la dragée de cheval » dragie, au xm e siècle, c'est-à-dire du fourrage de bonne qualité destiné aux chevaux, et qu'on leur donnait avec parcimonie, en hauteur ». Être dans de beaux draps. Cette expression est une réduction de beaux draps blancs » ; ainsi chez Molière Ah, coquines que vous êtes ; vous vous mettez dans de beaux draps blancs à ce que je vois ! » Naguère, en effet, celui ou celle qui avait commis le péché de chair » devait faire pénitence en se présentant à régiise vêtu de vêtements blancs couleur symbolisant la pureté. Tirer son épingle du jeu. Il s'agit bien en effet d'un jeu d'épingles, pratiqué par les jeunes filles au xv e siècle. Au moyen d'une balle, chacune devait retirer l'épingle qu'elle avait mise parmi d'autres dans un cercle au pied d'un mur. Des espèces sonnantes et trébuchantes. Jadis, pour vérifier la bonne valeur d'une pièce, il fallait d'abord la faire sonner sur une table, puis la peser sur un trébuchet Petite balance fort juste & fort délicate, que le moindre poids fait trébucher » Furetière. Un remède de bonne femme. À partir d'une déformation propre à l'étymologie populaire de bonne famé latin fama de bonne renommée. Faire long feu. L'expression date de l'époque où les armes à feu se chargeaient par la gueule. Le long feu » se produisait quand la mèche brûlait mal et trop longtemps pour envoyer correctement le projectile. L'expression signifie donc d'abord échouer », et par dérivation durer longtemps ». Mais dire Son projet n'a pas fait long feu », pour signifier qu'il a raté, est un contresens. Tirer les marrons du feu. Avoir des difficultés à faire quelque chose en se brûlant ; et pas du tout en profiter. Le gîte et le couvert. Ici, le couvert », c'est le toit ce qui couvre et non la table. Faire la grasse matinée. Au xvii e siècle, Furetière avançait cette explication On dit que femme dort la grasse matinée, pour dire qu'elle se lève tard et qu'elle se tient au lit pour devenir grasse, pour faire du lard. » Claude Duneton proposait une interprétation bien différente ! Gras vient du latin crassus, épais ». La grasse matinée, ce serait ainsi la matinée épaisse », qui s'étend longuement. Prendre la mouche. On prend la mouche on est irrité, piqué au vif », comme par une guêpe, une abeille ou un taon. Jadis, la mouche pouvait désigner ces autres insectes. Payer en monnaie de singe. L'expression remonte au Moyen Âge, quand les piétons devaient payer un droit de passage sur le Petit-Pont, à Paris. En étaient exempts les amuseurs, en particulier les montreurs de singes. Tenir le haut du pavé. Autrefois les pavés des rues formaient une sorte de rigole en leur centre afin de laisser s'écouler l'eau. Être en haut du pavé, pour rester au sec, était le privilège des personnages importants. Être mis à pied. Citons encore Furetière, lequel nous apprend qu'on a mis quelqu'un à pied quand on lui a fait vendre son équipage ». Autrement dit, il a dû descendre de cheval, c'est-à-dire quitter son rang. Se mettre à poil. On monte un cheval à poil, écrit Furetière, quand on le monte sans selle, et le dos nu. » C'est un synonyme de à cru, qui voulait dire aussi à peau nue ». À poil signifiait aussi brave, courageux » ; sens perceptible avec les Poilus de la Première Guerre. Reprendre du poil de la bête. L'expression provient d'une ancienne coutume des Romains, suivant laquelle il fallait poser sur la plaie un poil du chien qui vous avait mordu », précise Claude Duneton, qui ajoute C'est le remède bien connu qui consiste à avaler un verre d'alcool le lendemain d'une cuite pour chasser la gueule de bois. » Avoir ou mettre la puce à l'oreille. Cette expression, qui signifie aujourd'hui prévenir par une confidence », avait autrefois un sens beaucoup plus fort avoir des démangeaisons amoureuses. Ainsi chez La Fontaine Fille qui pense à son amant absent / Toute la nuit, dit-on, a la puce à l'oreille. » Être au bout du rouleau. Le rouleau ou rôle, jusqu'au xvm e siècle, c'est la feuille enroulée qui sert de support à un texte. Le petit rouleau se nommait rollet, qui signifiait aussi un rôle secondaire au théâtre. Un homme est au bout de son rollet, écrit Furetière, quand il ne sait plus que dire, ni que faire en quelque discours qu'il a commencé, en quelque affaire qu'il a entreprise. Et, par extension, quand il ne sait plus où trouver de quoi vivre ». Ensuite, au xvm e siècle, le rouleau désigne les pièces de monnaie enveloppées dans du papier. Être au bout de son rouleau, c'est avoir tout épuisé, moyens ou argent. Un peu plus tard, l'expression a trouvé une nouvelle vigueur avec le rouleau du phonographe d'Edison, mû par un système de ressort. Sabler ou sabrer le champagne. Sabler », c'est avaler son verre d'un coup. Suivant Littré, les buveurs d'autrefois versaient un peu de sucre fin dans leur flûte pour faire mousser un peu plus le champagne... Quant à sabrer », ce serait couper net d'un coup de sabre le bout du goulot... Mettre ou être sur la sellette. Jusqu'à la Révolution, la sellette était un petit tabouret sur lequel s'installait un accusé pour être interrogé. Passer à tabac. Au xvii e siècle, donner du tabac » signifie se battre », c'est-à-dire passer la main sous le nez de l'autre, comme pour le faire priser une dose de tabac. L'expression a sans doute été ensuite contaminée par le verbe occitan tabassar, frapper à coups redoublés ». Trier sur le volet. L'expression date de l'époque du Moyen Âge au xvi e siècle où le volet était un tissu, puis un tamis ou une planche, sur laquelle on triait des légumes. Il n'en demeure pas moins qu'aussi belle et désirable soit-elle, notre langue n'est pas toujours bien faite. La preuve avec certaines expressions et proverbes qui n'ont aucun sens - ou un sens contraire à la réalité -, ou sont encore d'une évidence parfois absurde Comme un coq en pâte. Avoir un appétit d'oiseau. Presser le citron. C'est du lard ou du cochon ? Mener quelqu'un en bateau. Avoir le cul bordé de nouilles. Long comme un jour sans pain. Avoir un cœur d'artichaut. Péter les plombs. Être le bec dans l'eau. Sage comme une image. Compter pour du beurre - expression contredite par Mettre du beurre dans les épinards, comme l'est le proverbe Mieux vaut tenir que courir, par Qui ne risque rien n'a rien - ou encore À père avare fils prodigue, par Tel père, tel fils. Il vaut mieux faire envie que pitié. Cousu de fil blanc. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Coûter la peau des fesses. C'est la tarte à la crème. Un pavé dans la mare. Prendre le taureau par les cornes. Qui paye ses dettes s'enrichit. Les carottes sont cuites. Tous les chemins mènent à Rome. Dormir sur ses deux oreilles, etc. Voilà quelques années, j'avais commis un opus » intitulé 99 clichés à foutre à la poubelle dans lequel je fustigeais ces expressions souvent à base d'oxymores ou de pléonasmes qui font florès un vaste tour d'horizon, un calme olympien, un cruel dilemme, un échec cuisant, un lourd tribut, un stupide accident, une brève apparition, une énergie débordante, une course de vitesse, un illustre inconnu... Un peu plus tard, j'ai récidivé, en m'en prenant cette fois à divers proverbes que je jugeais dépassés. Ainsi... à bon chat bon rat, la nuit porte conseil, tous les goûts sont dans la nature, l'argent ne fait pas le bonheur Jules Renard Si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! », pas de nouvelles, bonnes nouvelles, gui vivra verra, après la pluie le beau temps, etc. Mais le pire ce sont ces clichés et autres poncifs qui envahissent notre logosphère ». La presse, hélas, en est friande. Remy de Gourmont écrivait à ce sujet Le cliché représente la matérialité de la phrase tandis que le lieu commun est la banalité de l'idée. » Pascal Perrat appelle ce mal le prêt-à-dire-et-à-écrire ». Et, dans son livre Écrire à clichés fermés, il en a recensés pas moins de 600 à éviter surtout à l'écrit, parmi lesquels la vitesse de croisière, un petit tour d'horizon, une embellie spectaculaire, un pas décisif, à des années-lumière, à géométrie variable, le noyau dur, à l'autre bout de la chaîne, un impératif absolu, à la croisée des chemins, remporter un franc succès, à visage humain, un rythme d'enfer, au beau fixe, monter au créneau, etc. Colette, Sidonie-Gabrielle 1873-1954 Le vice, c'est le mal qu'on fait sans plaisir. Claudine en ménage. Sidonie-Gabrielle Colette est née en 1873 dans un village de Bourgogne, Saint- Sauveur-en-Puisaye. Sa mère, qu'elle nomme Sido dans ses livres, lui fait goûter les joies profondes du spectacle de la nature. Son père l'initie à la lecture. À vingt ans, Colette épouse un chroniqueur mondain, surnommé Willy. Il l'entraîne dans les fastes de la Belle Époque. Habitué à faire travailler une équipe de nègres pour rédiger ses articles, il décèle vite le talent de sa jeune femme, et lui fait écrire, en les signant lui-même, des romans tirés de son enfance Claudine à l'école , Claudine à Paris , Claudine en ménage , Claudine s'en va 1900-1905. Voici comment un familier du couple les décrit Vu le commis voyageur Willy, bardé de jeux de mots et d'à peu près [...] Près de lui Colette [...] avec sa mine d'enfant gâté et méchant, de cancre femelle, insupportable et contente d'elle. » Évidemment, quand, avec le recul du temps, on sait qu'elle seule avait du talent, on comprend mieux le comportement de la jeune épouse que son mari trompait sans arrêt, se prenant pour le coq du village, et qu'il exploitait sans vergogne ! Sauvage et libre, Colette fuit les rodomontades de son mari et gagne sa vie en se lançant, au grand scandale des bien-pensants, dans le music-hall, où elle danse à demi nue dans des pantomimes aux titres évocateurs, La Chair, Salomé. Voici ce que Colette écrit dans La Vagabonde , qui évoque sa vie d'alors Sur les côtés, il y a une ligne sombre d'hommes, debout. Ils se pressent, ils se penchent, avec cette curiosité [...] rossarde de l'homme du monde pour la femme dite déclassée, pour celle à qui l'on baisa le bout des doigts dans son salon et qui danse maintenant, demie-nue, sur une estrade [...] Allons, allons ! je suis trop lucide, ce soir, et si je ne me reprends, ma danse va en pâtir [...] Je danse, je danse [...] Un beau serpent s'enroule sur le tapis de Perse, un nuage s'élève et s'envole, orageux et bleu, une bête féline s'élance, se replie, un sphinx, couleurde sable blond, allongé, s'accoude, les reins creusés et les seins tendus [...] Comble du scandale, Colette affiche sa bisexualité aux côtés de Missy, la fille du duc de Morny, qui joue auprès d'elle sur les scènes de cabaret ! J'aime bien cette liberté, ce refus des convenances qui auraient voulu qu'elle reste une femme soumise au foyer, comme tant de femmes richement mariées qui ferment les yeux sur les débordements de leur propriétaire. Colette sait évoquer mieux que personne sa sensualité épanouie à partir de l'amour charnel qu'elle vit, à écouter tout ce qui dans la nature frémit et bruit et le chant bondissant des frelons fourrés de velours ». Dans Dialogues de bêtes , elle se dépeint ainsi Son esprit court comme un sang subtil le long des veines de toutes les feuilles, se caresse au velours des géraniums, à la cerise vernie, et s'enroule à la couleuvre poudrée de poussière, au creux du sentier jaune [...] Ses mains pendantes, qui semblent vides, possèdent et égrènent tous les instants d'or de ce beau jour lent et pur. » Colette parle avec passion du frôlement du bonheur ». Là encore, je lui laisse la parole Moi, j'aime. J'aime tant tout ce que j'aime ! Si tu savais comme j'embellis tout ce que j'aime, et quel plaisir je me donne en aimant ! Si tu pouvais comprendre de quelle force et de quelle défaillance m'emplit ce que j'aime ! [...] C'est cela que je nomme le frôlement du bonheur. Colette revendique haut et clair les droits de l'amour charnel sur les conventions sociales. En 1920, elle écrit Chéri, qui raconte les amours passionnées entre un jeune homme et une femme mûre, cinq ans avant d'entamer elle-même une liaison sulfureuse avec le fils, âgé de 17 ans, de son deuxième mari, Henri de Jouvenel, qui se révéla, comme Willy, un coureur de jupons impénitent. Et c'est elle qui mit fin à leur relation après cinq ans, avant que le jeune homme, toujours passionnément épris, ne la voie comme la vieille femme qu'elle était en train de devenir elle avait 25 ans de plus que lui, et la vie trépidante qu'elle avait vaillamment menée ne l'avait pas épargnée physiquement. Colette a été une femme et un écrivain hors du commun. Son écriture poétique ne nomme pas une odeur, une fleur, un paysage, elle les ressuscite, elle voit derrière le réel d'invisibles présences, à la façon des peintres impressionnistes qui subliment et immortalisent les sensations fugitives. J'aime sa fascination pour les mots, les mots savants pour désigner les fleurs étranges comme l' aristolochia labiosa » Flore et Pomone, les archaïsmes comme aveindre » pour prendre [La Naissance du jour ou les néologismes comme la langue salonnière » Les Vrilles de la vigne. Elle aime particulièrement utiliser le vocabulaire de la végétation pour métamorphoser le réel Un corsage lilas, un buisson de cheveux crêpelés, d'un rose de cuivre, éclairèrent le haut de la rue » Sido. Rien n'arrête sa créativité et sa recherche permanente pour inventer une espèce de prose poétique toujours pleine de lyrisme Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux » [Sido. Contrepèterie Quand, en I960, Coluche transforme Mammouth écrase les prix » en Mamie écrase les prouts », il est le digne successeur de son ancêtre Rabelais et de sa fameuse femme folle à la messe et femme molle à la fesse » de 1532. Ce jeu de mots, comique verbal, consiste à permuter certains phonèmes ou syllabes d'une phrase afin d'en obtenir une nouvelle qui présente alors un sens différent, parfois grivois. Le terme contrepèterie dérive de l'ancien français contrepéter, rendre un son pour un autre ». On donne rarement la solution d'une contrepèterie. À chacun d'imaginer la solution ; elle nécessite trois protagonistes celui qui l'invente, celui qui la comprend et... celui qui ne la comprend pas. À titre d'exemple, voici quelques élégants contrepets La pièce du fond. L'art de caler les sons. Ces soupers manquent de pains. Elle est assise sur la berge du ravin. La Chine se lève à l'appel des Nippons. Superman a une bouille incroyable. Brancher les colonnes. L'Afrique est bonne hôtesse. La cuvette est remplie de bouillon. Des piles de boîtes. Elles se lèvent au couchant. La botte à Staline. Mets ta casquette. Comme le fait remarquer le regretté Claude Gagnière [Au bonheur des mots , 1989, Robert Laffont Aux xvn e et xvm e siècles, le contrepet connut une éclipse totale, ce qui lui permit sans doute de prendre des forces pour effectuer au xix e siècle une réapparition fracassante. En cette période souriante entre toutes pour la profusion d'humoristes et de gens d'esprit qui l'illustrèrent, la contrepèterie retrouva une jeunesse et un brio qu'elle a conservés jusqu'à nos jours. » Voici quelques classiques signés de noms fort connus qu'il serait dommage de ne pas citer une fois de plus D'Henri Monnier On connaît le boulevard des Filles-du-Calvaire ; mais on ne connaît pas assez le calvaire des filles du boulevard. » De Victor Hugo J'ai fait le bossu cocu. J'ai fait le beau cul cossu ! » D'Alphonse Allais Saint Rémi ayant ordonné à Clovis, avant de le baptiser "Courbe-toi, fier Sicambre I", Clovis lui répondit "Cambre-toi, vieux si fourbe !" » De Léon-Paul Fargue ce doux poète avait porté l'art du contrepet à un tel degré de perfection que la technique lui en était devenue spontanée. Lorsqu'il écrivait à ses amis fraîchement décorés, il les félicitait d'avoir reçu la roseur de la Légion d'honnête ». Quant à ceux promus au rang supérieur de l'Ordre, il les apostrophait ainsi Vous voilà donc crâneur de la commansavate ! » C'est aussi lui qui avait rebaptisé poétiquement la station de métro Sèvres-Lecourbe » qui lui rappelait d'anciens rendez-vous galants la station lèvres se courbent ». De Robert Desnos Plus fait violeur que doux sens » ; Les lois de nos désirs sont des dés sans loisir » Corps et biens ; Dites les transes de la confusion et non la contusion de la France » ; Aimable souvent le sable mouvant ». De Benjamin Péret, ce titre d'une oeuvre de 1928 Les Rouilles encagées ». De Jean-Gabriel Domergue, peu enthousiasmé par les céramiques que décorait Picasso à VaIlauris Je préférerais subir les assauts de pique-assiettes plutôt que les assiettes de Picasso. » De Jean Cocteau Peindre à la fresque. Feindre à la presque » Critique indirecte. Jacques Prévert parodiant le vers célèbre d'Haraucourt Partir, c'est mourir un peu » Martyr, c'est pourrir un peu. » D'Alexandre Breffort parodiant le titre de la pièce d'Erskine Caldwell, Le Petit Arpent du bon Dieu Le petit ardent du bon pieu. » De Serge Gainsbourg, ce contrepet autobiographique Quand Gainsbarre se bourre, Gainsbourg se barre ! » Aujourd'hui, la fameuse rubrique Sur l'album de la Comtesse » du Canard enchaîné devrait son nom à une Anglaise, Maxine Birley, qui avait épousé le comte Alain de la Falaise. Pour agacer celui-ci, dont elle était en train de divorcer, elle aurait autorisé son ami Yvan Audouard à baptiser la rubrique de son nom en 1951. Elle fut notamment reprise par Henri Monnier, Luc Étienne, et enfin Joël Martin, physicien nucléaire renommé et écrivain, auteur du Dico de la contrepèterie Le Seuil, 1997, dans lequel il célèbre en particulier les contrepets de salon » convenables, où on ne cache aucun mot tabou. On peut, écrit-il, les traduire, dans les salons. Il est même nécessaire de les traduire car l'auditeur n'est plus guidé par ces véritables mots phares qui sont les contrepétogènes. » Convertis Les La langue française m'a donné la possibilité de m'exprimer avec une certaine liberté. Atiq Rahimi. Andrée Chedid, Milan Kundera, Andréï Makine, Eduardo Manet, Hector Bianciotti, Jorge Semprün, Samuel Beckett, Emil Cioran, Jonathan Littell... La liste est longue des écrivains qui ont choisi un jour le français, pratiquant de ce fait une véritable conversion ». Commençons par le plus ancien d'entre eux. Giacomo Casanova 1725-1798 Les mémoires de l'aventurier vénitien, libertin hâbleur et spirituel, sont le récit du voyage dans toute l'Europe d'un homme tour à tour abbé, militaire, historien, antiquaire, publiciste, poète, violoniste, chimiste, magicien, agent secret et industriel. Ces mémoires, intitulés Histoire de ma vie , sont une oeuvre autobiographique écrite en français, l'un des documents les plus importants relatifs à la vie du xvm e siècle, à la fois confession d'un débauché et critique de son temps. Il arrive en France, à Paris, en 1757, deux ans après s'être évadé de la célèbre prison des Plombs à Venise, où il était incarcéré pour athéisme, libertinage et occultisme ! Pourquoi écrire en français ? J'ai écrit en français, et non pas en italien, parce que la langue française est plus répandue que la mienne », écrit-il dans les premières pages d 'Histoire de ma vie. Le français est la langue aristocratique de la politique et de la diplomatie, la langue claire de la philosophie, et donc la langue susceptible de toucher le plus grand lectorat. Lors de son premier séjour à Paris, il prend des cours de français auprès du dramaturge Crébillon père. Cette langue est indissociablement attachée à sa capitale. Paris a tout pour charmer notre Vénitien imposture, mode, autre identité, fêtes, libertinage, richesse, indépendance, insolence et spiritualité des femmes, jouissance et absence de contrainte, conjuration du lieu de naissance arbitraire, rejet de la famille, communication, ambition intellectuelle des Lumières, sensualité, pour le résumer d'un trait la liberté. La langue française, c'est, aux dires de Casanova, la clarté, la construction, toujours simple et totalement exempte d'inversions, l'élégance et la fête ». Comment ne pas succomber à la langue de ces Français qui ont la langue, le palais, les lèvres, la poitrine et le nez si bien adaptés au son, à l'accent, à la prosodie, à la consonance de leurs mots » ? Pour la petite histoire... avec l'aide d'un très généreux mécène, en 2010, la BNF a acheté les 3 700 pages de ces mémoires pour la coquette somme de 7 millions d'euros ! Puis, au xx e siècle... Samuel Beckett 1906-1989 L'Irlandais Beckett fait à Dublin de brillantes études supérieures en langues romanes français et italien, où il devient assistant de français. Il arrive à Paris un peu avant la Seconde Guerre mondiale, et séjourne à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm en qualité de lecteur. Il écrira ses textes en français au sortir de la guerre dans une recherche manifeste de dénuement Je me remis à écrire en français avec le désir de m'appauvrir encore davantage. C'était ça le vrai mobile. » À l'anglais, trop chargé d'associations et d'allusions », Beckett préférera le français pour un langage sans style », le meilleur pour lui afin de dire sans cesse que les personnages ne savent pas, ne peuvent pas, ne disent rien. Il dira même, lors d'un voyage en Allemagne Se démener pour apprendre à se taire dans une autre langue, quelle absurdité ! » Emil Cioran 1911-1995 Cet écrivain roumain a publié son premier livre en français - Précis de décomposition - en 1949. En français, on ne devient pas fou », affirmait-il. Il écrivait aussi Qui renie sa langue, pour en adopter une autre, change d'identité, voire de déceptions. Héroïquement traître, il rompt avec ses souvenirs et, jusqu'à un certain point, avec lui-même. » La langue française m'a apaisé comme une camisole de force calme un fou. Elle a agi à la façon d'une discipline imposée du dehors, ayant finalement sur moi un effet positif. En me contraignant, et en m'interdisant d'exagérer à tout bout de champ, elle m'a sauvé. Le fait de me soumettre à une telle discipline linguistique a tempéré mon délire. » Julia Kristeva née en Bulgarie en 1941 Écrire en français, ce fut me libérer. Geste matricide. Quitter l'enfer cette langue est devenue mon seul territoire. Désormais, je ne rêve plus qu'en français. » René Depestre né en Haïti en 1926 De temps en temps il est bon et juste de conduire à la rivière la langue française et de lui frotter le corps avec des herbes parfumées qui poussent en amont de mes vertiges d'ancien nègre marron [...] Milan Kundera né en 1929 En 1975, Milan Kundera quitte la Tchécoslovaquie pour la France. Il résidera à Rennes, puis à Paris. En 1979, la nationalité tchécoslovaque lui est retirée ; deux ans plus tard, François Mitterrand lui octroie la nationalité française. Sa femme, Véra, lui disait joliment La France est ton deuxième pays natal. » Son premier roman écrit en français, La Lenteur, sera publié en 1995. Kundera défend notre langue et notre culture bien plus ardemment que nombre de Français Quand un éditeur chinois, un universitaire américain feignent de ne pas apercevoir la place qu'occupe la France dans mon travail, est-ce une ignorance ? Ou est-ce autre chose ? Quand je voyage, j'entends partout, comme un refrain "La littérature française ? Elle ne représente plus rien." Une sottise, dira-t-on. Mais ce qui rend la sottise importante, c'est la délectation avec laquelle elle est prononcée. Car la francophobie, ça existe. C'est la médiocrité planétaire voulant se venger de la suprématie culturelle française qui a duré des siècles. Ou bien, peut-être, est-ce, au- delà de notre continent, une forme de rejet de l'Europe. L'arrogance francophobe m'offense personnellement, comme m'offensait l'arrogance des grands à l'égard du petit pays d'où je viens. » Et aussi J'ai repris la traduction française de tous mes anciens romans, phrase par phrase, mot par mot. Depuis lors, je considère le texte français comme le mien et je laisse traduire mes romans aussi bien du tchèque que du français, avec une légère préférence pour la seconde solution. » Eduardo Manet né à Cuba en 1930 Quand j'écrivais en espagnol; l'influence de Lorca était trop forte. Le français m'a permis d'être plus sobre. Lorsque j'ai décidé de changer de langue, je maîtrisais parfaitement l'anglais, j'aurais pu l'adopter très facilement. J'adorais la musique et le cinéma américains, mais je détestais l'impérialisme [des États-Unis]. Le français m'est apparu comme la langue de l'écriture. Les étrangers qui vivaient à Paris comme Beckett, Arrabal ou Ionesco l'avaient tous choisi. Pour nous, Latino- Américains, c'était une évidence, et cela le reste quoi qu'on dise. » Akira Mizubayashi né en 1952 Mizubayashi est un universitaire japonais. Dans les années 1970, étudiant, il décide d' habiter » le français, ou d'être habité par le français, qu'il appellera sa langue paternelle ». En 1973, il part pour deux ans à Montpellier. Il a aimé notre langue à travers l'œuvre de Rousseau. La littérature était devenue pour moi, précisément par le biais de la langue française, un lieu et un espace particuliers où se recueillent, en un foisonnement luxuriant, des projets, des espoirs, des regrets, des secrets, des attentes, des déceptions, des joies, des chagrins, des audaces, des timidités, des penchants avoués et inavoués, bref tout ce qu'on peut sans doute assembler sous le terme de désirs qui tiennent et font tenir la vie. » Et encore Le français était un instrument de musique - et il l'est toujours - que j'essayais de faire chanter et résonner au gré de mes émotions quotidiennes. » Il décidera donc de faire du français un lieu intime », son espace vital », sa demeure permanente », son paysage intime ». Akira Mizubayashi a raconté son parcours dans un livre publié en 2011, Une langue venue d'ailleurs Gallimard. Un aspect le dérangeait, en japonais, c'est sa dureté. Cette langue par exemple ne connaît pas, contrairement au français, les appellatifs à valeur affectueuse. "Tu as raison, ma grande, tu as raison" ; "Quoi, qu'est-ce que tu dis, mon poussin ?" ; "Ne te fâche pas, ma poule" ; "Allons, allons, mon vieux"... Et, à présent, tous les jours, j'entends mon épouse dire au téléphone à ma fille qui est à Paris "Tu es trop fatiguée maintenant. Il faut que tu ailles au lit, ma bibiche. Ne t'inquiète pas, je te téléphonerai pour te réveiller. À quelle heure veux-tu que je t'appelle, ma grande ?" » Mais de préciser Ce qui n'arrive pas à sortir de ma bouche, ce sont justement des phrases comme celles de mon épouse que je viens de citer et qui sont prononcées aussi naturellement et aussi spontanément que possible. » Andréï Makine né en Sibérie en 1957 Il répondait un jour à un journaliste du Figaro littéraire qui lui demandait Pour vous, écrire en français, est-ce une nécessité ou un choix ? » En fait, je ne me suis jamais posé la question. Ou je ne me la pose pas en ces termes. C'est tout naturellement que j'écris en français, et ce depuis mon arrivée en France, il y a un peu plus de vingt ans. Cette langue, je l'ai entendue dès mon enfance, dans ma lointaine Sibérie. Elle venait de la bouche de ma grand-mère, d'origine française. Le français m'a toujours baigné et a encouragé, stimulé mon amour pour la littérature française. Je considère, à juste titre, le français comme ma langue "grand-maternelle". » Eugène Ionesco 1909-1994 L'auteur de La Cantatrice chauve, de Rhinocéros, et l'un des concepteurs avec Beckett, Adamov, Genet et Pinter dans les années 1950 du théâtre de l'absurde, avait choisi la langue française parce que c'était l' instrument idéal de la littérature », mais, contrairement à son compatriote Cioran, ce choix ne s'était pas fait si facilement, car Ionesco n'appartenait ni à la France ni à la Roumanie », appartenant sans doute aux deux à la fois. Comme l'écrit le critique Georges Barthouil Sa carrière littéraire se définit par un paradoxe ou une tension latente c'est comme si, par cela même candidat au titre de citoyen du monde, Ionesco butait en permanence contre l'inconvénient d'être né quelque part. » François Cheng né en 1929 François Cheng arrive en France âgé d'une vingtaine d'années. Il écrira en français à partir de 1970 parce que La langue française a joué un rôle fondamental dans mon destin, elle m'a permis d'épouser complètement une autre grande culture. Grâce à elle, à son génie de formulation et de clarification, j'ai vu se produire en moi une profonde transformation sur le plan de l'esprit, qui résulte du mariage fécond de deux cultures et, également, une sorte de "transfiguration" sur le plan de la création. Qui venait sans conteste de l'effort que j'effectuais pour repenser, transcender tout ce que j'avais enduré, véhiculé et intériorisé. Ainsi, sur le plan de la création, le français m'a fourni ce qu'il fallait pour me former un langage personnel qui se veut implicite, efficace et, dans la mesure du possible, souverain. » Et de citer La rigueur syntaxique donnait à la phrase une qualité de concision et de cohérence. La précision et les nuances des mots contribuant à sa réputation de clarté. L'abondance des expressions saisissantes faisant appel aux détails concrets et imagés pour croquer une scène ou une situation "se bouffer le nez", "se crêper le chignon", "prendre ses jambes à son cou", "manger son chapeau"... » Pour lui la langue française vaut la peine qu'on la défende en la parlant si possible sous tous les cieux... ». Jorge Semprün 1923-2011 Exilé en France en 1937 avec sa famille qui fuit la guerre d'Espagne, cet écrivain scénariste et homme politique brillant et très attachant écrira l'essentiel de son oeuvre en français. Nous avions la passion que peuvent avoir des étrangers pour la langue française quand celle-ci devient une conquête spirituelle. Pour sa possible concision chatoyante, pour sa sécheresse illuminée... L'espagnol est une langue très belle, mais qui peut devenir folle et grandiloquente, si on lui lâche la bride. Cioran parlait du français comme d'une langue de discipline. Je le crois, le français m'aide à maîtriser mon espagnol. » Vénus Khoury-Ghata née en 1937 Elle est élue Miss Beyrouth en 1959. Elle débarque à Paris en 1972 et publie une vingtaine de romans parmi lesquels Les Inadaptés et Les morts n'ont pas d'ombre. Pour elle, la langue française n'appartient pas aux seuls Français, mais à tous ceux qui l'écrivent, l'enrichissent en lui offrant les apports de leur langue, elle appartient aux francophones qui en ont fait leur outil de travail, ont sué et souffert avec elle, adopté son esprit et ses ferveurs. [...] Pour ma part je dois mon écriture à deux langues, l'arabe maternel et le français appris dans les livres, visibles l'une à travers l'autre dans mes écrits, fondues jusqu'à ne plus savoir si telle tournure ou métaphore appartient à l'une ou à l'autre. Penchée sur ma page, j'ai sans cesse l'impression de traverser les frontières entre deux pays, de devoir payer une taxe, un impôt constitué des marques et des ajouts capables de combler les inégalités. Les images qui n'arrivent pas à passer la rampe, jetées par-dessus l'épaule. Deux langues comme deux tribus aux coutumes différentes. L'arabe ample, riche en métaphores et en sentiments, ne répond pas à la même esthétique que le français, devenu austère avec le temps ». Tahar Ben Jelloun né en 1944 Après son enfance à Fès, il choisit de résider à Paris, où son roman La Nuit sacrée obtient le Goncourt en 1987. Il est depuis l'écrivain francophone le plus traduit dans le monde. La langue française voyage, elle ne tient pas en place. Parfois elle est portée par des conquérants sans pudeur ; elle leur échappe et voilà que des enfants d'Afrique et du Maghreb l'apprennent, la prennent et ne l'abandonnent plus. Ils en font une fiancée pour l'éternité, une épouse jalouse de sa liberté. Elle s'installe dans des pays lointains, s'initie à leur intimité, prend des couleurs, se mélange à des épices exotiques et parvient à s'insinuer avec élégance dans le paysage, dans ses plis et ses creux, dans ses puits et ses collines, elle le fait parfois avec fracas et quelques tensions qui la rendent de plus en plus jeune, vive et toujours alerte. » Coquille Elle peut être comme la langue la pire et la meilleure des choses ». La pire, puisqu'elle conduisit au bûcher l'imprimeur lyonnais Étienne Dolet qui fut pendu et brûlé pour avoir ajouté du tout à la fin de cette phrase, traduite de Platon Après la mort , tu ne seras plus rien ; et la meilleure ces deux vers de Malherbe, dans sa Consolation à M. Du Périer sur la mort de sa fille Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin. Or, Malherbe avait en fait écrit Et Rosette a vécu... Pour Pierre Larousse, on donne le nom de coquille à l'omission, à l'addition, à l'interversion ou à la substitution, dans les ouvrages imprimés, d'un ou de plusieurs caractères typographiques ». Difficile de trouver la véritable origine de ce terme. Entre autres provenances, on lui attribue celle de vendre ses coquilles , expression du Moyen Âge, tromper », évoquant ainsi les fausses coquilles vendues aux pèlerins de Saint-Jacques-de- Compostelle. Au temps de la composition manuelle, la coquille désignait également toute lettre placée par inadvertance dans un cassetin autre que celui qui lui était assigné. L'Anglais H. Johnson publia, en 1783, une notice relative à un nouveau procédé qu'il avait découvert et grâce auquel l'erreur typographique disparaîtrait ; mais la notice elle-même contenait une coquille ! On y lisait Najesty pour Majesty. Correspondance Lettre pour remercier l'ancien Commandant d'une École militaire d'avoir envoyé de ses souvenirs personnels destinés au Musée de l'école. Berthe Bernage, Savoir écrire des lettres, 1957. En quelques décennies, les glissements de terrain langagiers sont impressionnants et on n'en perçoit pas toujours l'ampleur. 1974... Ce n'est pas si loin que ça. Et pourtant... Cette année-là, paraît un manuel intitulé Parlez mieux écrivez mieux, préfacé par Maurice Genevoix et où l'on peut lire divers modèles de lettres, qui pour beaucoup paraissent pour le moins obsolètes. Ainsi, les Lettres d'un jeune homme pour demander à une jeune fille s'il peut la revoir ». C'était encore l'époque des vraies fiançailles un de ces mots qui tombent doucement dans l'oubli. Le fait que les mots utilisés ici nous soient familiers m'étonne, et cependant c'est un autre français que nous lisons Mademoiselle, Peut-être vous souvenez-vous de moi ? Je m'appelle Daniel et j'étais samedi dernier à la soirée chez Jean- Luc D... Je sais que c'est terriblement vieux jeu d'écrire comme je le fais aujourd'hui. Mais je ne vois pas d'autre moyen d'entrer en relation avec vous, car je n'oserai jamais demander à Jean-Luc, notre seul ami commun à cette soirée, de me servir de messager ; j'ai tout juste eu le courage de lui demander votre adresse. Il m'a semblé, à vous entendre parler, à voir vos réactions l'autre soir, que nous avions beaucoup de choses en commun - âge, goûts, idées, opinions - et qu'il serait intéressant de mieux nous connaître. Je finis mon droit cette année, et je compte me spécialiser dans le droit forestier. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine. J'ai cru comprendre que vous vous destiniez à l'enseignement. Mais je m'écarte du but de ma lettre. Seriez-vous hostile à une nouvelle rencontre ? Répondez-moi franchement, mais répondez-moi, je vous en prie. Je suis libre tous les week-ends, et aussi le mardi après-midi. Mais si un autre jour vous convenait mieux, je m'arrangerais pour me libérer. Dans l'attente de vous lire, je vous assure. Mademoiselle, de mon amical souvenir, Daniel M. Savoureuses, surtout, sont les deux réponses possibles de la jeune femme, proposées dans cet ouvrage surréaliste... Réponse affirmative ». Monsieur, J'ai été surprise de recevoir votre lettre, mais je ne la trouve pas du tout vieux jeu. Il est bien vrai que nos goûts s'accordent. N'avez-vous pas dit samedi que vous faisiez de la natation sportive ? J'en ai fait aussi jusqu'à l'année dernière; j'ai même été championne d'île-de-France du cent mètres dos. Hélas ! Faute de temps, j'ai dû abandonner la compétition. C'est vous dire que cette deuxième rencontre, que j'envisage avec plaisir, va être difficile à organiser. Je ne vois guère que le samedi soir, pas top tard, car mes parents sont très compréhensifs, et je ne veux pas les faire veiller. J'attends donc de vos nouvelles avec plaisir, mais je ne serai pas libre avant le samedi 25, car le 18 je pars pour passer le week-end chez un de mes oncles en Touraine. En sympathie, Cécile L. Et la Réponse négative ». Monsieur, Je vous remercie de votre gentille lettre ; je l'ai lue avec sympathie, mais je ne puis vous donner une réponse favorable. N'allez pas imaginer que j'aie quoi que ce soit à vous reprocher. Mais, comme vous le rappelez vous-même, je me destine à l'enseignement ; je dois travailler pour poursuivre mes études et je suis actuellement institutrice dans un cours privé, en attendant d'être un jour, je l'espère, professeur de lycée. Vous comprendrez donc qu'il m'est impossible pour longtemps encore de songer à autre chose qu'à mon travail et à mes études. Ajoutez à cela que je vis avec des parents assez stricts, et vous verrez qu'il vaut mieux abandonner l'idée de me revoir pour l'instant. Mais votre lettre était charmante, et je vous en remercie. Peut-être le hasard nous remettra-t-il un jour sur le même chemin, qui sait ? Croyez, Monsieur, à mon meilleur souvenir. Cécile L. Pour railler ces exemples plutôt ridicules, Pierre Dac avait proposé un Modèle de lettre à écrire pour ne rien dire ». Monsieur ou Madame Je me fais un devoir de vous écrire ces quelques mots qui, j'espère, vous trouveront de même. Je souhaite que votre état de santé corresponde au désir que vous devez certainement avoir de le voir se maintenir de façon satisfaisante, et puis vous informer que, de mon côté, c'est identique. La situation est inchangée depuis les changements dont je n'ai pas cru devoir vous informer, étant donné que ça n'aurait pas changé grand-chose à l'état de nos relations qui, j'en ai la ferme conviction, continueront à rester aussi communicatives que par le passé. J'espère également que votre rhume des foins n'aura été qu'un feu de paille et que vos enfants sont plus que jamais dans la tradition familiale qui est de mise en vigueur depuis qu'elle existe. Rien d'autre de bien intéressant à vous communiquer pour l'instant. Dans l'espoir de vos nouvelles, je vous prie de me croire votre toujours dévoué, Signature -Je n'ai rien à ajouter à ce qui précède. Couleurs A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu... Arthur Rimbaud. On connaît de très belles appellations de couleur écarlate, incarnat, zinzolin, azalée, garance, turquoise, vermillon, bleu roi, gris perle, jaune paille, vert doré... et aussi nacarat rouge orangé, violine violet pourpre, fango orange vif, rubigineux rouille, smaragdin vert émeraude et céladon vert pâle du nom d'un personnage de L'Astrée, d'Honoré d'Urfé. Mais les plus belles sont peut-être les plus courantes, reprises par Rimbaud dans son magnifique poème Les reparties de Nina », dont voici quelques strophes Lui-Ta poitrine sur ma poitrine, / Hein ? nous irions, / Ayant de l'air plein la narine, / Aux frais rayons Du bon matin bleu, qui vous baigne / Du vin de jour ?... / Quand tout le bois frissonnant saigne / Muet d'amour De chaque branche, gouttes vertes, /Des bourgeons clairs, /On sent dans les choses ouvertes/Frémir des chairs [...] Je te parlerais dans ta bouche /J'irais, pressant/Ton corps, comme une enfant qu'on couche, / Ivre du sang Qui coule, bleu, sous ta peau blanche/ Aux tons rosés / Et te parlant la langue franche... / Tiens !... - que tu sais... Nos grands bois sentiraient la sève / Et le soleil/Sablerait d'or fin leur grand rêve / Vert et vermeil. Le soir ?... Nous reprendrons la route/Blanche qui court/Flânant, comme un troupeau qui broute, / Tout à l'entour Les bons vergers à l'herbe bleue/Aux pommiers tors !/Comme on les sent tout une lieue/Leurs parfums forts ! Nous regagnerons le village/Au ciel mi-noir;/Et ça sentira le laitage/Dans l'air du soir, [...] Tu viendras, tu viendras, je t'aime !/ Ce sera beau. / Tu viendras, n'est-ce pas, et même... Elle. - Et mon bureau ? Desnos, Robert 1900-1945 Mort le 8 juin 1945 au camp de Terezin en Tchécoslovaquie, Robert Desnos aura été l'un des plus brillants représentants du surréalisme, mouvement qu'il quitte en 1930. C'est cependant dans sa période surréaliste qu'il a créé ses textes les plus stimulants. Un de ses recueils, précisément intitulé L'Aumonyme, publié en 1923, est composé de belles trouvailles courts textes écrits à partir d'homonymies courantes dans notre langue dont voici des extraits Vers quel verre, œil vert, diriges-tu tes regards chaussés de voir ? Non, nous n'avons pas de nom. L'art est le dieu lare des mangeurs de lard [...] Poète venu de Lorient que dis-tu de l'orient ? l'or riant Vos bouches mentent, vos mensonges sentent la menthe, Amantes ! [...] L'Aumonyme » in Corps et biens © Éditions Gallimard Pour ses amis surréalistes, c'est clair, il parle surréaliste à volonté ». Ainsi, il participe aux fameuses expériences de sommeil hypnotique du groupe, en reprenant le personnage créé par Duchamp, Rrose Sélavy, et invente dans son sommeil des contrepèteries approximatives du genre Suivez-vous Rrose Sélavy au pays des nombres décimaux où il y a décombres ni maux ? », ou La loi de nos désirs sont des dés sans loisir. » Il martèle des mots, il improvise, il épuise toutes les virtualités de la syntaxe, et, comme le dit Patrice Delbourg On peut se demander si, sans lui, Prévert eût un jour existé. Lire Desnos, s'est s'assurer un bain de jouvence à perpétuité. » Sa poésie est une espèce de jeu de mots perpétuel il télescope, il désosse la syntaxe. Il est fasciné par les jeux de langage et, évidemment, se passionne pour l'écriture sous contrainte, même si son ancien ami Louis Aragon n'hésite pas à le traiter de cafouilleur pour notaires de province » et de mouche à merde ». Ce à quoi Desnos aurait pu lui attribuer une de ses fameuses saillies Maudit ! soit le père de l'épouse du forgeron qui forgea le fer de la cognée avec laquelle le bûcheron abattit le chêne dans lequel on sculpta le lit où fut engendré l'arrière-grand-père de l'homme qui conduisit la voiture dans laquelle ta mère rencontra ton père. La colombe de l'arche » in Corps et biens © Éditions Gallimard Devos, Raymond 1922-2006 Quand j'écris un texte, je suis le premier à en rire, je l'avoue. Lors d'un gala, je préfère qu'on ne m'applaudisse pas. On applaudit souvent par pitié, pour faire plaisir, c'est humiliant. Mais si on rit, alors je suis récompensé de tout. » Ainsi parlait Raymond Devos. Clown, mime, saltimbanque, poète hurluberlu, né à Tourcoing en France, mais déclaré à Mouscron, en Belgique, il n'a jamais su, en fait, quelle était sa véritable nationalité Je suis né avec un pied en Belgique et un pied en France, c'est pour cela que je marche les pieds écartés. » Sa vie commença sous le signe d'un non-sens et ça n'étonnera personne. Pour Raymond que j'ai eu la chance de connaître, un peu tard, hélas, mais qui me témoigna à la fin de sa vie son amitié, il y a dans la vie des choses qui n'ont pas de sens, disait-il. Tenez ! Moi qui vous parle, j'ai le pied gauche qui est jaloux du pied droit alors quand j'avance le pied droit, le gauche qui ne veut pas rester en arrière en fait autant... et moi... comme un imbécile, je marche ». On se souvient de cette légende, vraie ou fausse peu importe en 1950, un garçon de café lui dit qu'on ne pouvait pas voir la mer qui était... démontée ». Quand la remontera-t-on ? », demande Devos C'est une question de temps. » Et voilà comment ces répliques lui donnèrent matière à l'un de ses plus célèbres sketches La mer ! Le flux et le reflux me font marée. » Sa famille française aisée qui vivait en Belgique revient en France après des revers de fortune. À 13 ans, il se révèle doué pour la musique et pour des instruments aussi divers que la clarinette, le piano, la harpe, la guitare, le concertina, la trompette et même la scie musicale. Il doit aider sa famille et exerce de petits métiers coursier en triporteur, libraire, crémier aux Halles, où il apprendra à mirer » les œufs. Il se retrouve au STO en Allemagne où, pour se faire comprendre, il est obligé de mimer. Une expérience déterminante pour lui, qu'il perfectionnera à son retour en France auprès du mime Marceau. Il enchaîne ensuite au théâtre et devient même pensionnaire de la troupe Jacques-Fabbri. À partir de 1960, il est une vedette de music-hall inspirée par Tristan Bernard, Allais, Jarry et Boris Vian, avec lequel il a travaillé, sans oublier ses idoles Chaplin et Tati. Ses coups de génie faire passer son angoisse existentielle chez ses contemporains, car il est dépressif, et populariser l'absurde, un genre inconnu à l'époque pour le public français, tout en prenant des mots au pied de la lettre, en les mettant sens dessus dessous, grâce à son imagination débordante Lorsque les gens mangent, ils en profitent pour alimenter la conversation. » Il a un voisin fleuriste qui est son voisin d'espalier. » Le temps, c'est de l'argent, et pour gagner du temps, il faut courir vite pour le placer sur un compte... courant. » Une fois rien, c'est rien ; deux fois rien, ce n'est pas beaucoup, mais pour trois fois rien, on peut déjà s'acheter quelque chose, et pour pas cher. » Depuis quelque temps, mon chien m'inquiète... Il se prend pour un être humain et je n'arrive pas à l'en dissuader. Ce n'est pas tellement que je prenne mon chien pour plus bête qu'il n'est... Mais qu'il se prenne pour quelqu'un, c'est un peu abusif ! Est-ce que je me prends pour un chien, moi ? Quoique, quoique... Dernièrement, il s'est passé une chose troublante qui m'a mis la puce à l'oreille ! » Raymond Devos adorait les choses bizarres Il y a des choses bizarres !... Il y a des choses inexplicables... des choses qui vous échappent ! L'autre jour, au café... je commande un demi... j'en bois la moitié ! ... Il n'en restait plus !... » Son personnage est à lui tout seul un spectacle ambulant avec ses rouflaquettes teintées, ses larges bretelles qui soutiennent sa sous-ventrière, ses horribles polos en acrylique et ses sourcils de sumotori. Il est en perpétuel équilibre sur son monocycle ou jongle avec quelques malheureuses assiettes, mais surtout avec les mots en faisant attention de rire avec les autres, et jamais à leurs dépens Quand on a la prétention d'entraîner les gens dans l'imaginaire, la moindre des choses est de les ramener. » Il nous avait dit un jour où il se sentait vieillir La vieillesse, c'est comme le tabac, c'est dangereux. Je connais même des gens qui en sont morts. » Et quand il évoquait sa mort Je reviendrai, mais ne vous en faites pas, vous ne paierez pas d'impôts sur le revenu. » Dictionnaires Un chef-d'œuvre de la littérature n'est jamais qu'un dictionnaire en désordre. Jean Cocteau. L'amoureux du français est un amateur de dictionnaires, qui sont comme autant de contrées invitant à faire de belles ou surprenantes rencontres - mines à ciel ouvert qui offrent mille trésors. Nombre d'entre eux me sont indispensables. À commencer par Le Petit Robert - un terme affectueux, car il fait tout de même plus de 2 000 pages ! -, ouvert tous les jours, pour vérifier un sens, une étymologie, trouver une citation... Mon plaisir aussi de consulter la version longue du Robert , quand me prend l'envie de m'aventurer plus loin. Usage identique avec le précieux Littré, particulièrement utile pour explorer les sens oubliés de nombreux mots et savourer les exemples, fournis, d'écrivains. Indispensable aussi Le Nouveau Larousse illustré 7 vol., 1897-1904, pour aller à la cueillette de mots rares. Un ouvrage enrichi par la présence de nombreux dessins, dont certains ne manquent pas de sel. Je pense ainsi à une gravure montrant deux cannibales de la tribu anthropophage des Niams-Niams, au Niger, dont le Larousse écrit Chez les Niams-Niams, le gibier et la chair humaine suppléent à l'insuffisance des animaux de boucherie. » Ce sont aussi divers dictionnaires spécialisés à travers lesquels j'aime à vagabonder le Larousse gastronomique , pour la richesse de son vocabulaire, le Dictionnaire étymologique du français, de Bloch et von Wartburg ce seront des Allemands qui auront le mieux étudié l'étymologie de nos mots ! Une autre manière de faire l'Europe..., l'incontournable Dictionnaire latin-français 1934, et toujours réédité, de Félix Gaffiot pour explorer toutes les subtilités de cette langue qui a donné naissance à la nôtre, le Dictionnaire singulier des mots oubliés, d'Alain Duchesne et Thierry Leguay d'abord publié sous le titre L'Obsolète ; ou même encore le Dictionnaire San-Antonio, qui montre la prodigieuse richesse d'invention de Frédéric Dard. Et pourquoi pas le Dictionnaire françois contenant les mots et les choses..., de César-Pierre Richelet, en 1680 J'ai fait un Dictionnaire François afin de rendre quelque service aux honnêtes gens qui aiment notre Langue. Pour cela j'ai lu nos plus excellens Auteurs, & tous ceux qui ont écrit des Arts avec réputation. J'ai composé mon livre de leurs mots les plus reçus, aussi bien que de leurs expressions les plus-belles. Je marque les diferens endroits d'où je prens ces mots, & ces expressions à moins que les termes & les maniérés de parler que j'emploie ne soient si fort en usage qu'on n'en doute point. » Si l'amateur est de surcroît auteur, il a besoin de consulter d'autres ouvrages, comme autant de guides destinés à éviter les nombreux pièges que l'on rencontre en écrivant. Ce sont, avant tout pour moi le Jouette », Dictionnaire d'orthographe et d'expression écrite, le Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie nationale, le Mémento typographique édité par le Cercle de la librairie, le Manuel de typographie française élémentaire Yves Perrousseaux, le Dictionnaire des difficultés du français d'aujourd'hui Larousse, sans oublier le Dictionnaire des rimes orales et écrites, de Léon Warnant 1973, Larousse, et, bien sûr, le Grévisse », repris aujourd'hui par André Goosse - ouvrage au titre ambigu, Le Bon Usage, puisque ce remarquable ouvrage n'a rien de normatif. Bien des écrivains, et non des moindres, ont dit leur plaisir à voyager à travers les dictionnaires Georges Perec Les dictionnaires tiennent une grande place dans ma vie et dans mon travail d'écrivain. J'en possède une soixantaine, et le tiers de mon temps d'écriture est consacré à les feuilleter. » Jean Dutourd Un dictionnaire de plus, pour l'érudit, c'est comme une femme de plus pour le libertin. » François Nourissier J'ai une collection de dictionnaires et d'encyclopédies ; j'en suis fanatique, je les consulte plusieurs fois par jour pour vérifier les mots, explorer leurs alentours, trouver un synonyme, quitte à proposer de véritables détournements de la phrase initiale. » Michel Butor va même plus loin Les dictionnaires sont des oeuvres littéraires à part entière. Certains sont des chefs-d'œuvre de la littérature française. Ainsi le Littré est aussi important que La Recherche du temps perdu ou les livres de Montaigne. » Il est enfin un autre genre de dictionnaires que j'affectionne ceux, souvent poétiques, ou parfois amers, ou railleurs, composés par des écrivains. Jean Grenier 1898-1971 Pléonasmes Un administrateur hypocrite - Une femme insatisfaite - Un garagiste malhonnête - Un mari égoïste - Un stupide accident. » Plume Un riche éditeur à l'un de ses auteurs qui se plaignait de manquer d'argent "Je vous ai toujours dit qu'on ne pouvait pas vivre de sa plume !" » Politesse Un éditeur de Tokyo renvoyant son manuscrit à un auteur lui écrit à ce propos "Si nous l'éditions, S. M. l'Empereur nous l'imposerait pour modèle et ne nous permettrait plus de publier une oeuvre inférieure à la vôtre ; ce qui nous mettrait dans l'impossibilité de poursuivre notre activité pour dix mille ans au moins." » Lexique 1955. Georges Perros 1923-1978 Amour Idée fixe en pâmoison. » Avis Tant qu'on peut en donner, mieux vaut s'abstenir. » Cœur Ce qui le fait battre plus fort. L'amour. La peur. Le café. Le sport. » Défi L'homme en est un. Mais à qui, à quoi ? » Dialogue Croisement de monologues. » Homme Somme de soustractions. » Humour Lyrisme de la résignation. » Langage Ce qu'on a trouvé de mieux pour honorer le silence. » Luxe Pour la plupart, l'esprit en est un. » Mariage Miracle transformé en fait divers. » Poésie Le langage en vacances. Excitation gratuite, illumination. Changement d'emploi. » Rature Trace de l'homme. » Susceptibilité Reproche que vous font les autres pour excuser leur muflerie. » Travail Oisiveté contrôlée. » Vie Compagnie d'assurances dont nous sommes les représentants. Maladie mortelle. » Lexique 1981. Jean-Michel Maulpoix né en 1952 Âme Début d'amour. » Autobiographie J'ai commencé d'écrire après m'être coupé la langue. » Beau Comme une cabine téléphonique près de la mer. » Bonheur Écrire une phrase. Bonheur simple de la plume qui couvre la ligne, la déborde, en attaque et achève une autre. » Cœur Goutte à goutte, il récite. » Dieu Grand transparent. » Lecteur J'éprouve quelque désir à vous écrire sans vous connaître. » Miroir Le ciel se déshabille dans la rivière. » Nihil J'écris pour rien. Comme quelqu'un reste très tard sous l'abri de l'autobus, après que le dernier a regagné le dépôt. » Peintre Ne montre pas le monde, donne envie de le regarder. » Les Abeilles de l'invisible 1990. Michel Leiris 1901-1990 Dans Mots sans mémoire 1969 et Langage tangage 1985, il s'est ingénié à proposer des définitions fantaisistes, mais justes, fondées sur l'à-peu-près, l'anagramme et l'homophonie Apparaître à part être ; génération engendre gêne, et ration ; guerre je ne l'aime guère ; malheur lamineur en la mineur ; marchandise marche suivant que ce que les chalands disent ; morphine mort fine. Jacques Sternberg 1923-2006 En plus pessimiste - ironique aussi -, tels ces extraits de son Dictionnaire du mépris Art L'histoire de l'art - généralement racontée en dix ou vingt volumes - peut en réalité se résumer en quelques mots "De Toutânkhamon à Tout-en- Camelote." » Berceau Le berceau n'est jamais qu'un petit cercueil. » Bureau Il doit bien y avoir une affinité secrète entre les mots "bureau" et "barreaux". » Choix La vie nous offre un choix assez fascinant entre deux issues pourrir au ralenti sur terre ou pourrir très vite sous terre. Quel dilemme ! » Désespoir Pourquoi se tracasser et se casser le train, puisque dans "désespoir" il y a des espoirs ? » Erreur L'erreur est humaine, on l'a assez dit. Mais que l'humain soit une erreur, cela personne n'ose l'avouer. » Imposteur Le plus souvent, un imposteur n'est jamais rien d'autre que celui qui occupe un poste important. » Lit Le lit, quand on y pense, n'est jamais que le terrain d'entraînement du cercueil. » Militaire Être plus ou moins humain destiné à militer très jeune sous terre. » Pluriel Moi qui n'ai jamais su jouer aux échecs, j'aurai quand même été un assez remarquable joueur de l'échec. » Serviette Un torchon qui a réussi. » Petit dictionnaire des mots retrouvés L'un de mes préférés, que j'ai eu l'opportunité de rééditer il y a quelques années avec une préface de Jean d'Ormesson. Imaginé en 1938 par quelques collaborateurs facétieux de La Nouvelle Revue française dont le rédacteur en chef était Jean Paulhan, ce petit ouvrage tendait à vouloir réhabiliter certains mots scandaleusement détournés, selon eux, de leur sens premier, ils en proposaient des définitions farfelues en jouant sur les associations d'idées, les homonymies, les glissements de sens, et autres fantaisies lexicales. Le résultat est d'autant plus savoureux qu'il est présenté avec le plus imperturbable sérieux Anthrax Géant de la mythologie grecque, fils de Thorax et d'Érésipèle, ravisseur de la nymphe Acné. Aspirine Épouse d'un aspirant de marine. Généralement très élégante, elle donne à la mode un caractère particulier, un cachet d'aspirine. Cognassier Ancien gendarme. Cucu Petit singe de Tasmanie, à queue prenante s'apprivoisant facilement. Le cucu se nourrit de pralines. Cyclamen Amateur de bicyclettes. Expression d'origine anglaise en usage vers 1880. Les élégants cyclamen pédalaient dans l'avenue des Acacias [Le Gaulois. Duodénum Chant liturgique en usage chez les Trappistes. Entonner le duodénum. Haricot Sorte de grand mulet de l'Afrique du Nord. Devant la porte du falzar, Achmed mit pied à terre. Épuisé par une longue course, son haricot flageolait Louis Bertrand, L'Appel de la route. Ptérodactyle Machine à écrire perfectionnée, actionnée avec les pieds. Les bureaux sont remplis du crépitement des ptérodactyles. Utérus Petit torrent du Latinium prenant sa source dans le col des Apennins qui porte son nom. Le col de l'Utérus a vu passer toutes les invasions barbares. Raoul Lambert 1925-1994 Ancien guitariste de jazz, auteur de contes et de nouvelles, et pendant des années à La Dépêche du Midi d'une fameuse chronique L'Antan des cancans » publia en 1992 un remarquable Dicodingue ou l'humour absurde n'a rien à envier à Queneau, Allais ou Pierre Dac Borgne hôtel où l'on ne dort que d'un œil. Bouguet ensemble de grosses crevettes que l'on offre à l'occasion d'une fête, d'un anniversaire. Copote couverture mobile d'une voiture. Les capotes anglaises roulent à gauche. Carpe diem chez les Romains, jour de l'ouverture de la pêche à la carpe. Escargot les escargots sont hermaphrodites. Les femelles aussi. Quasimodo personnage de Victor Hugo qui bossait à Notre-Dame. Rubicond se dit d'une personne qui rougit en traversant un fleuve. Soutien-gorge abri buste. Terre-neuve chien à poil long utilisé pour la chasse à la morue. Williams variété de poire originaire du Tennessee et dont se nourrissent surtout les chattes sur un toit brûlant. Rouaix Le À la fois dictionnaire des synonymes, des analogies, des associations d'idées, Paul Rouaix a imaginé en 1898 un formidable Dictionnaire des idées suggérées par les mots, recueil de mots groupés autour d'une idée, classés en ordre raisonné et qui permet de trouver le terme exact à la nuance près pour préciser l'expression de sa pensée. Sa première publication chez Armand Colin date de 1898. Paul Rouaix écrivait dans la préface Dans la composition française et les exercices de style, les défauts les plus fréquents sont les répétitions de mots, l'impropriété. Les premières tiennent précisément à la pauvreté du vocabulaire de l'élève. Il emploie le même mot parce qu'il n'en possède point d'autres ou du moins n'en a point d'autre qui soit présent à son esprit. L'impropriété vient de ce que choisir le terme propre suppose la connaissance de la série des mots analogues la mémoire la lui refuse, notre livre le lui apporte. » Si l'on prend par exemple le mot bord, on trouvera pas moins de 31 suggestions Bordure, côté, rebord, franc-bord, marge, cadre, encadrement, périphérie, entourage, bas-côté, contour, limbe, pourtour, frange, lisière, liseré, orle, liteau, flanc, aile, annexe, appentis, confins, plate-bande, orée, contre-allée, littoral, côte, rivage, rive, berge..., sans compter douze verbes et douze adjectifs ! À noter que ce petit livre est toujours disponible au Livre de Poche. Je terminerai par le livre étonnant de Jean-Claude Raimbault, Si mon dico m'était conté... Un siècle de définitions, que j'ai édité en 2003, et dans lequel ce collectionneur érudit... de dictionnaires se livre à un exercice amusant en comparant des définitions de la période 1900-1906 à celles de la période 2000-2002. Le résultat est très instructif sur l'évolution de notre société. On y apprend, entre autres, que sortir », c'est de prison en 1900 mais de Normale sup en 2000 ; qu'en 1900 on demande en mariage et en 2000 le divorce. Le reste est à l'avenant... Au doigt de Dieu 1900 succède le doigt dans le nez 2000. On affiche » sa honte au début du xx e siècle, mais des résultats de nos jours. Ce qui paraît évident, puisque, à l'époque, le chômage » était une période d'inactivité pour une entreprise, alors qu'en 2002 c'est la cessation d'activité professionnelle d'une personne. Enfin, sachez que le corps caverneux a remplacé le corps d'armée, et qu'en 1900 Yéjacuiation n'était qu'une courte prière émise avec ferveur. Normal si l'on songe que le fils de Dieu a été remplacé en 2000 par le fils à papa ! Éluard, Paul 1895-1952 L'amour c'est l'homme inachevé. Eugène Émile Paul Grindel, Paul Éluard en littérature, naît dans une famille d'origine modeste mais rapidement aisée, car son père développe une activité de vente de biens immobiliers, activité où Éluard le secondera assez longtemps. Gravement malade à l'adolescence, il doit se reposer dans un sanatorium en Suisse, dans un paysage de montagne dont la limpidité le marque à jamais. Toute sa poésie s'ouvre à la vie immédiate », à l'univers perçu dans sa réalité sensible, concrète. Car, comme il le dit dans une de ses conférences, tout est au poète objet à sensations et, par conséquent, à sentiments. Tout le concret devient alors l'aliment de son imagination ». De là découlent ces images simples, évidentes, ces notations concrètes auxquelles on reconnaît aussitôt son style, comme dans le poème La courbe de tes yeux » Feuilles de jour et mousse de rosée, Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, [...] © Éditions Gallimard Éluard découvre l'amour en Suisse à dix-sept ans à peine, et s'éprend de Gala, une jeune Russe, qu'il épouse cinq ans plus tard. Car entre-temps éclate la Première Guerre mondiale. Le jeune homme s'engage, comme Aragon, mais sa santé fragile le fait affecter à l'hôpital auxiliaire. Horrifié par ce qu'il a vu, il publie en 1918 Poèmes pour lo paix, remarqués par Jean Paulhan, ce qui l'amène à fréquenter Aragon, Breton, Soupault, c'est-à-dire l'avant-garde littéraire. Il est aussi très lié aux grands peintres de son époque, De Chirico, Salvador Dali, Picasso et Max Ernst, qui peint leur groupe en 1922 dans le tableau intitulé Au rendez-vous des amis ». Il est adepte de la plus grande liberté sexuelle, fidèle en cela aux idées anarchistes dadaïstes qui ont éclos en réaction aux horreurs de la guerre. Mais la mésentente s'installe avec Gala, et le couple se déchire. Éluard part sur un coup de tête et s'embarque pour Tahiti. Gala et Max Ernst le récupèrent à Saigon, au moment où Breton signe le Manifeste du surréalisme. Éluard, comme Aragon, adhère aussitôt au mouvement qui veut donner la parole à l'imaginaire enfoui sous la conscience et réveiller les champs magnétiques de l'inconscient ». Hélas, de trop fréquenter les surréalistes et en particulier le flamboyant, l'extravagant Salvador Dali, il se fait prendre Gala, d'où son recueil Capitale de la douleur La courbe de tes yeux a fait le tour de mon cœur, Un rond de danse et de douceur. Auréole du temps, berceau nocturne et sûr. Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu. Feuilles de jour et mousse de rosée, Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseurs des bruits et sources des couleurs. Parfums éclos d'une couvée d'aurores Qui gît toujours sur la paille des astres. Comme le jour dépend de l'innocence Le monde entier dépend de tes yeux purs Et tout mon sang coule dans leurs regards. © Éditions Gallimard En 1926 il adhère au parti communiste, bientôt suivi par Aragon et Breton. Mais il reste fidèle à André Breton et se fait exclure du parti. Cependant, la guerre d'Espagne réveille en lui son attachement pour les communistes, comme Malraux avec son roman L'Espoir ou Picasso avec son tableau immense Guernica, qui montre la destruction épouvantable de la ville de Guernica en 1937 par l'aviation allemande venue au service des partisans de Franco. Éluard s'éloigne du surréalisme pur. Il désire peindre la violence des combats, en laissant jaillir en lui des images spontanées qui s'associent pour renforcer sa conscience du mal apporté par les nazis et leurs alliés franquistes. Il publie en 1938 Cours naturel, où il stigmatise les massacres perpétrés par les ennemis de la liberté », les franquistes alliés aux nazis. Dans Finir », tiré du Livre ouvert publié aussi en 1938, les images deviennent des figures monstrueuses, cauchemardesques, à la Goya La charrue des mots est rouillée Aucun sillon d'amour n'aborde plus la chair Un lugubre travail est jeté en pâture À la misère dévorante [...] Même les chiens sont malheureux. © Éditions Gallimard C ; est tout naturellement qu'il rejoint la Résistance française en même temps qu'Aragon, et que sa poésie retrouve les mots de tous les jours ». Son poème Liberté » est un pur chef-d'œuvre qui a renoué avec la poésie orale et les formes traditionnelles de la litanie et du refrain. Voici la première et la dernière strophe de ce poème qui en compte vingt et une Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris ton nom [...] Et par le pouvoir d'un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. L'engagement politique d'Éluard ne marque pas de rupture avec son lyrisme amoureux. Il passe d'un même élan de la passion amoureuse à la fraternité qui le relie au monde des hommes. Dans Liberté », Éluard évoque des éléments très simples comme les pupitres ou les cohiers d'écolier et les fait alterner avec des images surréalistes, la mousse des nuages, les murs de mon ennui qui se mêlent avec fluidité dans l'ensemble du poème. Sa puissance d'enchantement me frappe. Un peu comme chez Verlaine, il semble que les vers courent avec simplicité tellement leur mouvement est fluide. Pourtant, si l'on y regarde bien, ils sont très travaillés, que ce soit dans leur forme avec une obsession du rythme et des assonances, et dans le choix des images qui se rapportent aux éléments les plus naturels, mais aussi les plus essentiels et que nous, citadins, nous ne savons plus sentir ni voir, la lumière, le ciel, l'eau, le vent, le feu. Cet homme tranquille était une tour française couverte de fleurs. Il sortait du sol où lauriers et racines entrelacent leur patrimoine parfumé. Toute sa personne était faite de pierre et d'eau et un liseron ancien y grimpait, chargé de fleurs et de feux, de noeuds et de chants transparents » Pablo Neruda. Encyclopédie L' l'Encyclopédie a été une entreprise extraordinaire de librairie qui a révolutionné le monde des idées, malencontreusement figées au xvn e siècle, après l'explosion de pensées nouvelles que la Renaissance avait connue. Au début, il s'agissait pour le libraire Le Breton d'éditer une espèce de dictionnaire universel, à l'instar de la Cyclopaedia or an Universal Dictionary of Arts and Sciences parue à Londres en 1728. Mais Diderot, chargé en 1746 de la direction de l'entreprise, et son principal collaborateur, le mathématicien D'Alembert, conçurent, aidés de la fine fleur des penseurs de l'époque, un dessein plus vaste et plus original, celui de dresser le tableau général des efforts de l'esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ». L 'Encyclopédie devint très vite une arme de la lutte philosophique prônée par des lumières » aussi variées que Montesquieu, Voltaire, Diderot ou encore Rousseau, pour ne citer que les plus connues. Diderot souhaite offrir à tous la connaissance objective des données pratiques, débarrassée de tout préjugé et de toute superstition Il conçoit de l'estime pour la science des faits ; il aime à s'instruire des détails et de tout ce qui ne se devine point ; ainsi, il regarde comme une maxime très opposée au progrès des lumières de l'esprit que de se borner à la seule méditation et de croire que l'homme ne tire la vérité que de son propre fonds... Plus vous trouverez de raison dans l'homme, plus vous trouverez en lui de probité. Au contraire, où régnent le fanatisme et la superstition, régnent les passions et l'emportement. » Inutile de dire que ces propos firent l'effet d'un chiffon rouge agité devant les tenants les plus bornés de la tradition. Dès la parution du premier tome de Y Encyclopédie, le Journal de Trévoux, qui était l'organe officiel des Jésuites, soutenu en sous-main par la reine Marie Leszczyriska et Rome, se déchaîna et obtint la suspension de la parution du livre. Heureusement Diderot ne lâcha jamais prise malgré les difficultés qui se dressèrent devant lui et ses collaborateurs, en particulier les abbés qui s'occupaient des questions de théologie. Le premier fut excommunié, le deuxième expatrié et le troisième mourut à la tâche ! Fort heureusement, Malesherbes, responsable de la censure royale, homme éclairé et excellent botaniste, eut le courage, avec le soutien discret de la marquise de Pompadour qui haïssait les Jésuites, d'aider sans relâche l'entreprise des Encyclopédistes. Ainsi, quand le Parlement ordonna la saisie des papiers de Diderot, celui-ci, affolé, courut chez Malesherbes. Que faire ? Il n'avait pas le temps de les trier et ne savait pas où les cacher. Faites-les porter chez moi, lui répondit le directeur de la Librairie. On ne pensera pas à les y chercher. » La fin de cet homme courageux, qui prit la défense de Louis XVI lors de son procès alors qu'il avait combattu son absence d'ouverture politique, jette une ombre terrible sur les excès de la Révolution il fut guillotiné avec une grande partie de sa famille pendant la Terreur, femme, enfants, petits-enfants, cousins... Les attaques du parti dévot se multiplièrent. Les pamphlets redoublèrent de violence, sous l'égide de Fréron. Les Cacouacs désignaient une dangereuse peuplade, séductrice en diable, mais acharnée contre la morale, l'Église, l'État. Le mathématicien D'Alembert, qui était le bras droit de Diderot, démissionna, et Voltaire fut bien près de le suivre. Cependant, son tempérament batailleur reprit le dessus et il accabla Fréron et les Jésuites de satires foudroyantes L'autre jour au fond d'un vallon Un serpent piqua Jean Fréron. Que croyez-vous qu'il arriva ? Ce fut le serpent qui creva. Je ne puis résister au plaisir de vous raconter comment Voltaire ridiculisa le jésuite Berthier, nouveau rédacteur du Journal de Trévoux il imagine un voyage de Berthier, qui avait mis dans sa voiture quelques exemplaires du Journal de Trévoux. Berthier tombe malade, sueurs froides, léthargie, convulsions. Un excellent médecin décrète que le jésuite est empoisonné. Ce poison est pire qu'un mélange de ciguë, d'ellébore noire, d'opium, de solanum et de jusquiame. » On cherche dans le carrosse et on trouve "deux douzaines d'exemplaires du Journal de Trévoux". "Eh bien ! messieurs, avais-je tort ?" dit ce grand médecin... » Du fait, même le nombre de rieurs et de souscripteurs a augmenté, et un véritable bataillon de philosophes a contribué à la rédaction des dix-sept volumes de textes. Tous les contributeurs ont été animés par un esprit commun. Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j'espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n'y gagneront pas. Nous aurons servi l'humanité », écrit Diderot à Sophie Volland. Il s'agit d'abattre les préjugés et de faire triompher la raison, contre l'obscurantisme et le fanatisme. La partie purement technique n'a pas été oubliée, loin de là. Onze volumes de planches détaillées et commentées ont suivi la publication des articles proprement dits. Diderot accorde aux arts mécaniques » une place considérable. Chaque article détaille les outils, les machines, les matières utilisées, les transformations qu'elles subissent. Ainsi, l'article Soie » comporte 38 pages ; on y étudie l'élevage des vers à soie, les opérations du moulinage, du tissage, jusqu'aux règlements sur les manufactures. Les Encyclopédistes ont voulu réhabiliter les travailleurs manuels et les techniciens C'est peut-être chez les artisans qu'il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l'esprit, de sa patience et de ses ressources », écrit D'Alembert dans son Discours préliminaire. On ne peut qu'admirer le dévouement constant de Diderot pour qu'aboutisse ce gigantesque ouvrage qui eut un retentissement considérable dont on peut être fier. L'esprit de tolérance et de liberté que tant de gens à travers le monde reconnaissent à la France vient en grande partie du travail idéologique effectué au cœur de Y Encyclopédie. Qui accomplirait aujourd'hui un tel effort dans les pays où régnent encore un obscurantisme mortel entretenu par des despotes et des fanatiques ? Enseignement L' Le français est une matière où il n'y a pas de consensus sur les contenus de son enseignement parce qu'il y a toujours antagonisme entre les tenants de l'orthodoxie grammaticale et les partisans de la linguistique dite appliquée. Les manuels de français tout comme les multiples réformes sont d'ailleurs à l'image de ce conflit, un piètre compromis qui empêche l'innovation. Et les enseignants, pleins de bonne volonté mais peu préparés à cet état de fait, démarrent leur carrière tiraillés entre la peur d'attenter à l'intégrité sacrée de la langue française et une envie d'explorer des chemins nouveaux, comme celui d'une grammaire nouvelle. Il faudrait aussi évoquer la querelle autour des méthodes d'apprentissage de lecture qui n'est toujours pas réglée. De nombreux enseignants de collège imputent la responsabilité de l'échec scolaire à la méthode globale ou semi-globale de lecture qui est encore aujourd'hui appliquée par certains enseignants dans le primaire. Les enseignants de français sont donc aujourd'hui devant des défis immenses outre les pressions auxquelles ils doivent faire face, avec des programmes lourds, un nombre grandissant d'enfants à problèmes dans leurs classes, incapables de se concentrer, et une culture du résultat et de l'évaluatif très poussée, ils doivent aussi avoir leur propre réflexion sur le langage et devenir de plus en plus conscients de ce qui se joue dans leurs classes. J'en ai interrogé quelques-uns, et certains, proches de la retraite, m'avouent honnêtement qu'ils n'ont toujours pas trouvé la solution à l'échec de leurs élèves. Il ressort que leur souci majeur, à part celui de donner confiance aux élèves dans leur capacité à s'exprimer et à réfléchir, à mettre leur pensée en mots, est d'abord un souci de l'égalité linguistique, cet idéal d'une langue démocratiquement partagée par tous. En même temps, au regard des résultats, cette préoccupation est devenue aujourd'hui pour eux une source de désarroi et de déchirement. En effet, comment expliquer que 15 à 20 % des élèves soient en échec sur la langue et l'expression ? En ont-ils été eux-mêmes les instruments ? Il y a là de quoi s'interroger, et les circulaires et les réformes incessantes du ministère de l'Éducation nationale ont beau chercher à remédier au mal, elles ne semblent pas changer grand-chose, sinon donner un peu plus le vertige aux enseignants. En 2008, suite au constat d'une forte baisse du niveau des jeunes en orthographe, une réforme de l'école primaire avait été lancée. En 2012, jugeant les résultats insuffisants, le ministère avait émis une circulaire accompagnée d'une plaquette d'orientations pédagogiques détaillant la place de l'orthographe dans la maîtrise de la langue. À propos de circulaire » et pour insuffler une note de légèreté, voire d'humour dans cet article, on peut aussi se poser la question de savoir si leurs libellés doivent être pris au sérieux. À vous de juger avec ce texte kafkaïen mais authentique extrait du Petit guide pour la production écrite des équipes en innovation ministère de l'Éducation nationale, 2001 Communiquer une information ou un savoirest un processus complexe — D'abord parce qu'il y a communication, donc encodage de sens, transmission de signifiants, puis décodage, au niveau banal de tout échange symbolique ; — Ensuite parce que s'opèrent du côté de l'émetteur une transposition et une mise en forme de l'information ou du savoir aux fins de le rendre accessible à d'autres ; cette opération est plus difficile pour des savoirs d'action ou d'expérience, au départ faiblement discursifs ou déconceptualisés ; — Enfin parce que les informations ou les savoirs doivent se reconstruire dans l'esprit du destinataire, ce qui suivra des chemins et aboutira à des résultats variables, en fonction de ses champs conceptuels, de ses attentes et des informations dont il dispose déjà, de ses projets. Comprenne qui pourra... Mais il y a encore mieux, car, au-delà de ce jargon communicationnel, les enseignants eux-mêmes se voient dans l'obligation d'utiliser des ouvrages dits scolaires » dont le sabir laisse pantois. On y apprend entre autres techniques non pas à lire un roman, ce qui serait trop simple, mais à déterminer la part du discours et du récit, ainsi que la répartition des séquences narratives et descriptives ». Dans un autre manuel dont par charité chrétienne je ne donnerai pas les références, on demande à l'élève d'analyser des monologues en dessinant des schémas actanciels » et de représenter des métaphores sous la forme d'ensembles interpénétrants mettant en jeu comparé » et comparant » pour comprendre le discours narrativisé » ! Mais revenons plus sérieusement à nos élèves en juin 2013, un rapport d'inspection fait à nouveau un bilan de la mise en oeuvre des programmes issus de cette réforme de 2008. Bilan bien peu encourageant les résultats de l'école primaire ne sont pas bons, 20 % des élèves en sortent ne sachant ni lire ni écrire. Le rapport se penche tant sur les programmes que sur la pratique des maîtres le temps de lecture décroît du CP au CE. La pratique de l'écriture longue manuscrite, plus de 10 lignes, reste rare. On épargne aux élèves l'effort d'écriture et on tend à abandonner la rédaction qui avait pourtant été réintroduite. Manque aussi un enseignement rigoureux du geste d'écriture. Quant à l'enseignement de l'oral, il n'est pas planifié, parce que l'on a souvent du mal à le gérer, on confond souvent langage » et participation ». Les maîtres ont aussi des difficultés à faire écrire les élèves sur clavier, par manque de matériel. Il manquerait donc aux maîtres des compétences. Le rapport conclut alors que les programmes doivent être à nouveau réécrits, et la formation des maîtres, qui avait été en partie supprimée par le gouvernement précédent, doit être repensée. Les enseignants ont donc de bonnes raisons d'être déboussolés. La démocratisation de l'école n'a pas réussi. À peu d'exceptions près, la reproduction des classes et des élites se reproduit sans grand changement. L'échec se situe au niveau de l'enseignement général, donc du français en priorité. En visitant quelques classes dans le primaire, il est alarmant de voir que nombreux sont les enfants bloqués devant l'écrit, incapables de réinvestir ce qu'on leur a expliqué en grammaire, ils ne savent plus se poser les bonnes questions sur les catégories grammaticales enseignées. Par contre, il est frappant de constater que les instituteurs de campagne ayant plusieurs niveaux dans leur classe ressentent beaucoup moins l'échec. Peut-on en déduire que le travail par groupe, en coopération, centré autant sur l'oral que sur l'écrit, parfois avec des discussions collectives, est plus sécurisant, demande plus la participation de l'élève et le conduit à plus d'autonomie ? L'enfant apprend parce qu'il est sécurisé. Cependant, il est intéressant de remarquer que les enseignants de collège se plaignent de ces enfants, une fois arrivés en sixième, qui bougent toujours et se parlent sans cesse. Faut-il aussi en déduire qu'ils n'ont pas acquis une véritable autonomie parce qu'ils ont été trop maternés par leurs maîtres ? Autre constatation les ateliers d'écriture où les élèves écrivent à travers certaines contraintes, mais sans souci d'évaluation, et où ils lisent oralement leurs écrits, donnent des résultats souvent intéressants. Le désir d'une conformité au code de l'écrit et d'un intérêt pour l'étude de la langue peut venir alors dans un deuxième temps. Quant aux textes littéraires, à condition qu'ils ne soient pas trop longs, s'ils sont bien expliqués ou reformulés avec les mots d'aujourd'hui et rapprochés de leur expérience, ils sont souvent intégrés. Montaigne, Rimbaud, même Chateaubriand deviennent parfois leur héritage, et ils en sont fiers. Ce constat rejoint les conclusions des linguistes contemporains la langue est désormais vue dans ses changements incessants, elle n'est pas fixe mais évolue en permanence, elle est le résultat d'une histoire et d'une société, elle a donc un caractère social. Et son sort dépend de tous ceux qui la parlent. Le français scolaire est lui-même une création, et l'enfant, l'élève en apprentissage, est déjà un sujet social. Certains linguistes comme Marceline Laparra apportent des éclairages sur les raisons de l'échec scolaire c'est au tout début que cela commence, chez les petits de 5, 6 ans, qui ratent leur apprentissage. Et le véhicule est toujours la langue. Elle montre que les pratiques culturelles des familles, des élèves et des enseignants peuvent se contredire, s'opposer ou s'ignorer. Nombre de parents ne parlent pas le français ou le parlent mal. Il y a aussi les enfants livrés à eux-mêmes, les enfants devenus dyslexiques sans que l'on sache très bien pourquoi. Les pratiques culturelles de l'école peuvent créer involontairement des incompréhensions et des résistances, difficiles à décrypter. Les processus de différenciation mis en place par l'école, à l'insu de tous, dès la maternelle, vont peu à peu creuser les écarts dans les cycles suivants. Quand les élèves sont placés dans les mêmes situations d'apprentissage, ils apprennent. Si un élève n'apprend pas, c'est parce qu'on ne lui apprend pas. Notons qu'à ce propos beaucoup sont laissés de côté parce que les effectifs des classes sont trop élevés. Marceline Laparra donne l'exemple de l'enseignant qui va demander à la classe de chercher dans le dictionnaire le mot escargot ». Il va aider l'un à chercher et donner la réponse à l'autre, parce qu'ils sont en difficulté. L'élève, dans ce cas, n'apprend pas. Elle parle aussi de ces classes-mitraillette » où on demande des interactions, alors qu'il faudrait laisser du temps aux élèves pour se souvenir. L'enseignement de l'oral devrait passer par des temps de silence et de réflexion que les enseignants, souvent pressurés, n'observent généralement pas. Ajoutons enfin que les dangers d'une scolarisation trop précoce en France met l'enfant toujours trop tôt en contact avec l'écrit, alors que les écoles Steiner, qui ont vu l'écueil, apprennent à lire plus tard. Si on donnait plus de temps aux enfants dont les parents ne parlent pas ou peu le français, pour qu'ils s'habituent à la phonétique de la langue, ils s'éveilleraient plus tranquillement et apprendraient ensuite plus facilement à écrire. Entre quatre-z-yeux Je ne sais pas-t-à qu'est-ce. La liaison est un effet et un effort d' articulation ». Il s'agit donc d'un phénomène essentiellement oral. Toutefois, par analogie avec la langue parlée, certaines lettres peuvent apparaître à l'écrit pour marquer la liaison. C'est le cas en français de donnes-en », vas-y » et des qu'en-dira-t-on »... Comme le Grevisse le précise, l'Académie accepte aussi cette analogie phonétiquement, dans entre quatre yeux », mais la proscrit dans la graphie, même si un auteur comme Sainte- Beuve écrit Oh ! que de choses affectueuses, intimes, il m'a dites entre quatre-z- yeux [imprimé, il est vrai, en italique...]. » Dans les autres cas, ce sont des fautes appelées familièrement cuirs », quand la consonne introduite est un t, et velours », quand il s'agit d'un z. Queneau joue des deux quand il écrit dans Zazie dans le métro C'est la foire aux puces qui va-t- à-z-eux »... Les termes cuir et velours sont aujourd'hui quelque peu désuets, et on leur préfère pataquès », qui serait lui-même issu d'une faute de liaison du type je ne sais pas-t-à qu'est-ce ». Il n'est pas toujours-z-aisé de savoir quand faire la liaison. Il est préférable d'ailleurs d'éviter celle que nous venons de faire. Voyons justement celles qui sont à faire, et celles qui peuvent paraître dangereuses »... D'après Grevisse, la liaison est le reste d'un usage ancien, selon lequel les consonnes finales se prononçaient toutes. Par exemple, les adjectifs grand » et long » s'écrivaient grant » et lonc » conformément à leur prononciation, laquelle s'est donc maintenue dans la liaison. Ainsi dira-t-on un gran-t-homme » et un lon-k-effort ». Si tout un chacun prononce bel et bien un gran-t-homme » aujourd'hui, il préfère toutefois dire un lon-gu-effort ». Pourtant, Grevisse recommande dans la langue soignée suer san-k-et eau » pour suer sang et eau », un san-k-impur » pour sang impur », et la liaison avec la première des deux consonnes pour le respect humain » respe-k-humain »... Les mots terminés par une voyelle nasale posent aussi problème. Dans certains cas, cette voyelle se trouve dénasalisée » un certain espoir se prononce un certai-n-espoir », le divin enfant le divi-n-enfant »... tandis que l'on prononce en- n-avril », aucun-n-homme »... Quant à mon ami, il sera possible de dire mo-n- nami » ou mon-n-ami ». Autre cas intéressant, Grevisse précise que la liaison est inusitée après la consonne finale d'un nom au singulier un loup affamé » et non un lou-p- affamé » ; sauf dans le cas où la liaison permet d'établir une distinction de sens un savant aveugle » différent de un savan-t-aveugle ». Dans le premier cas, l'homme est plus savant qu'aveugle... Érasme 1469-1536 Aux xv e et xvi e siècles se produit en Europe, et particulièrement en Italie, une révolution intellectuelle et morale, c'est la Renaissance ». Le mouvement est caractérisé par un désir de rupture avec le Moyen Âge, considéré comme barbare ou gothique » digne des Goths..., et un retour vers le culte de l'Antiquité gréco- latine. Les principaux artisans en sont les humanistes » du latin humanus, cultivé, poli », qui vont s'intéresser aux lettres humaines », c'est-à-dire à l'ensemble des connaissances qui ne concernent pas directement les sciences de la religion. Ils vont s'intéresser aussi aux bibliothèques des monastères, à la recherche des manuscrits anciens pour les reconstituer et corriger les fautes des copistes qui ont parfois mal compris le texte. Peu à peu, l'humaniste, en rejetant le latin alourdi et incorrect du Moyen Âge, va remettre en honneur la belle langue classique. Parmi les précurseurs de l'humanisme en Italie, il faut surtout distinguer Dante, Pétrarque, Boccace et le Florentin Pic de la Mirandole qui étonnait ses contemporains par l'étendue de ses connaissances. D'Italie, l'humanisme se répandit dans toute l'Europe, en France avec les poètes Étienne, Lefèvre d'Étaples, qui traduisit la Bible en français, et Guillaume Budé, directeur de la Bibliothèque royale. Mais le maître incontesté de l'humanisme occidental est le Hollandais Érasme, enfant naturel d'un prêtre et lui-même ordonné en 1492. Son oeuvre est considérable. Il voyagea dans toute l'Europe, en Angleterre d'abord où il rencontra Thomas More, puis en Italie, et en 1516 il revient aux Pays- Bas, où il devient conseiller de Charles Quint. Il entreprend aussi une longue correspondance avec Luther qui essaie vainement de l'attirer à la Réforme. En dehors de ses nombreux écrits religieux où il essaie d'associer l'esprit humaniste et l'esprit évangélique, ce qui m'intéresse surtout chez lui c'est son Éloge de la folie paru en 1511. Cet essai composé en latin est une satire des diverses classes de la société, spécialement clergé, théologiens et moines. C'est le premier procès de l'absurde dans l'histoire de la littérature. C'est un subtil exercice de rhétorique farci de citations érudites. Érasme est en fait le premier à condamner le fanatisme et à souligner le difficile accord de l'intelligence et de la foi. Ce grand voyageur fut en fait le premier penseur à se définir comme européen. À l'affût des différents savoirs, passionné d'imprimerie, il prôna l'accès de tous à la culture et à la connaissance. Il fut le premier intellectuel au sens moderne du terme, inspirateur de Voltaire et de Rabelais. Pour Érasme, l'humanisme ne connaît qu'un moyen pour faire l'éducation de l'humanité la culture. Car seuls le livre et la culture peuvent développer les sentiments de l'homme, car il n'y a que l'individu inculte, l'ignorant, qui s'abandonne sans réfléchir à ses passions. Stefan Zweig, lui-même grand humaniste, était fasciné par Érasme, à telle enseigne qu'il lui consacra un livre, Érasme. Grandeur et décadence d'une idée, publié en France en 1935 chez Grasset. Dans cette biographie historique, Zweig rappelle qu' Érasme a aimé beaucoup de choses qui nous sont chères la poésie et la philosophie, les livres et les oeuvres d'art, les langues et les peuples ». Cela justifie pour moi le fait qu'il soit à juste titre salué dans le présent ouvrage qui célèbre la langue et ceux qui nous ont donné l'envie de mieux la connaître. Espace Alors que Ton aurait pu penser qu'avec la surpopulation on allait manquer d'espace, c'est le contraire qui se produit l'espace est partout, et ça n'a pas l'air de s'arranger. C'est une véritable contagion qui, hélas, ne vit pas comme la rose de Malherbe qui elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin ». Si j'osais je dirais qu'elle gagne... de l 'espace. Elle fleurit à tout bout de champ, à tout bout de rue, devrais-je dire espace-beauté, espace-détente, espace- santé, espace muséal, espace- maison, espace-jeux, espace-mode, espace-identifiant, espace- rencontre, espace-client, espace-multimédia. Certains espaces ont cependant tendance à rapetisser, par exemple celui mis en place par l'ANPE, l'espace-emploi, Yespace vert remplacé par des parkings pour garer les Espace et surtout notre espace de liberté. Bientôt nous aurons un espace-confession, un espace blanc à la place de la montagne, un espace bleu à la place de la mer, et un espace-espace, puisque nos logis ne comportent plus des pièces mais des espaces bien-être, repos, rangement, etc.. Étymologie La plupart des mots ont quelquefois une généalogie si bizarre qu'il faut la deviner, et la plus vraisemblable est souvent la moins vraie. Rivarol. L'étymologie offre souvent de jolies surprises. Ainsi, la crevette tire son nom de la chevrette, pour les bonds qu'elle fait le corps arqué toujours prêt à bondir à reculons » Francis Ponge. Une assimilation semblable a eu lieu du bouc au bouquet le petit bouc ». D'autres encore ne manquent pas de surprendre. Le mot chandail est une abréviation populaire chand d'ail de marchand d'ail », vendeur au Halles, au xix e siècle, qui affectionnait particulièrement le tricot ainsi baptisé. Tout aussi curieuses pourront sembler les origines des mots qui suivent, et qui nous sont pourtant familiers. Alouette a donné aloyau, qui a d'abord désigné des petits morceaux de viande avec du lard, que l'on faisait cuire à la broche, comme l'oiseau. Le latin angustia désignait un lieu resserré », d'où le sens figuré de gêne éprouvée », que l'on retrouve dans le terme angoisse, lorsqu'on a la gorge serrée ». l'assassin a pour ancêtre l'arabe hachichiya, buveur de hachisch », surnom donné aux fidèles du Vieux de la montagne, chef d'une secte au xi e siècle. Baragouin viendrait du breton bara gwin pain, vin », mots avec lesquels on demandait l'hospitalité dans les auberges, et qui n'étaient pas toujours bien compris... Le beignet vient de la beigne, la bosse sur la tête provenant d'un coup », et est ainsi appelé pour sa forme ronde et gonflée. Benêt et béni ne font qu'un, le sens de niais » étant dû à une allusion amusante au passage de l'Évangile selon Matthieu Heureux les pauvres d'esprit... » Prendre une bitture, c'était, avant de s'enivrer, prendre une longueur de câble suffisante » pour les marins de bitte, la borne qui sert à amarrer, soit, par extension s'en donner tout son saoul ». Le boucher était autrefois celui qui tuait le bouc » et vendait sa viande, et le charcutier de la chair cuite ». Le terme boulimie est issu du grec boulimia, littéralement faim de bœuf ». Caracoler est emprunté à l'espagnol caracoI limaçon. Mais alors, quel est le rapport ? Le mouvement du cheval qui caracole serait semblable aux spirales de la coquille de l'escargot. Le champignon du latin campaniolus est ainsi nommé car il pousse dans... les champs ! Les amateurs leur préfèrent les sous-bois discrets... Chômer, du latin de basse époque caumare, c'est-à-dire se reposer pendant la chaleur ». Le coquelicot doit son nom au cri du coq, sa couleur renvoyant elle-même à celle de la crête de l'animal. Le domino, au xvi e siècle, est une courte pèlerine noire portée par les prêtres, en hiver, par-dessus la soutane. Le jeu aurait été ainsi nommé au xvm e siècle à cause de l'envers noir des célèbres petites plaques... Les douves sont nommées ainsi car leurs eaux stagnantes constituent un milieu propice au développement de la douve, ce ver qu'on trouve dans le foie du mouton ». L 'édredon est constitué du duvet de Yeider, grand canard septentrional. Épaté est, à l'origine, celui qui a la patte » écrasée ou cassée. Dans le même genre, le latin populaire extonare, de tonus tonnerre », a donné étonné, autrement dit qui est comme frappé par la foudre ». L'adjectif fou vient du latin follis, qui désigne un sac, un ballon. Le mouvement d'une personne folle aurait été comparé à celui d'un ballon gonflé d'air. La grève, c'est à l'origine la grave, c'est-à-dire le sable, le gravier. D'où le nom de la place de Grève, à Paris, où se réunissaient les ouvriers sans travail - et l'expression faire grève ». Ce qui est impeccable, au sens propre, c'est ce qui ne constitue pas un péché du latin religieux impeccabilis. Langouste vient de l'ancien provençal langosta - lui-même du latin locusta -, la sauterelle ». Du xn e au xvi e siècle, langouste » désignait cet insecte. Lapin remonterait au radical lappa pierre plate », ces animaux établissant souvent leurs terriers en des espaces où la terre est couverte de pierres. Lavabo est issu d'une formule latine, lavabo inter innocentes manus meas, littéralement Je laverai mes mains au milieu des innocents », prononcée par le prêtre après l'offertoire. La mappemonde est souvent dite nappemonde ». Erreur bien pardonnable quand on sait que le latin mappa mundi, dont est tiré le mot, signifie nappe du monde ». Matelot vient du néerlandais mattenoot, proprement compagnon de couche ». Il y avait en effet jadis un seul hamac pour deux matelots, l'un étant toujours en service. Le mégot vient du tourangeau mégauder, qui signifie sucer le lait d'une femme enceinte », en parlant du nourrisson bien sûr. Comme le fumeur qui tire les dernières bouffées d'un bout de cigarette ou de cigare... La midinette est celle qui se contente d'une dînette » à midi. La pintade est, littéralement, l'oiseau peint » du portugais pintar, peindre, pour les motifs colorés de son plumage. Requin était écrit requiem au xvn e siècle, ce qu'on expliquait, par fantaisie, du fait qu'on peut chanter un requiem chant pour les morts lorsqu'un homme est happé par la mâchoire redoutable d'un requin. Rhum est un emprunt de l'anglais rumbullion qui signifie grand tumulte ». En effet, cet alcool est réputé pour provoquer des bagarres, après boire. Scrupule vient du latin scrupulus qui désigne un petit caillou », d'où l'idée de l'inquiétude de la conscience sur un point minutieux, et nous arrête en chemin. Tante serait une contraction de ta ante, ante » du latin amita désignant la tante du côté du père. Vermicelle vient de vermisseau » de l'italien vermicello, par analogie de forme. La virgule est issue du latin virgula, petite verge ». Enfin, le voyou est celui qui court la via mot latin signifiant la voie, la route », donc celui qui court les rues... Mais comment en arrive-t-on à retrouver l'origine d'un mot ? Comment réussit- on à retracer son histoire à travers les rapports qu'il entretient avec les mots de la même famille ? C'est bien sûr le travail de l'étymologiste qui va recueillir le plus grand nombre possible d'attestations du mot qu'il traite dans le temps et dans l'espace, revenir à la source et vérifier le contexte dans lequel le mot apparaît, et tenir compte aussi bien de facteurs géographiques, phonétiques, historiques, morphologiques et sémantiques ! Un vrai travail de scientifique qui va essayer de faire converger toutes ces données, à condition aussi qu'il ait une bonne intuition pour faire parler » les matériaux, comme le rappelle l'étymologiste Marie-José Brochard, qui ajoute que, dans ce cas, son travail peut être assimilé à un art et non plus à une science ». Eurofrançais M. Gieling que je n'ai pas, hélas, l'honneur de connaître a, en 1997, eu la bonne idée d'imaginer un canular que je ne peux m'empêcher de partager avec vous La Commission européenne adopte enfin l'eurofrançais comme langue officielle BRUXELLES - La Commission européenne a finalement tranché Après la monnaie unique, l'Union européenne va se doter d'une langue unique, à savoir... le français. Trois langues étaient en compétition Le français parlé par le plus grand nombre de pays de l'Union, la France, la Belgique, le Luxembourg, L 'allemand parlé par le plus grand nombre d'habitants de l'Union, l’anglais langue internationale par excellence. L'anglais a vite été éliminé, pour deux raisons l'anglais aurait été le cheval de Troie économique des États-Unis, et les Britanniques ont vu leur influence limitée au profit du couple franco-allemand en raison de leur légendaire réticence à s'impliquer dans la construction européenne. Le choix a fait l'objet d'un compromis, les Allemands ayant obtenu que l'orthographe du français, particulièrement délicate à maîtriser, soit réformée, dans le cadre d'un plan de cinq ans, afin d'aboutir à l'eurofrançais. • La première année Tous les accents seront supprimes et les sons actuellement distribues entre s », z », c », k » et q » seront repartis entre z » et k », ze ki permettra de zupprimer beaukoup de la konfuzion aktuelle. • La deuxième année On remplazera le ph » par f », ze ki aura pour effet de rakourzir un mot comme fotograf » de kelke vingt pour zent. • La troisième année Des modifikations plus draztikes zeront pozibles, notamment ne plus redoubler les lettres ki l'etaient touz ont auzi admis le prinzip de la zuprezion des e » muets, zourz eternel de konfuzion, en efet, tou kom d'autr letr muet. • La katriem ane Les gens zeront devenus rezeptifs a des changements majeurs, tel ke remplazer g » zoi par ch », zoi par j », zoi par k », zelon les ka, ze ki zimplifira davantach l'ekritur de touz. • Duran la zinkiem ane Le b » zera remplaze par le p » et le v » zera lui auzi apandone, au profi du f ». Efidamen, on kagnera ainzi pluzieur touch zu le klafie. Un foi ze plan de zink an achefe, l'ortokraf zera defenu lochik, et les chen pouron ze komprendr et komunike. Le ref de l'Unité kulturel de l'Europ zera defenu realite ! La rechion la mieu prepar en Europ est l'Alzaz. 90% de la polulazion le pratik décha couram' en. Merci et bravo encore, monsieur Gieling ! Fables exprès Que n'entendons-nous plus dans les dîners ces petits fabliaux à la moralité absurde ! Genre délaissé de nos jours, la fable exprès est la petite sœur de la fable popularisée par le courageux Jean de La Fontaine, car il fut un des rares à ne pas se détourner de Fouquet que Louis XIV avait fait arrêter. Petite pièce en vers, elle a eu son heure de gloire au temps d'Alphonse Allais, et bien des humoristes réputés, des poètes, des romanciers émérites s'y sont adonnés, comme, entre autres Eugène Chavette 1872-1902, spécialiste en brièveté de la vie puisqu'il mourut à l'âge de trente ans, et qui reprit le thème du Dépit amoureux de Molière On ne meurt qu'une fois et c'est pour si longtemps. » Pépin le Bref est mort depuis bientôt mille ans. Moralité Quand on est mort c'est pour longtemps. Tristan Bernard n'était pas en reste Le contexte deux actrices vieillissantes qui ne veulent pas quitter la scène et jouent encore dans des rôles de jeunettes, Cécile Sorel et Mistinguett. Au bal de l'Opéra, toutes deux remarquées, Sorel et Mistinguett, d'ailleurs masquées. Tous les hommes en étaient fous. Moralité Le miracle des loups. Ce qui était plus galamment dit que celle de Willy Quand la sexagénaire entra dans le skating, Il s'éleva de toute part un long murmure. Le beau danseur qu'elle accosta fit Non ! Shocking ! Moralité On ne patine pas avec la mûre. Du même auteur Un jour un passant débonnaire, ayant rencontré Georges Ohnet, Fut mordu soudain au poignet Par ce romancier sanguinaire. Il conserva dix mois la trace de ses dents. Moralité Quand Ohnet mord, c'est pour longtemps. Et Prêtre chinois au teint de bronze La conteuse dont il s'éprit Entassait récit sur récit. Moralité Les bons contes font le bonze ami. Le maître absolu de cet exercice était donc Alphonse Allais, et c'est ainsi que la poétesse Olga alias Édouard Osmont, lui rendait hommage Allais fut le premier de nos humoristes ; Voyant que le succès à lui serait lié, Beaucoup, avec ardeur, suivent la même piste. Allais est multiplié ! Jean-Louis Bailly était plutôt inspiré, lui, par les chameaux Il advint que certain chameau, S'étant fait ecclésiastique, Voulut un jour changer de peau Et devenir femelle authentique. Moralité L'abbé chamelle. Et par les chats Lorsque tu vois un chat de sa patte légère, Laver son nez rosé, lisser son poil si fin, Bien fraternellement, embrasse ce félin. Moralité S'il se nettoie, c'est donc ton frère ! Et nous terminerons encore avec Allais Brutus, Gaulois des plus sévères Était père de vingt garçons ; Il fouettait leur petit derrière Quand ils ne savaient pas leur leçon. Moralité Malheur aux vaincus ! Et aussi Louise et son jeune mari, Font un charmant petit ménage. De la misère, ils sont juste à l'abri ; Cela suffit quand on est sage. Ce soir, le mari va, tout seul, à l'Opéra ; Comme elle n'est pas plus jalouse que coquette, À mettre son habit, tranquille, elle l'aida. Moralité Louise aise et mari en toilette. Flaubert, Gustave 1821-1880 Flaubert est un géant qui abat une forêt pour faire une boîte. Alexandre Dumas. Il me plaît que Flaubert et Baudelaire, nés la même année, aient été attaqués en justice en 1857, pour les mêmes raisons, vulgarité et immoralité ». Sous le second Empire règne la même hypocrisie, voire pire, que sous les monarchies précédentes. Les hommes ont tous les droits, et les femmes doivent se consacrer exclusivement à leur foyer. Pourtant, Balzac et Stendhal avaient pu peindre des femmes adultères, comme les filles du Père Goriot ou Mme de Rénal dans Le Rouge et le Noir, sans être sottement inquiétés comme Flaubert et Baudelaire vingt années plus tard, tandis que les hommes puissants entretenaient ouvertement des maîtresses, suivant l'exemple illustre de Napoléon III. Sans le savoir sans doute, les juges condamnaient en fait une modification fondamentale du choix des sujets et de l'écriture, comme nous le verrons aussi chez Baudelaire. Flaubert écrit son oeuvre à une époque où le capitalisme triomphant signe l'arrêt de mort du règne de l'individu, du héros capable de se réaliser par lui-même. Chez Flaubert, les personnages sont écrasés par l'Histoire. Mme Bovary, dans le couvent où elle a fait ses études, a rêvé un monde idéal Ce n'étaient qu'amours, amants, amantes, dames persécutées s'évanouissant dans des pavillons solitaires... troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, [...] rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l'est pas, toujours bien mis et qui pleurent comme des urnes... Elle se laissa glisser dans les méandres lamartiniens, écouta les harpes sur les lacs, tous les chants des cygnes mourants, toutes les chutes des feuilles, les vierges pures qui montent au ciel, et la voix de l'Éternel discourant dans les vallons. Elle rêvait de se marier à minuit, aux flambeaux », elle doit se contenter d'une noce paysanne. Son mari est un médiocre officier de santé qui n'a pas réussi ses études de médecine. Comment ne pas être déçue, tout comme elle sera déçue par ses amours successives, la réalité de sa situation sociale la rattrapant sans cesse, jusqu'au suicide qui mettra fin à une existence ratée ? Le héros de L'Éducation sentimentale, Frédéric Moreau, est encore plus passif devant les événements, petits ou grands comme la révolution de 1848. Âgé d'à peine 18 ans, il rencontre Mme Arnoux, comme Flaubert dans sa jeunesse avait été très durablement ébloui par Mme Schlesinger. Mais à aucun moment il ne sera capable de concrétiser cet amour. Des événements extérieurs viendront contrarier ses élans. Au moment de la révolution de 1848, il part en voyage avec sa compagne du moment. Cette indifférence qui lui a été durement reprochée par ses contemporains, et encore plus par les critiques marxistes qui ont édicté leur loi pendant plus de soixante ans, ne fait en réalité que refléter le scepticisme et la déception de nombre d'intellectuels de son époque, à l'instar de son ami Maxime Du Camp avec qui il a assisté aux journées de février La révolution de février 1848 fut une surprise, et, comme elle conduisit la France à l'Empire, elle manqua le but qu'elle visait et reste ridicule... Paris était dans un état d'effarement dont je n'ai plus revu d'exemple ; le mot de république était alors un épouvantail, on croyait aux confiscations, à la guillotine, à la guerre générale... L'Éducation sentimentale a déçu ceux qui avaient aimé Madame Bovary, en raison de la passivité de son héros, Frédéric Moreau, qui se laisse mener par le flot des événements. C'est en fait le roman de l'échec, comme presque toutes les oeuvres de Flaubert ; c'est aussi un roman inspiré en partie par ses propres expériences de jeunesse où la beauté d'une belle âme s'oppose à la corruption du monde. Mais Zola a fort bien su défendre l'absence d'une intrigue classique fortement charpentée Gustave Flaubert refuse toute affabulation romanesque et centrale. Il veut la vie au jour le jour, telle qu'elle se présente, avec sa suite continue de petits incidents vulgaires, qui finissent par en faire un drame compliqué et redoutable. Pas d'épisodes préparés de longue main, mais l'apparent décousu des faits, le train-train ordinaire des événements, les personnages se rencontrant, puis se perdant et se rencontrant à nouveau... C'est là une des conceptions les plus originales, les plus audacieuses, les plus difficiles à réaliser qu'ait tentées notre littérature... Flaubert ouvre résolument la voix au modernisme, dans ce qu'il a de plus profond. Ainsi, l'avant-dernier chapitre pourrait être considéré comme la clôture d'un roman banal, la fin des grandes amours de Frédéric Quand elle fut partie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. Mme Arnoux, sur le trottoir, fit signe d'avancer à un fiacre qui passait. Elle monta dedans. La voiture disparut. Et ce fut tout. Ultimes images du film, sortez vos mouchoirs, les héros n'auront pas beaucoup d'enfants, pas même un seul, sniff... Flaubert refuse cette facilité lacrymale, et dans l'ultime chapitre, il montre la vraie vie, menée par l'absurde, bien avant Camus ou Beckett. Flaubert met en scène Frédéric et son ami de toujours, Deslauriers, comme des doubles de lui-même. Ils énumèrent leurs ratages et ceux de leurs connaissances. Et ils accusèrent le hasard[ les circonstances, l'époque où ils étaient nés. Flaubert ne veut pas se satisfaire de cette seule explication. Il leur fait remonter le temps jusqu'au souvenir de leur premier passage au bordel de la Turque, où Frédéric n'avait pas réussi à se satisfaire. Ainsi, l'éducation sentimentale de Frédéric est bien l'amour unique et non réalisé avec Mme Arnoux, mais son premier apprentissage, celui qu'il avait oublié, c'est son premier échec d'adolescent, dont il n'a pas su comprendre la leçon. Quelle profondeur d'analyse, bien avant les découvertes de Freud ! Mais revenons au réalisme, dont Flaubert est le maître incontesté. Pour chaque épisode qui a eu réellement lieu, il fait des recherches considérables, pour ne pas commettre d'erreur. Ainsi, pour l'empoisonnement à l'arsenic que commet Emma Bovary à la fin du roman, croulant sous des dettes inconsidérées et le dégoût d'elle- même, Flaubert, fils de médecin, se renseigne très soigneusement. Voyons le résultat Une senteur âcre qu'elle sentait dans sa bouche la réveilla. Elle entrevit Charles et referma les yeux. Elle s'épiait curieusement, pour discerner si elle ne souffrait pas. Mais non ! rien encore. Elle entendit le battement de la pendule, le bruit du feu, et Charles, debout près de sa couche, qui respirait. - Ah ! c'est bien peu de chose, la mort ! pensait-elle ; je vais m'endormir, et tout sera fini ! Elle but une gorgée d'eau et se tourna vers la muraille. Cet affreux goût d'encre continuait. — J'ai soif ! oh ! j'ai bien soif ! soupira-t-elle. — Qu'as-tu donc ! dit Charles, qui lui tendait un verre. — Ce n'est rien ! Ouvre la fenêtre... j'étouffe ! Elle fut prise d'une nausée si soudaine, qu'elle eut à peine le temps de saisir son mouchoir sous l'oreiller. — Enlève-le ! dit-elle vivement ; jette-le ! Il la questionna ; elle ne répondit pas. Elle se tenait immobile, de peur que la moindre émotion ne la fît vomir. Cependant, elle sentait un froid de glace qui lui montait des pieds jusqu'au cœur. Flaubert dépeint avec maestria la montée terrible de sa lente agonie, l'affolement du mari qui ne remarque aucun des symptômes de l'empoisonnement à l'arsenic tant il est ignorant, sa tendresse à l'égard d'Emma qui la reconnaît enfin mais trop tard I. Homais, le pharmacien si prétentieux et grandiloquent, est incapable lui aussi de déceler ce type d'empoisonnement, pourtant très fréquent à la campagne où l'arsenic sert à tuer les nuisibles - et à se suicider ! Le désespoir de Charles est effrayant Éperdu, balbutiant, près de tomber, Charles tournait dans la chambre. Il se heurtait aux meubles, s'arrachait les cheveux, et jamais le pharmacien n'avait cru qu'il pût y avoir de si épouvantable spectacle... Elle en avait fini, songeait-elle, avec toutes les trahisons [celles de Rodolphe, un nobliau des environs, au donjuanisme grossier, et de Léon, clerc de notaire à l'idéalisme de pacotille ], les bassesses et les innombrables convoitises qui la torturaient. Elle ne haïssait plus personne maintenant ; une confusion de crépuscule s'abattait en sa pensée, et de tous les bruits de la terre, Emma n'entendait plus que l'intermittente lamentation de ce pauvre cœur, douce et indistincte, comme le dernier écho d'une symphonie qui s'éloigne... On est bien loin de la froide description d'un manuel de médecine sur les symptômes d'un empoisonnement à l'arsenic ! De même, on ne peut être qu'admiratif devant la façon dont Flaubert décrit ses deux héroïnes, Emma et Mme Arnoux, dans L'Éducation sentimentale. Les premiers détails qui montrent Emma dévoilent une sensualité latente. Elle suce avec volupté ses doigts qu'elle a piqués en cousant, elle mordille ses lèvres charnues, elle caresse avec passion les tissus coûteux que le colporteur offre à sa convoitise... Mme Arnoux est le contraire de la sensualité. Frédéric la voit comme une apparition, et le terme d'apparition est souligné par la typographie. Flaubert va à la ligne, pour mieux insister sur le caractère idéal de cette femme, qui, en plus, s'appelle Marie ! Quand Emma boit, elle a des mouvements de langue gourmands, tandis que Mme Arnoux se contente de tremper ses lèvres dans son verre. Emma aime voluptueusement regarder les belles robes et, mieux, les caresser de la main, et s'acheter des vêtements clinquants ; Mme Arnoux n'a nulle coquetterie dans sa mise, tout au plus un camée de lapis-lazuli, la couleur qu'utilisent de tout temps les artistes pour peindre le monde céleste ! Flaubert refuse la plate reproduction de la réalité il en choisit les éléments les plus significatifs afin de suggérer, par touches successives, la vie profonde de ses personnages, un peu à la façon des peintres impressionnistes. Comme il le dit lui- même, l'Art n'est pas la réalité. Jean d'Ormesson, dans Une autre histoire de la littérature française Nil, 1997, écrit ceci Il y a un mot qui ne va pas bien à Flaubert c'est le mot "talent". Il n'est pas couvert de dons, il n'est pas brillant. Il est plutôt solide que doué. C'est un travailleur de génie. » Il lui faudra en effet plusieurs années pour écrire Salammbô, dont l'incipit est presque aussi célèbre que celui de Proust C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar... » Le Dictionnaire des idées reçues conçu en 1847, jamais achevé et publié en 1911, plus de trente ans après sa mort, est une oeuvre profondément iconoclaste, qui n'a rien apporté de transcendant au génie de la langue, mais pour laquelle j'ai évidemment un faible particulier. Conçu dans la même veine que Bouvard et Pécuchet roman posthume inachevé, ce dictionnaire est une vaste entreprise de démolition, imaginé à partir d'une constatation de génie le propre des gens bêtes est de craindre par-dessus tout de paraître tels. C'est une attaque en règle contre l'esprit bourgeois de l'époque et qui n'a peut-être pas pris une ride depuis... où l'on pense selon les habitudes de son milieu, quel qu'il soit. L'essentiel du Dictionnaire, ce ne sont pas les manifestations de platitude, de vanités ou de sottises pures [Été toujours exceptionnel voir hiver ; Hiver toujours exceptionnel voir été]. Le plus important, c'est la mise à nu du mécanisme universel qui assure à la bêtise la suprématie sur toute forme d'attitude, on n'ose pas dire de pensée » Philippe Meyer. Fleurs de rhétorique Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré ! Charles de Gaulle. Comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous pratiquons la rhétorique, chaque jour, sans nous en apercevoir, en utilisant des figures de style toutes aussi différentes les unes que les autres. Et n'ayons pas peur de ces mots qui peuvent sembler barbares ! On va boire un verre ? » métonymie Siouplaît ! » crase Je voulais dire... Enfin, non, pas vraiment. » épanorthose Ça n'est pas mauvais. » litote Il m'a traité ! » ellipse Je préfère le bus au métro. » aphérèse Quel Tartuffe ! » antonomase J'ai l'estomac dans les talons ! » adynaton Quelle soirée géniale ! » hyperbole Il nous a quittés ; quelle tristesse. » euphémisme Je ne prétends pas avoir raison, mais... » prétérition, suivie d'une ellipse ! Ah ! t'es propre ! » antiphrase Je l'ai écouté d'une oreille distraite. » hypallage Et tu manges encore, et tu bâfres, et tu te goinfres ! » polysyndète La petite fille, elle pleure. » épanalepse Tiens, v'Ià François ! » syncope On y va en auto ou en métro ? » apocope Où il est parti ? Où ? » anadiplose Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens mais dans l'œil du vieillard on voit la lumière » chiasme Elle est mal rénumérée. » métathèse Ces figures de style ont en général des noms impossibles mais elles font la richesse de notre langue et de la littérature, et certaines ont ma préférence Allégorie Celle que Diderot appelait la ressource ordinaire des esprits stériles » est un procédé stylistique qui consiste à rendre concrète une idée abstraite au moyen d'un ensemble d'éléments symboliques ou de métaphores. En créant des images, elle les rend plus accessibles. Ainsi, dans les Contemplations de Victor Hugo Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ Elle allait à grands pas, moissonnant et fauchant Noir squelette, laissant passer le crépuscule. Nous ne voyons pas une faucheuse, mais nous comprenons immédiatement la mort. Nous allons à l'abstrait à travers le concret. Ce n'est pas très gai, mais ça a le mérite d'être clair. Allitération Répétition des mêmes lettres ou plutôt des mêmes sonorités de façon à obtenir un effet surprenant ou harmonieux Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes. Racine. Il pleure sans raison Dans ce cœur qui s'écœure Verlaine. Je m'instruisis mieux par fuite que par suite. Montaigne. Anacoluthe C'est une brusque rupture dans la construction syntaxique d'une phrase. La phrase commencée est interrompue. C'est un peu comme si on les mélangeait. Elle vient plus d'un goût de l'asymétrie ou d'une faute involontaire que d'un début de maladie d'Alzheimer. Cette faute grammaticale survient notamment lorsque le sujet du verbe principal n'est pas le même que le sujet qui fait l'action exprimée par le participe présent, le participe passé ou l'infinitif de la subordonnée. Les formules de fins de lettres sont souvent l'objet d'anacoluthe Espérant avoir de vos nouvelles sous peu, veuillez recevoir mes salutations distinguées. Marcel Proust, dans La Prisonnière, s'amuse à dévoiler le caractère volontairement trompeur de l'anacoluthe Elle usait, non par raffinement de style, mais pour réparer ses imprudences, de ces brusques sautes de syntaxe ressemblant un peu à ce que les grammairiens appellent anacoluthe ou je ne sais comment. S'étant laissée aller en parlant femmes, à dire "Je me rappelle que dernièrement je", brusquement, après un quart de soupir, "je" devenait "elle". » Anaphore Répétition d'un mot, ou de plusieurs membres de phrases, pour obtenir un effet de renforcement ou de symétrie. Rome, l'unique objet de mon ressentiment ! Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant ! Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore ! Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore ! Corneille, Horace, IV, 5. C'est une figure de style censée rythmer une phrase, souligner un mot, renforcer une affirmation, en produisant un effet musical qui communique de l'énergie au discours, surtout en politique, comme on peut le constater avec la célèbre phrase du général de Gaulle prononcée le 24 août 1944, et aussi par la fameuse Moi président de la République » de François Hollande face à Nicolas Sarkozy en mai 2012. Antanaclase Lorsque Jules Renard écrit Un homme de caractère n'a pas toujours bon caractère » et Prévert Ils faisaient souffrir tranquillement ceux qui ne pouvaient pas le souffrir », ils utilisent une figure de style avec deux fois le même mot dans la même phrase, en lui donnant deux sens différents. Peu estimée en littérature, l'antanaclase du grec anti contre » et anaklosis répercussion » est très appréciée dans l'univers du cabaret et du théâtre de boulevard, sans oublier San- Antonio qui en redemandait et qui en faisait ses choux gras. Antimétabole En voilà une belle et presque pas connue Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger. » On l'aura compris, l'antimétabole est une répétition selon un ordre inversé du grec anti en sens inverse », meta changer » et ballein en jetant ». J'ai appris qu'une vie ne vaut rien, mais que rien ne vaut une vie » André Malraux. L'amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l'amour » Mme de La Fayette. C'est aussi un beau tremplin pour les jeux de mots Il ne fait pas le dictionnaire du commerce, mais le commerce du dictionnaire. » Et bien sûr du pain ou du café béni pour les publicités Café Leroy, le roi des cafés. » Apophtegme du grec énoncer une sentence » Dit notable, sentencieux, pensée forte de quelque personnage célèbre Vous pouvez épuiser mes forces, vous n'épuiserez pas mon courage ! » Guizot. Aposiopèse Consiste à interrompre une phrase sans achever sa pensée, en laissant au lecteur le soin de la compléter. L'aposiopèse est très proche d'une autre figure de style, la réticence. Osez-vous, sans ma permission, ô vous, bouleverser le ciel et la terre et soulever de telles masses ? J'ai envie de vous... ! Mais il faut d'abord apaiser les flots déchaînés... » Virgile, L'Énéide. Tu vas ouïr le comble des horreurs. J'aime... À ce nom fatal, je tremble, je frissonne. J'aime... Racine, Phèdre. Asyndète C'est une sorte d'ellipse qui supprime les liens logiques et les conjonctions dans une phrase bon gré, mal gré ; bon pied, bon œil ; à la vie, à la mort ; tel père, tel fils. L'effet recherché par l'asyndète est d'exprimer le désordre, c'est pourquoi elle est très employée en littérature, afin de matérialiser la confusion Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières, on s'écrasait aux ponts, pour passer les rivières » Victor Hugo, L'Expiation. Catachrèse Une des injures préférées du capitaine Haddock, qui devait probablement en ignorer le sens ! Du grec katakrésis, abus », elle consiste à détourner un mot de son sens propre en étendant sa signification. En prenant des bains de soleil, les coudes sur les bras d'un fauteuil, près d'un bras de mer, un verre de limonade posé près du pied de la table ou à cheval sur un mur , vous avez catachrésé » quatre fois. Chiasme Du grec khiasma, croisement », grâce à sa construction spécifique, le chiasme permet de créer un rythme particulier. Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger » Molière. Sur quatre éléments, le premier et le quatrième peuvent être associés, le deuxième et le troisième peuvent être rapprochés le chiasme dispose en ordre inverse, par interversion, les segments de deux groupes de mots syntaxiquement identiques. En littérature, le chiasme a pour effet de frapper l'imagination. Victor Hugo, encore lui, en était en effet un fervent utilisateur La neige fait au nord ce qu'au sud fait le sable. Rester dans le paradis, et y devenir démon, rentrer dans l'enfer, et y devenir ange ! Je ne songeais pas à Rose ; Rose au bois vint avec moi. Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu. Ellipse Raccourci dans l'expression de la pensée. Fait de style consistant à omettre un ou plusieurs éléments de la phrase Il a un grain sous entendu... de folie ! Qu'est-ce qu'il tient ... comme cuite ! Combien vaut ce bijou ? Comment va s-tu ? Il n'est plus le même qu'avant. Énallage L'énallage féminin est la substitution à une forme attendue d'une autre forme. On parlera d'énallage dans le cas de l'infinitif de narration en français Ainsi dit le Renard et flatteurs d'applaudir ou quand un adjectif prend la place d'un adverbe il chante terrible. Dumarsais 1676-1756, grammairien et philosophe, appuyé par Beauzée, autre grammairien élu à l'Académie française en 1772, adopta une position radicale contestant à l'énallage une existence quelconque, ils proposèrent de la réduire à une faute, et de la traiter comme telle. Enthymène Argument composé de deux propositions l'antécédent et le conséquent. Contrairement au syllogisme qui en comporte trois. Je pense, donc je suis » Descartes. Épenthèse En voilà une que les enfants ne boudent pas, tout comme YUbu roi d'Alfred Jarry et son fameux Merdre ! ». Du grec epenthesis, surajouter », c'est l'action d'ajouter sans que cela se justifie, à moins de rechercher un effet stylistique Les Proèmes de Francis Ponge, un phonème, une syllabe ou simplement une voyelle ou une consonne. On la retrouve dans des fautes populaires de langage chortre pour charte, frustre pour fruste, peneu pour pneu, un ourse blanc au lieu d'un ours blanc, lorse que au lieu de lorsque. Elle est souvent le fait d'une difficulté d'articulation en raison de la rencontre inhabituelle de deux phonèmes. Épiphore Dans l'épiphore, la répétition se fait en fin de phrase ou de paragraphe. Presque toutes les strophes du poème Liberté » de Paul Éluard combinent l'anaphore et l'épiphore Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris ton nom Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'écris ton nom Épitrochasme L'épitrochasme fait sautiller, gambader la phrase ou le vers par son accumulation de mots courts et expressifs. Son esprit, strict, droit, bref, sec et lourd » Alfred de Vigny, Stello. Les haïkus, ces poèmes classiques japonais de dix-sept syllabes réparties en trois vers, se fondent eux aussi sur des épitrochasmes, pour rendre compte d'impressions fugitives. Euphémisme Adoucissement d'une expression qui pourrait choquer par sa brutalité ou sa tristesse Elle a vécu , Myrto, la jeune Tarantine André Chénier. Hendiadys Son étymologie nous met sur la piste du grec hen dia duoïn, une chose au moyen de deux mots ». Se prononce in-dia-diss et consiste à remplacer la subordination entre deux mots par une coordination. Cette jeune fille et sa lubricité peut ainsi remplacer cette jeune fille lubrique ou la lubricité de cette jeune fille. Homéotéleute L'homéotéleute consiste à rapprocher des termes ou des groupes de mots aux sonorités finales identiques. Quelques rhétoriciens scrupuleux appellent, spécifiquement, homéopatote » l'accumulation des mots aux finales semblables. L'oreille, attirée par cette salve verbale, a des chances d'en confier le souvenir à l'esprit. Présente dans les slogans publicitaires, l'homéotéleute convient aussi aux discours polémiques ou simplement moqueurs Madame Victurnien [...] était sèche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse » Victor Hugo, Les Misérables. Tiens ! Polognard, soûlard, bâtard, hussard, tartare, calard, cafard, mouchard, savoyard, communard ! » Alfred Jarry, Ubu roi. Idiotisme Expression ou construction particulière à une langue et qui est intraduisible directement dans une autre langue. Dans la langue grecque, ce sont les hellénismes ; en latin, les latinismes ; en français, les gallicismes, etc. Ka kemphaton Kakemphaton vient du grec kakemphatos, malsonnant ». Sous ce mot sévère et mystérieux se cache une fantaisie des plus appréciables. C ; est une association sonore involontaire qui produit un second sens amusant, souvent trivial. Certains de nos meilleurs écrivains sont parfois tombés dans cette chausse- trape. Sur le sein de l'épouse, il écrasa les poux. J'habite à la montagne et j'aime à l'avaler. On m'appelle à régner. » Vicomte d'Arlincourt 1789-1856 Fruits purs de tout outrage. Elle put /m/iolable, résister » Charles Baudelaire 1821-1867. Et le désir s'accroît quand l'effet se recule [Polyeucte. Je suis Romaine, hélas, puisque mon époux l'est [Horace. Vers que Corneille modifia Je suis Romaine, hélas ! puisque Horace est Romain. Car ce n'est pas régner qu'être deux à régner [La Mort de Pompée. Pierre Corneille 1606-1684. Je sortirai du camp, mais quel que soit mon sort, J'aurai montré, du moins, comme un vieillc/rd en sort. » Adolphe Dumas 1806-1861. Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend. Il sortit de la vie comme un vieillard en sort. Le roi de Perse habite , inquiet, redouté... » Victor Hugo 1802-1885. Le rat fut à son pied par sa patte attaché. » Jean de La Fontaine 1621-1695. Passe aussi son chemin, ma chère, et disparaît. Jean Moréas 1856-1910. L'amour a vaincu Loth. » Simon-Joseph Pellegrin 1663-1745. La vache pait en paix dans ces verts pâturages. » Pierre-François Tissot 1768-1854. Métaphore C'est un raccourci de la pensée qui permet de désigner une chose par une image le plus souvent associée à une autre. La métaphore » vient d'un mot grec qui signifie transporter ». La littérature française est friande de métaphores, que ce soit Voltaire dans Alzire Votre hymen est le nœud qui joindra les deux mondes. » Pauvre Voltaire, s'il savait ce que le nœud signifie aujourd'hui... Ou Molière dans Les Précieuses ridicules Voiturez-nous ici les commodités de la conversation. » Jules Renard, lui, était un maître en la matière, et il se faisait un plaisir de les ciseler à sa façon - un crabe ? un galet marchant - les étoiles ? un feu d'artifice qui reste en l'air - les boutons-d'or ? la monnaie du soleil - le papillon ? un billet doux plié en deux, qui cherche une adresse de fleur. Et, moins poétique et plus prosaïque - la première communion ? des petits blessés au bras gauche. Et si je vous disais que le parler populaire et plus précisément l'argot sont des mines de métaphores on se roule une pelle », on se ravale la façade », et on glisse sa cigarette sur l'étagère à mégots » l'oreille. Quant aux médias, comme je le fais remarquer ailleurs dans ce livre voir Marché linguistique... ils en sont fous. Métonymie Procédé de style par lequel on exprime l'effet par la cause, l'objet par son origine, le contenu par le contenant, le tout par la partie, etc. Vivre de son travail mis pour l'argent qu'on retire de son travail ». Voilà une méchante langue. Voici une bouteille de bourgogne de vin de Bourgogne. Le Midi bouge pour les habitants du Midi. Oxymore Du grec oxumôron, de oxus, aigu », et môros, sot, fou », il établit une relation de contradiction entre deux mots qui dépendent l'un de l'autre ou qui sont coordonnés entre eux. Si nos écrivains en raffolent - Nicolas Boileau Hâtez-vous lentement », la marquise de Sévigné L'éloignement rapproche », André Gide Son bon sourire de crocodile », et celui, célèbre, du Cid de Pierre Corneille obscure clarté », il en est de même du tout-venant qui truffe ses phrases de douce violence, de mort vivant, de nouveau classique, de verre en plastique et d'oublieuse mémoire. Figure d'opposition, il vise un effet de non-sens, mais peut renforcer des descriptions ; il sert alors à suggérer des atmosphères oniriques ou hallucinatoires. Utilisé dès l'Antiquité, il fut longtemps nommé opposition en France jusqu'au xvm e siècle, d'après Louis de Jaucourt, dans Y Encyclopédie. Avec une avare magnificence » Jean-Jacques Rousseau, nous vous offrons cette liste Les soleils mouillés Charles Baudelaire, L'Invitation au voyage. La clarté sombre des réverbères Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels. Elle se hâte avec lenteur Jean de La Fontaine, Le Lièvre et la Tortue. Les fous normaux Pierre Desproges. Je la comparerais à un soleil noir » Baudelaire. Un affreux soleil noir d'où rayonne la nuit Victor Hugo. Mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie Gérard de Nerval, El desdichado ». Jeune vieillard Molière, Le Malade imaginaire. La légèreté pesante de ses idées Norbert Poulard. Un merveilleux malheur titre d'un essai de Boris Cyrulnik publié en 1999. La variation des constantes méthode mathématique de résolution d'équations différentielles. Un silence assourdissant Albert Camus, La Chute. Splendeurs invisibles Arthur Rimbaud. Une sublime horreur Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert. Un minuscule infini Julie Chvetzoff, L'Inconnue célèbre. Sa belle figure laide sourit tristement Alphonse Daudet, Le Petit Chose. Cette petite grande âme venait de s'envoler Victor Hugo, Les Misérables, à propos de la mort de Gavroche. Mais je ne résiste pas à rajouter à cette liste les suggestions du grand Gérard Genette qui, tout en étant le pape de la théorie littéraire, n'en est pas moins pétri d'humour musique militaire, banque populaire, démocratie directe et islamisme modéré ! Palindrome Le palindrome est un mot ou une phrase qui se lit de la même manière à l'endroit ou à l'envers ; par exemple élu par cette crapule ». Les mots palindromiques sont peu nombreux en français ; en voici une liste quasi complète, à laquelle on peut rajouter les noms de villes comme Laval ou Noyon Anna, erre, été, gag, kayak, nanan, non, radar, ressasser, rêver, rotor, sagas, serres, sexes, snobons, solos, sus, taxât, tôt, Ubu. Pangramme Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume. Cette phrase vous intrigue ? Vous avez raison. Il s'agit d'un des pangrammes les plus connus, à savoir une phrase dans laquelle on utilise toutes les lettres de l'alphabet. L'idéal étant de composer une phrase cohérente de vingt-six lettres seulement et toutes différentes. Celui qui nous intéresse ici est remarquable car c'est un véritable alexandrin et qu'il décrit une situation tout à fait plausible. On l'a attribué à Georges Perec, qui serait parfaitement capable d'en être le père, mais rien n'est moins sûr. Quant au pangramme qui suit, il n'est ni court ni vraisemblable, mais il a le mérite d'exister Voyez ce bon fakir moqueur pousser un wagon en jouant du xylophone. Paronomase Sensibles aux moindres vibrations de la langue, bien des écrivains se plaisent à réunir deux mots suivant le principe dit de la paronomase. Les mots ainsi réunis semblent avoir été faits l'un pour l'autre Pierre de Ronsard Ma douce Hélène, non, mais bien ma douce haleine. François Rabelais Le service du vin, le service divin. Pierre de Marbeuf Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage. Robert Desnos La nuit, l'ennui. Paul Éluard Lingères légères. Jean Cocteau Faux marbre fou d'ambre et d'ombre. Jacques Prévert Café crème, café crime. Eugène Ionesco Bizarres, beaux-arts. Jean-Michel Volmert Les sueurs de l'amour, et les suaires de la mort. Et, jusqu'à la pire extrémité /des extrémités/ l'écrivain ne peut /ne pourra/ s'empêcher de faire sinon un bon mot, du moins /d'exprimer/ une formule frappée. Prosopopée Discours prêté à des objets inanimés ou à des personnes mortes dans sa première Catilinaire », Cicéron fait parler l'Italie, la patrie, la république. Synecdoque Procédé de style qui consiste à prendre 1. Le tout pour la partie porter un castor 2. La partie pour le tout âmes pour hommes ou voiles pour vaisseaux. 3. Le nombre l'homme pour les hommes. 4. Le genre pour l'espèce l'animal pour le cheval, par exemple. 5. L'espèce pour le genre les roses pour les fleurs. 6. La matière le fer pour l'épée, le bronze pour la cloche... 7. L'abstraction la jeunesse pour les jeunes, etc. Tautologie On dit que la tautologie est un truisme une vérité d'évidence, à savoir une figure de style qui consiste à présenter comme une explication une simple évidence. On n'est pas loin du pléonasme et de la lapalissade. Exemple Mais enfin, je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je La Fontaine, Fables, IX, 1. En résumé, tout ce qui n'apporte pas une nouvelle information peut être considéré comme tautologique. Tmèse Figure du grec tmêsis, coupure » qui consiste à placer une ou plusieurs expressions entre deux parties d'un mot composé Lors même que vous aurez raison... Zeugme Le zeugme, ou zeugma, consiste à joindre à un mot deux compléments, disparates le plus souvent, par le rapprochement de deux éléments, l'un concret, l'autre abstrait. Il admirait l'exaltation de son âme et les dentelles de sa jupe Gustave Flaubert. Cette chambre sentait la province et la fidélité Flonoré de Balzac. Karine prit peur, le bus 28 et la poudre d'escampette Maryz Courberand. Après avoir sauté sa belle-sœur et le repas de midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane Pierre Desproges. Or Adam et Eve, se doutant qu'un coup foireux se préparait, revêtirent des déguisements et se glissèrent dans la queue en essayant de la remuer, créant ainsi le premier zeugme de l'humanité Philippe Geluck. Vêtu de probité candide et de lin blanc Victor Hugo. Tout jeune Napoléon était très maigre et officier d'artillerie ; plus tard il devint empereur, alors il prit du ventre et beaucoup de pays Jacques Prévert. Il reprit sa respiration et du ris de veau San-Antonio. À défaut de sonnette, ils tirent la langue Paul Valéry. Je prends mon courage à deux mains et ma malle par l'anse Jules Vallès. Écœurés les deux hommes s'éloignèrent et s'enfoncèrent respectivement, l'un dans la nuit, l'autre un clou dans la fesse droite Pierre Dac. J'aime mieux élever deux cents nombres au carré qu'un seul enfant au biberon Alphonse Allais. Il lui fit l'amour et des zeugme s au plat. Hervé Le Tel lier. À son lit de mort, l'homme songe plutôt à élever son âme que des lapins Jean Commerson. Autres zeugmes, de mon cru Vous désirez ? me demanda-t-elle en souriant et en portugais. J'ai traversé la France et une crise de désespoir. Lord Sandwich exigeait toujours un nuage de lait dans son thé et de la modération dans les propos. Français non officiel Le C ; est le linguiste Jacques Cellard qui avait inventé cette appellation susceptible de recouvrir les notions vagues d'un certain français non admis par la langue commune et qu'il appelait avec son complice Alain Rey le français non conventionnel ». Dommage que ce terme novateur et rassembleur ne soit pas entré dans l'usage pour qualifier tout à la fois le français familier, populaire, argotique et par extension le français des cités. Le français familier, c'est celui qui n'obéit à aucun code de situation particulier, rejeté par l'Administration et du domaine scolaire, et dont la caractéristique principale est qu'il est issu du registre du quotidien et de la spontanéité. Claude Duneton, auteur d'un savoureux Guide du fronçais familier Le Seuil, 1998, écrivait qu'il se distingue par certains relâchements de syntaxe surtout dans sa version parlée ». Par exemple Ma sœur elle va à l'école » au lieu du simple Ma sœur va l'école ». Rien à voir avec l'argot qui n'était longtemps que la langue des malfaiteurs organisés dans les bandes. Ce terme déjà attesté au xm e siècle désignait initialement la collectivité des gueux et des mendiants, puis ensuite le jargon. Beaucoup plus tard, l'argot était parlé par les voyous dans les bars à putes, dans les films écrits par Audiard et dans les romans d'Albert Simonin malheureusement les voyous ne vont plus dans les bars à putes car ils commandent les filles par Internet... décidément, tout fout le camp, NdIR. Mais tant qu'il y aura une langue des rues, la tchatche aura son droit de cités [sic et c'est tant mieux, car c'est une langue qui enrichit le français et aussi une belle source d'inspiration en dehors des cités grâce aux réseaux sociaux et aux rappeurs prescripteurs. Pour les puristes de la langue qui douteraient que la formation des mots d'argot ait à voir avec des procédés de haute tenue linguistique, je citerai à titre d'exemple certains nouveaux mots formés grâce au principe de l'apocope suppression de syllabes ou de phonèmes de la fin d'un mot accro, apocope de accroché » ; ou de l'aphérèse suppression de syllabe au début d'un mot blême , aphérèse de problème ». Certes, les rappeurs ne sont pas encore mûrs pour le quai de Conti, certes ils sont encore plus proches du 9-3 que du Quatrevingt-treize d'Hugo, mais ce qu'il convient d'appeler maintenant la littérature urbaine a, je crois, un bel avenir devant elle. Rien n'est plus passionnant que d'observer l'évolution de ces parlers » non officiels ou non conventionnels, parce qu'ils expriment un désir d'expressivité commun à des groupes sociaux d'une part, et aussi parce qu'il y a un rapport magique entre l'argot et la poésie. L'écrivain anglais Chesterton a même écrit Tout argot est métaphore et toute métaphore est poésie », et ce ne sont pas des chanteurs comme Brassens, Renaud ou Pierre Perret qui nous prouveront le contraire. Nul n'est désormais censé ignorer que la vie de ces mots, foisonnante et débridée, est intensément humaine. Leur grouillement inventif et leur drôlerie ne peuvent nous laisser indifférents. Franco-français Spécificité française oblige, si je peux me permettre ce pléonasme chacun sait que si c'est français, c'est forcément spécifique, au même titre que l'accident qui est toujours stupide..., les controverses sont toujours 100 % françaises. Peut-être devrais-je me consoler en me disant qu'il restera au moins ça parce que, pour ce qui est des lave-linge, tee-shirts et magnétoscopes, on fait plutôt dans le sino- chinois. Donc, quand un Français rencontre un autre Français, qu'est-ce qu'ils se racontent ? Des histoires de Français, pardon des histoires franco-françaises. J'épinglerai aussi l' exception culturelle franco-française » - excusez du peu, surtout quand c'est signé d'un certain Jean-Marie Messier. Comme s'il n'avait pas compris qu'une exception française est forcément française. J'ajouterai les objectifs très franco-français » selon l'Associated Press, le projet franco-français » du Monde là, le monde pour le coup semble bien petit, le débat franco-français de L'Humanité et même les vols franco-français d'œuvres d'art » dénoncés par l'excellente revue d'art L'Estampille. À quand un passeport franco-français ? François I er 1494-1547 Tout est perdu fors l'honneur. Ce roi séduisant et fastueux, comme le montrent les tableaux de Clouet ou du Titien, fut un des grands introducteurs en France de la Renaissance italienne. Ses nombreuses guerres en Italie pour conquérir le Milanais, avec la victoire brillante de Marignan puis la cuisante défaite de Pavie, l'ont amené à bien connaître l'extraordinaire renouveau des arts qui explosaient dans les riches cités italiennes. La littérature, avec l'éclosion d'œuvres en italien aussi différentes que La Divine Comédie de Dante, le Décaméron de Boccace ou l 'Orlando Furioso de l'Arioste, tournait résolument le dos au latin qui avait régné jusque-là, et s'exprimait dans la langue natale. La peinture découvrait la perspective, et nombre de nouvelles techniques. D'ailleurs, François I er ramena avec lui Léonard de Vinci lors de son dernier séjour en Italie. Enfin, il bâtit de nombreux châteaux dotés des derniers raffinements italiens. Je pense en particulier au château de Blois qu'il fit agrandir avec un extraordinaire escalier à double hélice intérieure et une éblouissante cage octogonale, sur les plans de Léonard de Vinci, sans oublier le joyau qu'est Chambord, probablement inspiré là encore par Léonard de Vinci. François I er n'était pas très cultivé, mais, influencé par sa mère Louise de Savoie et sa sœur Marguerite de Navarre qui s'était entourée des meilleurs humanistes, il accueillit favorablement les grands esprits, comme Guillaume Budé. Devenu le meilleur helléniste de son temps, celui-ci sut gagner la faveur royale. Je ne peux m'empêcher de relater une des premières audiences accordées par François I er à Guillaume Budé J'ai attendu je ne sais combien de jours que le roi fût disposé à vaquer aux doctes entretiens [...] Au moment où ce dernier sortait de table pour entrer dans le salon intérieur, quelques personnes et moi nous parvînmes à nous y introduire avec lui. Certes, le roi [...] ne met aucun obstacle à cette liberté ; néanmoins, je n'aime pas abuser de cette tolérance en usant de toutes les occasions qui se présentent [...] Le roi, m'ayant encouragé à parler aussi longuement et aussi librement que je le voudrais, je me mis en devoir, tout en tirant [ta] lettre de ma poche, de toucher les sujets de conversation qui paraissaient le plus propre à me conduire au but que je m'étais assigné [...] L'entretien s'engage dans le sens que je souhaitais [...] Le roi se tourne vers moi et me demande Quelle est donc, Budé, cette lettre que vous tenez à la main ? » Et moi de lui répondre C'est de Lascaris [un autre humaniste], qui est à Venise, où il s'occupe de choisir les jeunes étudiants, ainsi qu'il en a été chargé. » Le roi m'ordonna de lire la lettre [écrite en grec]. Voyant que je me taisais, il me la demanda et, après l'avoir considérée attentivement, se convainquit qu'il lui était impossible de la déchiffrer il me la rendit alors et me la fit lire. Je me mis à la parcourir sans la moindre difficulté, l'expliquant avec perspicacité et non sans quelque ostentation. Le roi enchanté témoigna de son admiration, ajoutant qu'il s'étonnait de ne me voir manifester aucune hésitation au cours d'une lecture et d'une explication aussi difficiles [...] Cet étalage de science était bien fait pour donner de l'illusion à des hommes totalement ignorants de ces choses [...] Je puis donc avouer que je me suis efforcé avec intention de déployer heureusement toute mon habileté et d'en faire montre, comme le pourrait faire un singe au milieu d'une réunion d'ânes. L'artifice de Budé réussit à merveille. Devenu le maître de librairie » de François I er , il fut l'instigateur de la création en 1530 du Collège de France, d'abord nommé collège de lecteurs royaux ». Deux savants payés par François I er furent chargés d'enseigner des disciplines que la Sorbonne ignorait, le grec et l'hébreu. Le nombre de professeurs passa très vite de deux à dix, en ajoutant entre autres la médecine mieux connue grâce aux traductions grecques, les mathématiques, le latin enfin débarrassé du latin de cuisine en vogue dans les monastères, grâce à la grammaire et aux dictionnaires créés par Budé, et le droit français, de plus en plus inspiré d'une meilleure connaissance des textes latins de base. Cette création porta un rude coup au monopole de la Sorbonne, dont l'enseignement était souvent erroné et mal expliqué, comme le montrent les satires de Rabelais dans Gargantua. Budé créa également la bibliothèque de Fontainebleau, qui est à l'origine de la Bibliothèque nationale. François I er sut donc s'entourer d'hommes de valeur et écouter leurs conseils, bien mieux que bon nombre de nos contemporains, dont je ne citerai pas les noms... Il souhaitait aussi que la justice soit comprise par tous. Ainsi, en 1539, il signa l'Ordonnance de Villers-Cotterêts, du nom du château où il séjournait alors, à soixante-quinze kilomètres au nord de Paris. Cette Ordonnance générale sur le fait de la Justice, Police et Finances limite strictement la justice religieuse aux causes purement internes au monde ecclésiastique. François I er remet le pouvoir judiciaire au monde séculaire. Il crée un début d'état civil en obligeant les curés de chaque paroisse à tenir un registre des baptêmes. Mais, surtout, il prescrit l'usage exclusif du français dans tous les actes administratifs, alors qu'ils étaient rédigés jusqu'alors en latin. Comme le dit l'article 111 Nous voulons que dorénavant, tous arrêts, et ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, soient des registres, enquêtes, contrats, testaments et autres quelconques actes et exploits de justice ou ce qui en dépend, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françoys et non autrement. Le rôle de François I er dans le triomphe du français au xvi e siècle est donc éminent. Mon seul regret est qu'il n'y ait plus eu de chef de gouvernement depuis lors pour obliger le monde clos de la justice à supprimer les si nombreux archaïsmes latinisants dont se gargarisent avocats et procureurs ! Francophonie La francophonie ? Défense et illustration des langues françaises. La francophonie est la seule institution internationale qui se définisse par une langue. Le terme francophonie lui-même n'est pas neutre, et sa naissance est politique. Bernard Cerquiglini rappelle qu'il a été forgé vers 1880 par le géographe communard Onésime Reclus frère d'Élisée et il entendait regrouper, au-delà du colonialisme, un vaste empire de la langue, de culture et de valeurs républicaines, destiné à faire pièce aux Prussiens campés derrière les Vosges. Fort utilisé au Québec, le mot francophonie fut repris, après les indépendances, par les présidents Léopold Sédar Senghor Sénégal, Habib Bourguiba Tunisie et Hamani Diori Niger afin de penser et de désigner une forme d'alliance postcoloniale, de coopération apaisée avec l'ex-métropole, réalisant en somme le rêve de Reclus. La francophonie est une géographie qu'un projet mobilise, qu'elle ait été conçue à propos du français n'est pas un hasard ». Il n'est pas de langue habitable que celle qu'on enfante soi-même », écrit le poète tchadien Nimrod, et c'est à travers le français que nombre d'écrivains dans le monde on enfanté, non sans les douleurs de l'histoire, leur langue habitable ». Car, en effet, ce n'est pas si simple que cela, comme l'explique l'écrivain académicien et cinéaste haïtien Dany Laferrière, auteur de Vers le sud, source d'inspiration du film éponyme de Laurent Cantet J'ai toujours été très ambivalent avec cette notion de francophonie. Tout à coup ce vocable est apparu pour occuper un si vaste espace dans ma vie d'individu, et surtout dans ma vie d'écrivain... Autrefois, je me sentais comme alourdi par cet héritage colonial une langue maternelle le créole différente de la langue officielle le français. On doit apprendre le français si on veut sortir du lot, tout en ayant l'impression, ce faisant, d'avoir trahi son enfance. Le créole devenant subitement la langue d'avant l'école, et cela même si on continue à le parler toute sa vie. En fait, rien ne nous obligeait à garder le français après l'indépendance en 1804. À tout moment, on pouvait renverser la situation par un simple décret. Bien qu'on ne se débarrasse pas aussi aisément d'une langue tissée dans la chair et le sang de l'histoire. Le débat créole/français faisait rage en Haïti dans les années 1970. » Toujours est-il que ce qui m'intéresse, au-delà de la foisonnante histoire littéraire de la francophonie, c'est la découverte d'un vocabulaire aussi riche qu'insolite au gré des différents pays, lequel témoigne d'un nouvel espace linguistique, géopolitique et culturel. Alors, si vous caressez par exemple le projet de vous rendre en Mauritanie, il vous serait utile de savoir que certains mots, à consonance pourtant française, n'ont pas nécessairement là-bas la signification à laquelle vous pourriez vous attendre. La preuve dans ce pays, si vous commandez une compote, on vous apportera un préservatif ! Et si, au cours de votre voyage en Afrique, vous faites une halte au Sénégal et que vous entendez quelqu'un vous dire je vais faire mes besoins, je serai de retour dans deux heures, ne concluez pas que le malheureux souffre d'une solide constipation. Il va simplement vaquer à ses occupations. Ce qui ne signifie pas que sa tâche soit moins laborieuse. Sur ce chapitre il est bon de savoir aussi que, lorsqu'on voudra aller faire ses besoins naturels à Haïti, on pourra dire je vais à la commode. Pour les mêmes nécessités, en Centrafrique, ce sera aller au fleuve ; en Côte-d'Ivoire aller au bord ; et au Sénégal aller en brousse. Et si au Bénin pays où l'on pratique six langues en plus du français il est question de sous-marin, ce n'est pas d'un submersible qu'il s'agit, ni d'un sandwich, comme ce pourrait être le cas au Québec, mais plutôt de Yamant d'une femme ! À l'île Maurice, pour dire que Von fait l'amour, on dira qu'on fait malice. À La Réunion, en parlant de quelqu'un qui drague, les adultes diront qu'il vavangue. Les écoliers, eux, emploieront le même verbe pour dire qu'ils font Yécole buissonnière. Quand une Congolaise vous dit qu'elle n'est pas libre parce qu'elle fréquente, n'abandonnez pas la partie ! Dans ce pays, fréquenter veut dire aller à l'école. Au Sénégal, quand on parle de faire du bouche à bouche, il ne s'agit pas de secourisme. Faire du bouche à bouche, là-bas, c'est faire du bouche à oreille. À Haïti, un petit vicieux, ce n'est pas ce que l'on croit à première vue. C'est un petit gamin gourmand qui se bourre de friandises en cachette. Autre conseil pouvant avoir son importance pour quiconque a l'intention de visiter le Niger en auto. Ne dites surtout pas je vais au garage ou je vais me garer, tout le monde en conclurait que vous vous rendez au bordel. À Haïti, une personne que l'on dit bien placée n'a pas nécessairement une situation hiérarchique enviable. Elle vit simplement en union libre. Au Bénin comme au Zaïre et au Rwanda, le deuxième bureau n'a rien avoir avec l'espionnage, c'est le terme que l'on utilise pour désigner la maîtresse d'un homme marié. Dans ce pays, quand vous verrez un homme pressé de vous quitter parce que ce soir-là il est de nuit, ne pensez pas qu'il se rend à son travail, surtout si sa mine n'est pas renfrognée. Dans cette contrée, être de nuit signifie, surtout pour un polygame, accomplir son devoir conjugal. En tout état de cause, en Afrique où les philosophies sont très fonctionnelles, la règle d'or est le yaka fokon y a qu'à faire, faut qu'on fasse ». En Côte-d'Ivoire, mieux vaut être un groto gros tonneau » et avoir réussi avec une merco Mercedes ». Là-bas, il n'est pas conseillé de grever faire grève » si l'on ne veut pas être déflaté ou compressé licencié ». Toutefois, après les heures de travail, on peut aller au maguis bistrot » ou faire un tour avec sa chérie petite amie ». Le risque, évidemment, si l'on ne prend pas ses précautions, c'est d ’enceinter la chérie en question qui - dans ce cas - aura gagné petit faute de chaussettes. Ma vié mon vieux, ça alors ! », à trop prendre de risques, on peut passer décéder » et se retrouver complètement cadavré mort ». Cela explique peut- être le marasme dans lequel se trouvent les dames de petite vertu qui frappent aux portes des chambres des voyageurs en mal d'exotisme en annonçant C'est l'amour gui passe. En cas de malheur, là-bas, il est d'usage de présenter ses bonnes condoléances, histoire de prouver la sincérité de sa compassion. Mais comme l'amour ne nourrit son homme nulle part, une fois que le groto aura été déflaté et aura perdu son deuxième bureau et sa merco , sa vie sera alors gâtée complet fichue ». Il lui faudra bien choser faire quelque chose », et le mieux sera pour lui de faire le moteur banane se substituer à une machine », par exemple tondre le gazon à l'aide d'une machette, pérennité garantie de l'espèce humaine. Franglais Souvenez-vous, c'était à la fin des années 1950. La France, la vraie, la profonde, la franchouillarde », celle du Picon-bière et des congés payés à la gueule d'atmosphère », se réveilla un beau matin de nouveau sous la botte ou, plutôt, sous le chapeau melon, de l'envahisseur les FRANGLAIS avaient débarqué sur leurs yachts, envahissant notre douce France, détruisant tout sur leur passage à coups de bulldozers, embrochant la poule au pot avec ses barbecues et submergeant de hot- dogs les cafés du Commerce qu'ils allèrent même jusqu'à transformer en drugstores. M. Dupont-Durand était effondré. Il n'en croyait pas ses oreilles. Certes, il avait fini par s'habituer sans problème au chewing-gum des Gl libérateurs, ceux-là mêmes qui dansaient le be-bop le week-end dans les dancings, mais, là, ça devenait too much. Jamais la France n'avait été aussi humiliée par la perfide Albion depuis Jeanne d'Arc et Napoléon. Heureusement, en 1964, la contre-attaque apparut sous la plume féroce d'Étiemble et de son célèbre Parlez-vous franglais ?, un terrible réquisitoire contre l'envahisseur. Il fut soutenu dans son courageux combat par l'inoubliable Fernand Raynaud et son Restons français ! ». Grâce à ces preux chevaliers, l'ennemi parut reculer, mais dès 1970 une nouvelle brèche apparut dans l'univers impitoyable du showbiz et du marketing où les meetings succédaient aux brainstormings et les box- offices aux hit-parades. C'en était trop et en 1975 une loi instaura l'interdiction des mots anglais dans le vocabulaire officiel, transformant pêle-mêle bulldozer en bouteur, marketing en mercatique, Yinterview du speaker en entretien de l'annonceur, et container en conteneur. Mais c'était déjà trop tard ! La franglisation » avait atteint son point de non-retour, et personne ne pouvait empêcher M. Dupont-Durand de faire son jogging autour du parking. Même M. Robert, celui du dictionnaire, continuait, dans son vénérable ouvrage, de définir tranquillement une personne sexy comme ayant du sex-appeal. Un comble ! En 1994, une nouvelle loi qui se voulait plus ferme fut votée à l'initiative de Jacques Toubon alias Allgood I pour renforcer ce dispositif antifrançais. Certes, il y a des abus inacceptables les Leader Ship, Front Page, Any Way, Quick Lunch qui fleurissent sur nos vitrines sont tristement ridicules, comme le sont nos publicitaires qui, sous couvert d'un pseudo-snobisme venu d'ailleurs, prêtent vraiment à rire avec leurs me to product, teaser, pack shot, copy strategy, overclaim et autres supporting evidence. Mais revenons au fond du problème ; l'avenir de notre belle langue ne méritait pas, à mon sens, d'être ainsi surprotégée, et encore moins emprisonnée. Une langue dite vivante » est, comme son nom l'indique, une langue qui bouge et qui doit se nourrir d'apports extérieurs pour ne pas mourir. D'éminents linguistes et hommes de lettres, qu'on ne peut pas soupçonner d'être vendus à l'ennemi, n'ont-ils pas écrit que notre langue semble assez souple, vivante et résistante pour supporter d'être un peu chahutée » François Nourissier, ou encore Ce n'est pas week-end qui est dommageable à la langue, ni tramway, mais c'est "solutionner" qui est calamiteux » Jean Favier, autre débat dans lequel je ne veux pas m'immiscer, laissant l'Académie réagir face à cet appauvrissement, bien franco-français cette fois, de notre langue. Ajouterai-je que nos amis Anglais, qui ne sont pas aussi perfides que certains voudraient le faire croire, utilisent exactement 1 508 mots français dans leur parler quotidien tête-à-tête, rendez-vous, fait accompli, etc., alors que le français ne compte, lui, que 1 500 mots anglais. Mais oui ! le frenglish battrait donc d'une courte tête le franglais. Vous l'avez compris, je ne suis pas attiré par de vaines polémiques, mais plutôt par un bon sens, bien français, que j'ai toujours essayé d'exprimer avec humour et sans humeurs. Mais la publication du Dictionnaire des termes officiels en 1994 m'avait laissé pantois lorsque j'ai découvert le grotesque de certaines traductions. Qui aurait pu imaginer que Schumacher et ses amis commenceraient leurs courses en position de pointe » pôle position pour les terminer au finir » [au finish, ou encore que Mireille Mathieu, après un éventuel remodelage » [lifting, chanterait désormais en présonorisation » [play-back, tandis que Zidane devrait se méfier des jets de coin » corner ? Vingt ans après cette loi Toubon très controversée par les faits, les choses n'ont guère changé, mon smoking a toujours besoin d'un coup de pressing, j'ai cassé le carter de ma voiture en sortant du parking et il ne me reste plus qu'à faire de Yauto- stop. C'est la vie, n'est-il pas ? Franponais Crêpes de cocorico. La culture française, à travers la langue en particulier, est comme on sait fort prisée dans divers pays étrangers. Ainsi, à Amsterdam, de nombreux commerces affichent des enseignes aux noms bien français Café-restaurant, La Boulangerie, Croissanterie C'est Magnifique, La Place mangerie, Fotographie artistique, Marché du monde, Maison de Bonneterie, Café-bar de Lelie, Patates frites, Grand hôtel Krasnapolsky, ou encore... Urinoir ! Mais arrêtons-nous plutôt sur l'exemple surprenant du Japon. Il existe là-bas une langue particulière, le franponais, comme le franglais... mais en japonais ! Fervents admirateurs de la France, les Japonais pratiquent un français déformé qui donne lieu souvent à des énoncés cocasses, tels des cadavres exquis surréalistes, et souvent scabreux. L'affaire n'est pas nouvelle puisque, en 1956, déjà, Nicolas Bouvier notait, dans sa Chronique japonaise, une salle de billard appelée Rimbaud et une boutique de lingerie féminine Julien Sorel ! Selon Florent Gorges, auteur d'une savoureuse anthologie, ce galimatias s'affiche aujourd'hui sur les objets les plus ordinaires de la vie courante T-shirts, sacs, cosmétiques, cahiers de brouillon, etc. Sans oublier les produits électroménagers, les distributeurs automatiques, les enseignes de boutiques les plus diverses. Cerise sur le gâteau il s'est taillé une place de choix dans les menus de restaurants gastronomiques et des pâtisseries du pays tout entier ». J'imagine aussi que la fierté d'utiliser l'alphabet latin est un plus pour attirer l'œil. Il est donc des métissages linguistiques étonnants. Et Stéphane Jarno écrivait dans Télérama janvier 2013 Cette "novlangue", qui s'attache moins au sens qu'aux sonorités, est en soi une forme de poésie grandeur nature, un cadavre exquis, qui plonge le voyageur francophone dans des abîmes surréalistes. » Petit florilège Pâtisserie. Famille de Chie Le Pipi d'ange Café Co labo » Midi Après-midi. Bonne tarte ! Un air, fruits et du lait, ils son frais. Une matie naturelle produit une pâtisserie saveur Le grand sausage sur un sac McDo Ruisselant de joie du lait Camemboule du camembert en sachet Café Chez la gare Ambellir hair coiffeur Pain du pépère Café C'est bon plage Café rôti Biscuits Petit Bit » Pub Ancule marna Barbe et Queue pour barbecue ? Belle Pine Honmoku Restaurant Belle Touffe Saveur de les anges Café rire Tout un programme ! Furetière, Antoine 1619-1688 L'un des plus grands auteurs de dictionnaires en France. Alain Rey. Prédestiné, Antoine Furetière est né en 1619 à Paris, à côté de la... Sorbonne dans un milieu de petits-bourgeois parisiens, et il suivra un chemin conforme à sa classe il étudie le droit, devient avocat en 1645, puis achète, en 1652, la charge de procureur fiscal de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. Quoique procureur et abbé, il semble que l'individu n'était pas d'une grande honnêteté on dit qu'il aurait prostitué sa sœur pour obtenir un héritage. Après une carrière littéraire sommaire mais avec des fréquentations notables dans les milieux des lettres, il entre, en 1662, à l'Académie française, et, en tant que membre, il va participer avec la vénérable assemblée aux travaux de rédaction du Dictionnaire. Ici commence l'affaire Furetière. On se souvient que l'Académie s'était gardé depuis 1674 le privilège de l'édition du Dictionnaire. Cependant, la rédaction n'avançait pas rappelons que la première édition paraîtra soixante ans après la création de l'Académie par Richelieu, les trente-neuf membres avaient déjà pris l'habitude de faire la sieste... Finalement, Furetière, bravant l'interdit, va publier son propre dictionnaire en 1684. De fait il travaillait depuis trente ans à un Dictionnaire universel. Il va tenter de faire croire qu'il ne s'agit que d'un complément au recueil officiel, le Dictionnaire des Arts et des Sciences ». L'Académie fut scandalisée que ce soit justement un des siens qui viole la loi. La séance fut plus que houleuse et Furetière se déchaîna littéralement contre l'Académie. On fit venir certains de ses amis pour tenter de le faire rentrer dans le droit chemin. Malheureusement, La Fontaine était de ceux-là et il accepta la mission que l'Académie lui avait confiée. Mal lui en prit... Il se retrouva coincé entre l'amitié qu'il avait pour Furetière et la loi de l'Académie dont il était honoré de faire partie. Entre les deux, il choisit... l'Académie. Il se rangea dans le clan des académiciens, reprochant à Furetière sa trahison envers l'Assemblée, et celui-ci fut exclu. Furetière ne fut remplacé qu'à sa mort le roi n'avait jamais rendu sa sentence à la demande d'exclusion votée par 18 boules noires des 19 membres présents alors que le quorum était de 20 membres. Son dictionnaire, qui fut en fin de compte édité en Flollande, constitue un témoignage appréciable sur l'étude des moeurs, des us et coutumes de l'époque, et un apport de la langue technique, des termes des métiers et des expressions populaires, secteurs assez négligés par les autres lexicographes de l'époque. Il meurt épuisé par les querelles et les calomnies à soixante-huit ans le 14 mai 1888. Gainsbourg, Serge 1928-1991 J'ai disjoncté je suis in the moon. Gainsbourg. Loin des diatribes proférées par les contempteurs du franglais », Serge Gainsbourg - le plus inventif de la chanson française - a montré que Ton pouvait mêler avec bonheur l'anglais à notre langue. Paroles glanées ici et là... Mister Iceberg aime l'amour in the rocks Love fifteen Elle est in Et le sait Relax baby be cool Autour de nous le sang coule No no thank's no Je n'aime gue le bourbon Y a les darling Des hommes sleeping Bye bye darling Des hommes sleeping C'est un y es mon Pas un mélomane Yesforget me Souviens-toi de m'oublier What tu dis qu'est-ce que tu sais On s'comprenait yesterday Gentilés Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syllabe. Marcel Proust. Les gentilés littéralement noms de gens désignent par extension la dénomination des habitants d'un même lieu, et ces appellations ne sont pas toujours très simples. Les Hannetons sont les habitants d'Asnières dans le Cher ; mais ceux d'Asnières dans les Hauts-de-Seine, rendus célèbres par un sketch de Fernand Raynaud sont les... Asniérois. En d'autres villes, deux noms sont possibles Baralbins ou Barsuraubois Bar- sur-Aube, Drouais ou Durocasses Dreux, Antibois ou Antipolitains Antibes, Berguois ou Berguennards Bergues... Quant à ceux de... Agde Aire-sur-l'Adour Aix-en-Provence Albens Baccarat Balzac Bayeux Beaujeu Beaupreau Besançon Béziers Biarritz Bourges Cahors Castelnaudary Chamonix La Chapelle-Thémer Charleville-Mézières Château-Thierry Ce sont les Agathois Aturins Aquisextains Albanais Bachamois Balzatois Bajocasses Beaujolais Bellopratains Bisontins Bitterois Biarrots Berruyers Cadurciens Chauriens Chamoniards Théméraires Carolomacériens Castrothéodoriciens Corseul Curiosolites Créteil Cristoliens Crocq Croquants Eauze Élusates Épernon Sparnaciens Erquy Réginéens Étables-sur-Mer Tagarins Firminy Appelous Foix Fuxiens Gagny Gabiniens L'Hôtellerie Hospitaliers Joué-l'Abbé Joyeux L'Aigle Aiglons La Loupe Loupiots Lisieux Lexoviens Luc-su r-Mer Lutins Luchon Bagnérais Métabief Chats-gris Millau Millavois Montay Montagnards Montélimar Montiliens La Mouche Moucherons Neuilly-sur-Marne Nocéens Pamiers Appaméens Paray-le-Monial Paraudins Le Plessis-Robinson Robinssonnais ou Hibous Poil Poilus Poilcourt Poilcourtois Pont-Bellanger Tous-loins La Prévière Éperviers Le Quesnoy Quercitains Ri Rysopliens Ribeauvillé Ribeaupierrots et Ribeaupierrettes Rodez Ruthérois Saint-Amant-les-Eaux Amandinois Saint-André-les-Vergers Driats Saint-Denis-de-Mailloc Dyonisiens Saint-François Inversaires Saint-Hippolyte-du-Fort Cigalois Saint-Laurent-Blangy Imercusiens Saint-Omer Audomarois Saint-Souplet Sulpiciens Saint-Yrieix-la-Perche Arédiens Tain-l'Hermitage Tinois Tartas Tarusates Uchizy Chizerots Ville-aux-Dames Gynépolitains Villechien Toutouvillais Villedieu-les-Poêles Sourdins Villefranche-sur-Saône Caladois Quant aux habitants du Puy, ils sont gâtés, avec pas moins de quatre gentilés ! Aniciens, Panots, Podots, Ponots. J'ai un faible pour les noms de lieux, et certains m'enchantent vraiment, surtout lorsque ne s'y accroche aucun référent précis un souvenir personnel ou une renommée historique, mais qu'ils ne sont que des énigmes douces, de légères fulgurances musicales, des jeux homophones, de brefs éclairs géographiques, dont le chatoiement varié est à l'image de la diversité de nos paysages. Et voici, de manière absolument désordonnée - telle une mouche qui zigzaguerait sur une vaste carte -, quelques pépites, qui s'offrent comme autant d'invitations au voyage Saint-Cirq-Lapopie, Bourbon-l'Archambault, Luz Ardiden, Saint-Vaast-la-Hougue, Locronan, Bellême, Gif-sur-Yvette quelle est donc cette Yvette ?, Laguiole layole », La Ferté-Macé, Landivisiau, Baume-les-Dames et, pour respecter la parité Baume-les-Messieurs, La Roche-Posay, Hazebrouck, Argelès-Gazost, L'îsle- Adam, Le Paradou comme un presque mot-valise le doux paradis, Rouperroux-le- Coquet, Bourbon-Lancy, Lamalou-les-Bains, Pont-Saint-Esprit, Villersexel, Le Chambon-sur-Lignon belle rime intérieure, Cordes-sur-Ciel, Lectoure, Locmariaquer, Amélie-les-Bains, Dammarie-les-Lys, Pervenchères, Cazaux-Fréchet- Anéran-Camors rien que ça !, Labastide-Castel-Amouroux, Bains-les-Bains ils ne se sont pas foulés I, Aisy-Jouy, Baise Derrière ou Grande Baise ne pas oublier le tréma !, Douarnenez, La Barre-Peinte, Écouboulain, Viols-le-Fort, Ecquedecques Perec l'a-t-il cité dans son roman Les Revenentes, où la seule voyelle utilisée est le e » ?, Mimizan, Maspie-Lalonquère-Juillacq, Espelette, Ambronay, Sexfontaines, Vassivières, Bassussarry, Maresquel-Ecquemicourt, Crèvecœur-le-Grand et le-Petit, Bourgougnague, Adam-lès-Passavant cinq A, Navacelles, Belbèze-en-Comminges, Gratibus, Miraucourt-le-Mesnil-lès-Hurlus, Le Lion-Vert, Anglesqueville-le-Bras-Long, Ohé, 01 lé, Oyé, Pietraserana, Baudignécourt, Notre-Dame-des-Cyclistes, Hagondange, Beaumes-de-Venise, Aventignan, Pau Francis Blanche Mon médecin m'a envoyé à Foix pour une maladie de peau , et à Pau pour une maladie de foie », Château-Farine et Château-Fromage, La Bourgeoisière, Dizimieu, Tout-y-Faut, Autremencourt, Sucé-sur-Erdres, Bizou, Bricquebec, Épagne-Épagnette, La Queue-de-Merluche, La Chignolette, Campistrous, Bruges-Capbis-Mifaget, Villethierry, Bergères-lès-Vertus, enfin... un record, peu utilisable en SMS Lacarry-Arhan-Charritte-de-Haut ! Il y a encore d'autres toponymes qui me surprennent des noms communs aux résonances amusantes, ou plus ou moins flatteuses, et parfois sinistres... Ainsi, il me plairait de savoir à quoi ressemblent ces communes L'Alouette, Autruche, La Baleine, Les Genettes, Hérisson, Mouettes, L'Oie, La Pie, Poisson, Le Rat, Les Thons... Et pourquoi pas, au point où j'en suis, faire un détour par Athée, Avion, Automne, Avril, Bach, Gland, Hommes, La Lune, Montfroc, Orgueil, Pardon, Perles, Poil, La Table, Talon, Toutlemonde... Puis je me rendrais sans doute par intérêt vers Abondance, Cher et Chère, Gain, Monnaie, Rentières, Riche, Les Ventes... J'irais ensuite, sans barguigner, jusqu'à Chatte, Ciel et Cieux, Confort, La Fête, Joyeuse, Liesse, La Rose et Les Roses, La Trique, Pierre écrite, Publier, Sainte-Verge, Signes, Sorbets... Et avec plus de joie encore à Aime, Ardentes, Celle du Haut et Celle du Bas, Charmes, Les Chéris, Ève, Félines, Monplaisir, La Mouille, Monte, Nuits, La Passe, Plaisir, Le Paradis ! Mais je serais plus réticent pour me rendre à Aucun, Bourré, Cintré, La Crotte, La Croûte, Facture, La Folie, Juré, Jury, Pauvre, Le Péage, Plurien, Tiercé, Tonnerre, Trécon, Trimer, Viré, Vieux, Lhôpital, La Morte, Port-Mort, Deuil-la-Barre, Mortrée, Pleurs, Fosse et... Le Cercueil ! Enfin, chers aux cruciverbistes, ces quelques noms de communes formés seulement de deux lettres. J'imagine ce qu'aurait pu dire Alphonse Allais, à propos de leurs premiers habitants, créateurs de ces noms Ceux-là, ils ne se sont pas fatigués ! » Il s'agit de Ay, Bû, By, Er, Eu, Fa, Gy, Oô, Oz, Le Pû, Py, Ré, Ri, Ry, Ur... Glabelle et crachat Il y a les mots qu'on aime, et d'autres moins avenants. Ainsi de ceux qui commencent par gl ». Glabelle espace compris entre les deux sourcils, glabre dépourvu de poils, glace, glacer, glaçon... Avec glabre », glace » et glabelle », nous sommes dans une certaine nudité, qui n'a rien de repoussant en soi. Mais ensuite nous découvrons glaire, glaise, glande, glapir, glas, glaucome, glauque au sens originel de verdâtre, et qui signifie souvent aujourd'hui trouble », glaviot, glèbe sol cultivé, gléchome ou glécome - plante à tiges rampantes, gliome tumeur d'un organe nerveux, globuleux, glouton, glu et... glui ! Seul mot positif, ou presque, dans cette région du dictionnaire la gloire ! Qui rejoint bien souvent la... gloriole ! Autre zone de mauvais aloi celle des mots en cr crachat, cracra, cramoisi, qui n'a rien à voir avec le moisi, crapaud, craquer, crasse, crémation, crétin, crevasse, crever, criard, crime, crisser, croasser, croix, crotte, crouler, croupir, croûte, cruche, crypte... Et ce n'est guère mieux avec les mots en gr » grabat et grabataire, graille graillon, graillonner, graisse, gras, grattelle, gravats, gravelle, grêle, grimaud, grippe, gris, grogne, gros, grouiller, grumeau... Même punition avec les mots rimant en ouille » andouille, arsouillé, bidouille, bredouille, citrouille, dépouille, écrabouillé, embrouille, fripouille, gribouille, magouille, nouille, pedzouille, souille, tambouille, tripatouille, trouille, zigouille... Roland Topor avait fait part en son temps de son intention d'écrire un pamphlet contre la lettre p, comme putride. Il prétendait, sans preuves à l'appui, mais avec son humour habituel, qu'au sein de l'alphabet la lettre p groupait indiscutablement le plus de mots répugnants, vraiment ignobles. Que de mots, en effet, que de maux, que d'objets de répulsion poubelle, pouvoir, pire, prostitution, pédérastie, protocole, peine de mort, punition, pollution, putain, pourriture, pompes funèbres, pauvre, paiement, pris, péché, prison, police, perdre, peu, petit, piège, publicité, pape, parti, patrie, propriété, pruderie, puritain, potence, procureur, pénurie, périr, paroisse, patron, patriote, pécule, peloton, pendaison, persécution, pétrole, politique, politesse, pontife, préfet, préjugé, président, prime, prince, principe, privilège, procès, profit, propagande, propre, prospérité, proviseur, puissance, pudeur, purge, preuve, et j'en passe et des moins sales. Gourmont, Remy de 1858-1915 On ne s'est guère intéressé jusqu'ici aux mots du dictionnaire que pour en écrire l'histoire, sans prendre garde à leur beauté propre, déformé, de sonorité, d'écriture. Triste destin que celui de Remy de Gourmont. Lui qui fut l'auteur d'une Esthétique de la langue française 1899 et manifesta en diverses pages son goût du beau fut atteint, à la fin des années 1880, par une maladie rare, le lupus érythémateux, lui donnant un aspect effroyable. Mais revenons vers son Esthétique. En véritable dilettante celui qui se délecte, Gourmont nous offre de savoureuses promenades à travers notre langue. En voici quelques beaux fruits cueillis ici et là. Il nous est parfaitement indifférent que hélice, agonie, gamme soient des mots grecs ; ils se sont naturellement pliés aux lois de la race et leur fraternité est parfaite avec//ce, dénie, flamme. On ne voit pas bien que la langue qui avait émouvoir ait fait, en acceptant émotionner, une acquisition très importante ni très belle. Certes, le mot n'est pas très beau, mais émotionner désigne peut-être une action plus brutale qu 'émouvoir ; tout comme émotion face à émoi. On peut aussi penser à commotionner ». Il ne s'agit pas de bannir les termes techniques, il s'agit de ne pas traduire en grec les mots légitimes de la langue française et de pas appeler céphalalgie le mal de tête. Comme la médecine, la botanique, dont les éléments premiers, les vrais noms des plantes, sont pourtant de forme populaire, a été ravagée par le latin et par le grec. Là, il n'y a aucune excuse, car toutes les plantes ont un nom original et rien n'obligeait les botanistes français à accepter la ridicule nomenclature de Linné, alors que la nomenclature populaire est d'une richesse admirable. Pour le seul mot clematis vitalba ou clématite, en véritable français, viorne, du latin viburnum, il n'y a pas dans la langue et dans les dialectes moins d'une centaine de noms ; en voici quelques-uns, parmi lesquels on pourrait choisir aubevigne, vigne blanche, vignolet, fausse vigne, veuillet, vioche, vigogne, viorne, vienne, vianne, viaune, liaune, liane, viène, vène, liarne, iorne, rampille, et des mots composés très pittoresques barbe de chèvre, barbe au bon Dieu, cheveux de la Vierge, cheveux de la Bonne Dame, consolation des voyageurs. À quoi bon alors le mot clématite qui n'est d'ailleurs pas laid. Quel est son rôle si ce n'est celui de négateur de tous ceux qu'il a l'orgueil de remplacer ? Il avait aussi fait des recherches très poussées sur les mots français d'origine étrangère La vénerie et le blason possèdent des langues entièrement pures et d'une beauté parfaite ; mais il m'a semblé plus curieux de choisir comme type de vocabulaire entièrement français celui d'une science plus humble, mais plus connue, celui de l'ensemble des corps de métier nécessaires à la construction d'une maison. Que l'on parcoure donc le Dictionnaire du constructeur ou vocabulaire des maçons, charpentiers, serruriers, couvreurs, menuisiers, etc. » 1829, et l'on verra que tous les outils, tous les travaux de tous ces ouvriers ont trouvé dans la langue française des syllabes capables de les désigner clairement. La lente organisation d'une telle langue fut un travail admirable auquel tous les siècles ont collaboré. Elle est faite d'images, de mots détournés d'un sens primitif et choisis pour un motif qu'il est souvent difficile d'expliquer. Voici quelques-uns de ces termes dont plusieurs sont familiers à tous sous leur double signification marron, talon, barbe, jet d'eau, valet, chevron, poutre, dos d'âne, poitrail, corbeau, œil-de-bœuf, gueule-de-loup, tête de mort, queue-de-carpe, et tous les noms destinés à soulever des fardeaux bélier, mouton, moufle, grue, chèvre, vérin. Il faut accepter la langue sous l'aspect que lui ont donné quatre siècles d'imprimerie, et que le journal vulgarise depuis cinquante ans. Nul ne peut consentir, qui aime la langue française, à écrire fam, ten, cor, om, pour femme, temps, corps, homme. Mais, curieusement, un peu plus loin, Gourmont écrit Il n'y a à cette heure que deux réformes à faire dans l'orthographe l'une concerne les mots grecs ; l'autre, les mots étrangers. » Voici par exemple les transformations qu'il propose pour des mots originaires du grec Asthme Asme Chrysanthème Crisantème Christianisme Cristianisme Ecchymose Équimose Orthographe Ortografe Phrase Frase Technique Tecnique Thym Tym etc. Raymond Queneau et quelques autres ne sont pas loin... Mais Gourmont se refusait à traduire les graphies ou, eau, out par la seule lettre o poto, goto, roto... Si tous les sons en o étaient rendus par l'unique lettre o, outre que la langue perdrait un de ses caractères particuliers qui est de ne posséder aucune finale terminée par un o, il en résulterait une monotonie insupportable. Il faut encore observer que le signe eau contient une forme secrète rigoureusement attachée au groupe des trois lettres qui le déterminent. L'allemand moderne a donné au français flamberge, fifre, sabre, vampire, rosse, base, bonde, gamin ; le flamand bouquin ; le portugais fétiche, bergamote, caste, mandarin, bayadère ; l'espagnol tulipe, limon, jasmin, jonquille, vanille, cannelle, galon, mantille, récif, transe, salade, liane, créole, nègre, mulâtre ; l'italien riposte, représailles, satin, serviette, sorte, torse, tare, tarif, violon, valise, stance, zibeline, baguette, brave, artisan, attitude, buse, bulletin, burin, cabinet, calme, profil, modèle, jovial, lavande, fougue, filon, cuirasse, concert, carafe, carton, canaille ; le provençal badaud, corsaire, vergue, forçat, caisse, pelouse ; le polonais calèche ; le russe cravache ; le mongol horde ; le hongrois dolman ; l'hébreu gêne ; l'arabe once, girafe, goudron, amiral, jupe, coton, taffetas, matelas, magasin, nacre, orange, civette, café ; le turc estaminet ; le cafre zèbre ; les langues de l'Inde bambou, cornac, mousson ; les langues américaines tabac, ouragan ; le chinois thé, mandarin. Il y a là quelques approximations salade par exemple ne vient pas de l'espagnol mais de l'italien ; mais j'ai tenu à présenter cette liste pour son aspect poétique. J'ai vu naître un mot ; c'est voir naître une fleur. Ce mot ne sortira peut-être jamais d'un cercle étroit, mais il existe ; c'est lirlie. Comme il n'a jamais été écrit, je suppose sa forme li ou lire. J'entendais donc, à la campagne, appeler des pommes de terre roses hâtives, des lirlies roses on ne put me donner aucune explication, et le mot m'étant inutile je l'oubliai. Dix ans après, feuilletant un catalogue de grainetier, je fus frappé par le nom d ’early rose donné à une pomme de terre, et je compris les syllabes du jardinier. Et, pour finir, un sujet qui donne lieu régulièrement à la polémique. Des vocabulaires entiers sont gâtés par l'anglais. Tous les jeux, tous les sports sont devenus d'une inélégance verbale qui doit les faire mépriser entièrement de quiconque aime la langue française. Coaching, yachting, quel parler ! Des journalistes français ont fondé il y a quelques années un cercle qu'ils baptisèrent Artistic-cycle-club ont-ils honte de leur langue ou redoutent-ils de ne pas la connaître assez pour lui demander de nommer un fait nouveau ? Et Gourmont de s'en prendre à Jules Verne, qui mérite ce reproche d'avoir abusé des mots anglais dans ses merveilleux récits ; un seul de ses tomes me fournit les suivants anchor-boat, steam-ship, main-mast... » Gourmont en cite une dizaine d'autres. Nul lexique cependant n'est plus pittoresque que celui de la marine française, et M. Jules Verne, qui le connaît mieux que personne, devrait l'employer toujours et ne pas laisser croire qu'il le juge inférieur en netteté et en beauté au lexique anglais. Que de mots, que de locutions d'une pureté de son admirable étrave, étambot, misaine, hauban, bouline, hune, beaupré, artimon, amarres, amures, laisser en pantenne, haleren douceur ; voici deux lignes de vraie langue marine On cargue la brigantine, on assure les écoutes de gui ; une caliourne venant du capelage d'artimon est frappée sur une herse en filin... » Grammaire La A priori, et pour faire simple, ce terme, dixit Le Robert, fait référence à un ensemble de déterminations abstraites verbe, adjectif, pronom, etc. et de règles formelles qui constituent une théorie de la langue ». La grammaire apparaît au fil du temps comme une discipline entre les domaines qui existaient avant elle, à savoir celui de la pensée la logique et celui du discours la rhétorique. D'Alembert, en 1759, dans son Discours préliminaire de l'Encyclopédie, résumait assez clairement comment la grammaire était censée régler le fonctionnement de l'agencement des mots comme véhicules de la pensée. La grammaire, qui est une des branches de la logique, démêle les nuances des idées en apprenant à les distinguer par des signes différents et donne des règles pour faire de ces signes l'usage le plus avantageux. » Reste que, aujourd'hui, nous n'avons toujours pas réglé l'éternel conflit entre le correct et le beau que les agrégatifs de lettres connaissent bien à travers l'épreuve dite grammaire et stylistique ». Là où le bât blesse, c'est que l'enseignement de la grammaire en France n'incite pas vraiment à simplifier cette notion très complexe auprès des élèves. Déjà, dans Le Soulier de satin, Paul Claudel se moquait doucement des élèves de grammaire et de ceux supposés les instruire Chère grammaire, belle grammaire, délicieuse grammaire, fille, épouse, mère maîtresse, et gagne-pain des professeurs ! » Cela étant dit et pour redescendre sur terre, qu'en est-il vraiment aujourd'hui de l'usage de la grammaire ? En février 2002, un de mes honorables confrères, éditeur, publiait avec succès une trilogie préfacée par Jack Lang Qu'apprend-on à l'école, maternelle, élémentaire, et au collège ? » Ces trois livrets étaient entourés d'un bandeau Pour comprendre ce que nos enfants apprennent ». S'il fallait paraphraser cet alléchant teasing, je dirais plutôt Pour apprendre ce que nos enfants ne comprennent pas ». En effet, le jargon des grammaires françaises actuellement disponibles sur le marché est totalement surréaliste. On se demande si l'on doit pleurer de rire ou d'affliction en découvrant que nos enfants doivent, pour apprendre la grammaire, obligatoirement passer par l' adjectif déterminatif essentiel » ou la proposition subordonnée participale ». Ou encore cette querelle de manuels à propos de l'accord du nom Contrairement à l'adjectif, on ne peut pas dire que le nom s'accorde en genre et en nombre. » Et que penser de la méthode pour former le féminin des noms ? La plupart des noms modifient leur forme au féminin, soit Par simple adjonction d'un e, au masculin ; sans changement dans la prononciation. Par adjonction d'un e et doublement de la consonne finale. Par adjonction d'un e et changement de la consonne finale. Par adjonction d'un e et modification de la voyelle précédente. Par modification de la fin du mot. Par disparition du suffixe. Par remplacement du suffixe. Par modification de radical. » Et quand on sait que, depuis plus d'un siècle, on essaie aussi en vain de réformer l'orthographe, on comprend pourquoi la grammaire à portée de tous n'est pas pour demain. On ne peut alors que s'exclamer » avec une de ces incontournables grammaires L'adjectif exclamatif accompagne un nom désignant un être ou une chose dans une phrase exclamative. Ex. Quelle chance vous avez ! » En effet ! Grevisse, Maurice 1895-1980 Refusé par de nombreux éditeurs puis publié aux Éditions Duculot cela ne s'invente pas en 1936, Le Bon Usage de Maurice Grevisse fut rapidement épuisé. En 1947, André Gide en fait l'éloge dans Le Figaro littéraire et contribue ainsi à son succès La meilleure grammaire française, la bible de notre langue, une grammaire et une bible qui se lisent avec amusement et ravissement. » Cette bible » de la grammaire, à la fois pour le grand public et les spécialistes, en est à sa quatorzième édition, et, depuis la première, le volume a doublé. Maurice Grevisse, né en Belgique en 1895 d'un père forgeron, comme Pierre Larousse, et d'une mère couturière, devient instituteur, régent littéraire puis professeur. En 1925, il accède au titre de docteur en philosophie et lettres de l'université de Liège. La rédaction de cette grammaire récompensée par la médaille d'or de l'Académie française en 1946 fut le centre de sa vie Je n'ai peut-être fait que transporter dans le domaine du langage la minutie que mon père mettait à travailler le métal. » Helvétie L' Les Helvètes adorent batoiller. La Suisse, qui a les moyens, se paie le luxe de posséder trois langues officielles l'allemand, le français et l'italien. Le français est parlé à l'ouest d'une ligne verticale reliant Bâle à Sion, dans les cantons de Genève, de Vaud, de Neuchâtel, dans la moitié occidentale du Valais et du canton de Fribourg, ainsi que dans le Jura bernois, récemment séparé du canton de Berne. Avant que Calvin fonde la république de Genève en 1536, on parlait dans cette ville un dialecte franco-provençal savoyard. Du xvi e au xvm e siècle, elle devint la capitale intellectuelle des protestants français, ce qui explique que son rôle dans la vie de la langue française est beaucoup plus important que celui de bien des villes de France, et ce n'est pas Jean-Jacques Rousseau qui aurait pu prouver le contraire. Il n'y a guère de différence entre le français parlé en Suisse et celui parlé en France dans les régions frontalières de Savoie, de Bourgogne et de Franche-Comté la frontière politique n'est pas une frontière linguistique. Les élites suisses alémaniques mettent un point d'honneur à parler le français, qui est considéré comme une langue de culture. Rien ne vous empêche d'aller faire un tour là où le français ne vous posera pas de problème. Du moins, c'est ce que vous croirez jusqu'au moment où les locaux découvriront que vous talmatchez parlez en langue étrangère. Dans ce cas, rien ne sert de faire le pote la moue ou de tufler sacrer. Vous verrez en Suisse, plus qu'ailleurs, que même ceux qui marchent pian-pian lentement osent béder faire l'école buissonnière comme partout. C'est pourtant le pays rêvé pour se mettre à la chotte à l'abri, parce que les Suisses ne sont pas des piorneurs grognons. Ils ne font jamais la guerre. Ils ne font que se royaumer se pavaner pendant que, dans les autres pays, par ces temps démarmalés détraqués, il y a de plus en plus d'êtres humains qui fioulent boivent, qui goliardent boivent beaucoup et qui finissent leur vie apondus au guillon ivrognes. C'est une cause perdue. On n'apigeonne pas n'attire pas par des paroles séduisantes ce genre de personnes pour qui les meilleurs arguments ne sont que des batoillages bavardages faits en français, certes, mais ce français universel, ils le comparent à un panosse chiffon tout tacounné rapiécé, à boclon sens dessus dessous et naisé imbibé de taches d'anglais ! Peut-être jugerez-vous que ces propos ne sont que baboleries propos badins, mais ils vous seront bien utiles si d'aventure en déplacement dans les alpages vous voulez batoiller avec les indigènes. Hexagone Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Peut-être parce que France », ça fait trop basique - ou trop gaullien », ça dépend des cas. Dès lors, je suppose que notre époque, éprise de langage technologique, a voulu faire appel à une science exacte - en l'occurrence la géométrie - par le biais de cet hexagone. Géométrie au demeurant variable, puisqu'il présente l'intéressante particularité de ne comporter que quatre coins contre six en version originale. C'est Euclide qui serait content, tiens ! Mais je suppose qu'il s'agit là encore d'une spécificité française. C'est vrai, quoi, notre géométrie nationale a bien le droit d'être spécifique, à l'instar de nos films, de notre roquefort et de nos vins de l'Hérault ! Il est vrai qu'on a également droit aux quatre coins du globe ». Allons bon ! Je ne savais pas qu'une sphère pouvait avoir des coins, car notre planète est sphérique, la Nasa le confirme, si tant est qu'on puisse faire confiance à des Américains qui n'aiment ni le roquefort ni les vins de l'Hérault. Histoire de la langue française Lorsqu'on lit Il vit toute la smala, encombrée de valises, vêtue de chauds anoraks acajou, de duvets, et coiffée de chapkas descendre de la vieille barque bleue, s'engager sur l'embarcadère, traverser la digue et prendre le chemin du fast- food », un mot va nous frapper fost-food... Cet emprunt à la langue anglaise nous agace, alors que nous ne sommes pas choqués par smala, valise, anorak, acajou, duvet, vieille, barque, bleue, embarcadère, digue, chemin, également d'origine étrangère, notre langue les ayant, avec le temps, intégrés car leur histoire se confond avec celle de notre pays des siècles d'invasions, de migrations, de conquêtes, de colonisations, de métissages ou de changements de gouvernements. Avant l'invasion des Celtes avec leur langue issue de l'indo-européen, divers langages utilisés par différentes populations coexistaient sur notre territoire ; les Ligures occupaient la Provence, les Ibères le Languedoc. Vers 250 avant les Celtes envahissent la Gaule ; s'ils n'ont pas d'alphabet propre, ils transcrivent à l'aide d'alphabets empruntés à d'autres langues. De ces peuples, il ne nous reste que peu de mots. Des visiteurs autrement sérieux vont se présenter aux frontières » en 52 avant Caius Julius Caesar et ses légions envahissent la Gaule. Adieu gaulois, bonjour latin le latin n'étant à cette époque qu'un dialecte du Latium ayant, d'ailleurs, lui-même fait des emprunts au grec. Entre le 111 e et le vi e siècle débarquent de nouveaux hôtes pas très avenants, appelés Barbares par les Romains, essentiellement des Germains Alamans, Burgondes, Wisigoths, Ostrogoths, j'en passe et des moins gracieux, qui auront une grande influence sur la façon de parler le latin en Gaule, particulièrement la tribu des Francs qui donneront leur nom à la langue française. Conséquences de ces invasions, selon les régions, le latin qui était déjà de cuisine » chez le peuple va encore se transformer et devenir méconnaissable prononciation et grammaire nouvelles, nouveau lexique. Quand arrive Charlemagne au vm e siècle, notre pays est une véritable tour de Babel patois, dialectes, latin déformé par l'accent gaulois et imprégné de mots germaniques. Bien que la langue écrite fût encore le latin classique, le peuple ne le comprend plus n'y entrave goutte, en français contemporain..., et, malgré les réformes culturelles, scolaires et la restauration de l'usage du latin qu'entreprend l'empereur, le fossé va continuer à se creuser entre le parler de l'élite et celui du peuple le roman. Il faudra attendre l'ordonnance de Villers-Cotterêts, que promulgue François I er le 15 août 1539, pour que le françois » soit imposé comme langue juridique et administrative, permettant aux manants » de savoir si, pour avoir volé un poulet, ils allaient être pendus haut et court, décapités, brûlés vifs ou écartelés. Ce qui était un réel progrès. Au cours des siècles suivants, le françois » va à la fois se faire connaître, se développer, s'unifier. Les poètes de la Pléiade conseillent d'inventer des mots nouveaux pour enrichir la langue et préconisent des procédés qui ne sont pas éloignés de ceux de notre xxi e siècle emprunter au latin, à l'italien environ 2 000 mots, aux termes provinciaux, ressusciter des vieux mots, ajouter des suffixes et surtout des diminutifs, construire des mots en faisant d'un infinitif un substantif, etc. Montaigne voudra Que les paroles ne soient plus de vents mais de chair et d'os », et Malherbe au xvn e s'attachera à épurer la langue, à en faire une belle langue, à en chasser les mots vieux, bas, vulgaires, obscènes, pédants ou palatiaux. [...] Il ouvre le règne de la grammaire, règne qui a été en France plus tyrannique et plus long qu'en aucun pays ». Cette épuration permettra l'avènement du beau langage ». Voltaire et la plupart de ses contemporains affirment que la perfection de la langue a été atteinte au cours du siècle de Louis XIV, un siècle qu'il a contribué à faire appeler le grand siècle ». Pour la première fois, en 1714, les articles du traité de Rastatt, qui scellaient la fin de la guerre de Succession d'Espagne, sont rédigés en français. Cette tradition perdurera jusqu'en 1919 et le traité de Versailles, où le français sera relégué au même rang que l'anglais. La langue française se répand subséquemment dans les Cours européennes où il jouera d'ailleurs un rôle de discrimination sociale Catherine de Russie correspond dans notre langue avec Voltaire, D'Alembert et Diderot ; Gustave III de Suède parle couramment le français et correspond avec Mme de Sévigné, et Frédéric II de Prusse avec Voltaire ; Casanova rédige ses mémoires en français ; s'expriment aussi en français l'Anglais Horace Walpole, Premier Ministre et écrivain britannique, le prince de Ligne, maréchal autrichien, Joseph II et Marie-Thérèse d'Autriche, et dans bien d'autres pays encore, Danemark, Suède, Hongrie, sans oublier le Canada, la Louisiane, les Antilles où le français s'installe. Mais voilà, le temps de Ah ! ça ira, ça ira, ça ira ! », pas pour tous on va bientôt couper la tête à tout ce beau monde, et donc la parole. Pour la Révolution de 1789 qui ne voulait, ironie du sort, ne plus voir qu'une tête », il était urgent de doter la France d'une langue nationale. L'unité linguistique était loin d'être réalisée, il suffit de lire les chiffres révélés par l'abbé Grégoire dans son rapport de juin 1794 - Les habitants ne parlaient exclusivement le français que dans 15 départements sur 83. - Moins de 3 millions de Français sur 25 parlaient la langue nationale. - Coexistaient encore sur le territoire une trentaine de patois ou dialectes le bas-breton, le normand, le picard, le rouchi ou wallon, le flamand, le champenois, le messin, le lorrain, le franc-comtois, le bourguignon, le bressan, le lyonnais, le dauphinois, l'auvergnat, le poitevin, le limousin, le picard, le provençal, le languedocien, le velayen, le catalan, le béarnais, le basque, le rouergat et le gascon ; ainsi que l'italien de la Corse, des Alpes-Maritimes, et l'allemand des Haut et Bas- Rhin. Après avoir coupé les têtes, on va donc s'employer à couper les langues. Pourtant, il faudra attendre Guizot, Jules Ferry et Jules Simon, ministre de l'Instruction publique en 1870, pour que le français devienne réellement la langue de tous après l'abandon progressif des dialectes. Homme brave et brave homme... Il a une nouvelle voiture et c'est une voiture nouvelle. L'ordre des mots dans la phrase a une importance toute particulière en français François bat Pierre n'a pas le même sens que Pierre bat François ! Alors qu'en latin le système des cas nominatif pour le sujet de l'action, accusatif pour l'objet rendait cette question moins importante, dans notre langue, quelques adjectifs possèdent cette particularité de présenter un sens bien différent selon qu'ils sont placés avant ou après le mot qu'ils qualifient. Un ancien ami qui ne l'est peut-être plus / Un ami ancien de longue date. Un brave homme doux, jusqu'à la niaiserie / Un homme brave courageux. Une certaine nouvelle indéterminée / Une nouvelle certaine assurée. Un grand homme célèbre, doué de talent / Un homme grand par la taille. Un honnête homme homme conforme à la morale mondaine du xvn e siècle, c'est-à-dire agréable et distingué / Un homme honnête. Une nouvelle voiture que l'on vient d'acquérir / Une voiture nouvelle un modèle qui vient de sortir. Un pauvre homme de peu de mérite / Un homme pauvre désargenté. Linière, voyant un jour passer ensemble Chapelain et Patru, dit du premier C'est un pauvre auteur », et du second C'est un auteur pauvre. » Un type sale dont l'hygiène est reprochable / Un sale type une personne méprisable. Ou encore avec des adverbes Juste assuré / Assuré juste slogan publicitaire d'une compagnie d'assurances. En revanche, certains adjectifs semblent fortement ancrés à leur place, par exemple - un canapé rond, une tour carrée, mais jamais un rond canapé ou une carrée tour, sauf dans le but de créer un effet particulier, comme dans une ronde servante... - la colonne vertébrale et non point la vertébrale colonne - un vrai soldat une personne courageuse, l'adjectif perdant ici son sens premier... - une sacrée ville ! qui n'a rien à voir avec une ville sacrée - les expressions lexicalisées, constituant des clichés, comme la verte campagne, les blancs moutons dans Il pleut, il pleut bergère », le sombre carnage, les noirs desseins, et, dans un autre registre, le chaud lapin... Homophonie Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Jésus, dit-on, ne riait jamais. Ce qui ne l'empêcha pas de jouer avec les mots... L'homophonie du grec homo, même », et phoné, son » est cette contrée du langage où syllabes, mots et phrases se répondent en écho. Ressort essentiel du calembour, il faut distinguer l'homophonie de l'à-peu-près, où la similitude sonore n'est qu'approximative lingères légères Paul Éluard, ou, dans le langage enfantin, la cire humaine pour le cérumen ! L'appellation noble de l'à-peu-près, en rhétorique, est la paronomase. Les jeux homophones sont connus depuis l'Antiquité. Chez les Romains, les calembours fortuits avaient souvent valeur de présages. Au premier siècle avant C., Crassus fut tué lors d'une guerre contre les Perses. On raconte qu'il n'avait pas su interpréter le cri d'un marchand cauneas, châtaignes », qui pouvait s'entendre aussi cave ne eas, attention, n'y va pas ! ». Plus tard, et moins gravement, dans les salons du xvm e siècle où une saillie adroite suffisait à faire une renommée, l'homophonie ne manquait pas d'aiguiser la pointe du trait d'esprit ou de l'épigramme. Ainsi ces vers anonymes contre Campenon, que l'Académie française voulait voir succéder à Delille Au fauteuil de Delille on place Campenon. A-t-il assez d'esprit pour qu'on l'y campe ? — Non. » Ou ce mot de Rivarol, sur la poésie de François de Neufchâteau C'est de la prose où les vers se sont mis. » Et encore, sur le même sujet, celui du marquis de Bièvre, à qui un jeune homme vivant dans la solitude avait montré ses poèmes On voit aisément que ce sont des vers solitaires, car ils sont longs et plats. » Personne n'est indifférent à l'homophonie les enfants comme les écrivains, les journalistes, les commerçants, les psychanalystes Je père-sévère », disait un jour Lacan, face à divers détracteurs, et même les rois. Louis XVIII était friand de bons mots. Un jour où il attendait sa favorite, Zoé, on frappe à sa porte. Entrez, Zoé », dit le roi. C'était en fait un ministre, qu'il surnomma Robinson », car il l'avait cru Zoé ! Aujourd'hui, elle se retrouve dans tous les domaines de la vie quotidienne la publicité, la presse le calembour est le terrain d'élection du Canard enchaîné, les enseignes commerciales, les mots croisés, les titres de livres ou de disques Jacques Dutronc Guerre et Pets, JACQUES DUTRONC la bande dessinée, les mots d'enfants, l'orthographe mot qui pourrait s'écrire ortograf », les noms de produits le chocolat Cémoi, les Citroën DS et ID, les comptines et les devinettes... Certes, ces fantaisies ne sont pas toujours brillantes. Appeler un salon de coiffure Créo'tif ou Imagina'tif n'est guère... inven'tif » ! Qu'importe. L'homophonie est partout et chacun veut en croquer. Cependant, quelles satisfactions communes peuvent éprouver un poète distingué et l'anonyme qui fait des bons mots lors d'un banquet ? D'abord la joie enfantine de proposer ou de découvrir une petite énigme. Qui ne s'est jamais senti honteux, un jour, en public, de ne pas avoir compris une histoire drôle ? Et puis la surprise et la joie de rencontrer des mots presque semblables. La différence légère foi » et foie », imperceptible à l'oral, crée du jeu comme on le dit aussi d'un mécanisme. Le plaisir de l'homonymie provient également de cette superposition imparfaite, comme ces dessins où le portrait de Freud, ou d'une autre célébrité barbue, figure aussi une image érotique, selon la manière dont on le regarde... Au-delà du divertissement, l'homophonie met au jour les doubles fonds du langage qui produisent de l'équivoque, de l'humour ou du malaise, si je parle en effet d'un ami et de la femme qu'il aime » ou qui l'aime »... Ces ambiguïtés confinent parfois à la cocasserie - que serait un veau élevé sous la mer » plutôt que sous la mère ? - et souvent à la grivoiserie. Ah ! Le subjonctif imparfait du verbe savoir » ! On ne s'étonnera donc pas que nombre de jeux homophones présentent des énoncés égrillards, voire obscènes. Les bons auteurs ne sont pas en reste Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Moralité Concentrique Boris Vian. - On l'attirait , on la tirait Raymond Queneau. Dans leur écoute attentive du langage, les écrivains sont les premiers fascinés par ces doublures qui font surgir de nouveaux sens. Que mal » rime avec mâle », ou chair » avec chaire » invite à jouer et, plus encore, à considérer la langue comme un territoire plein de correspondances mystérieuses. La littérature, avec le calembour, rend visible ce que la parole courante cherche à dissimuler avant tout, le sexe et la mort. Concision brutale de Queneau Une vie. Né en... - néant. Les grands humoristes sont des gens graves. Il n'empêche. Au-delà de son nquiétude, l'écrivain nous réconcilie avec la langue et avec le monde. Oui, les mots ne sont pas toujours des maux. Hugo, Victor 1802-1885 Grandiose », mage », phare », les qualificatifs ne manquent pas pour illustrer la personnalité et l'œuvre de Hugo qui s'est imposé très jeune comme le chef incontesté de l'école romantique. Mais il a des qualités d'écriture qui lui sont propres. Ainsi, en 1861, Baudelaire écrit à son propos L'excessif, l'immense sont le domaine naturel de Victor Hugo. » Certes, c'est un virtuose du vers, qui a disloqué ce grand niais d'alexandrin », mais c'est aussi un écrivain de théâtre qui a renouvelé le genre en s'inspirant de Shakespeare et en rejetant les vieilles règles classiques. Lors de la première représentation d 'Hernoni, il y eut une furieuse bagarre entre les tenants de la tradition et ceux de la modernité, avec Théophile Gautier, vêtu d'un ébouriffant gilet rouge cerise, en défenseur des audaces de Hugo. Il a aussi été le plus prestigieux auteur de romans de son époque, car il a su, mieux que tous les autres, y mettre un souffle épique, comme dans Les Misérables, où la mort de Gavroche fait partie de notre mythologie littéraire. L'indignation de l'auteur devant la brutalité meurtrière des forces de l'ordre prend une puissance, un souffle sublimes. Gavroche est resté le symbole du Titi parisien, impertinent, spirituel et débrouillard, mauvaise tête et grand cœur une manifestation républicaine au début de la monarchie de Juillet se termine en émeute. Une barricade se forme. Gavroche, du côté des républicains qui manquent de munitions, va se glisser entre la barricade et les gardes nationaux, pour récupérer des cartouches, au péril de sa vie. Chaque balle qui le rate ne tire de lui qu'un couplet moqueur. Joie est mon caractère. C'est la faute à Voltaire, Misère est mon trousseau, C'est la faute à Rousseau. Il se couchait, puis se redressait, s'effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes... Les insurgés, haletants d'anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n'était pas un enfant, ce n'était pas un homme ; c'était un étrange enfant fée. On aurait dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu'elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette. Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l'enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s'affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l'Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c'est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n'était tombé que pour mieux se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l'air, regarda du côté où était venu le coup, et se mit à chanter Je suis tombé parterre, C'est la faute à Voltaire, Le nez dans le ruisseau, C'est la faute à... Il n'acheva point. Une seconde balle du même tireur l'arrêta court. Cette fois il s'abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s'envoler. J'aime Hugo parce que je le considère comme notre plus grand écrivain épique, pour ne pas dire le seul. Ronsard au xvi e siècle et Voltaire au xvn e s'y étaient essayés, pourtant ne recevant qu'un bref succès d'estime. Dans le dernier poème des Contemplations, intitulé Ce que dit la bouche d'ombre », Hugo parle de la voix mystérieuse qui sort de l'au-delà pour révéler les secrets de l'univers. Ainsi, avec Nerval, Hugo est le premier poète à faire de sa voix le porte-parole de l'ordre caché du monde Crois-tu que l'eau du fleuve et les arbres des bois. S'ils n'avaient rien à dire, élèveraient la voix ? Prends-tu le vent des mers pour un joueur de flûte ? Crois-tu que l'océan, qui se gonfle et qui lutte, Serait content d'ouvrir sa gueule jour et nuit Pour souffler dans le vide une vapeur de bruit. Et qu'il voudrait rugir, sous l'ouragan qui vole, Si son rugissement n'était une parole ? [...] Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi Tout parle ? Écoute bien. C'est que vent, ondes, flammes, Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! Tout est plein d'âmes. Hugo montre la force de son souffle épique dans ses romans, mais aussi et encore davantage dans sa poésie, comme on le voit dans cet extrait. De même que Gavroche était devenu un enfant fée, ou Antée, fils de Poséidon et de Gaïa, la déesse de la Terre, tous les éléments de la Nature sont emplis de forces surnaturelles, et les soldats de l'Empire à Waterloo comme les héros de La Légende des siècles prennent une dimension mythique. Mais ce ne serait rien sans son talent extraordinaire pour trouver la musicalité qui s'ajuste avec les personnages et les événements. Ainsi sa description de Booz, le bon Samaritain, et de Ruth, avec laquelle il va fonder la lignée des Hébreux, dans Booz endormi » Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques, Vêtu de probité candide et de lin blanc ; [-.] Booz ne savait point qu'une femme était làr. Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle. Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ; Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala. [-.] Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ; Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre Brillait à l'occident; et Ruth se demandait, Immobile, ouvrant l'œil à moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été, Avait, en s'en allant, négligemment jeté Cette faucille d'or dans le champ des étoiles. La douceur des sonorités frappe même une oreille aussi peu avertie que la mienne, et j'ai longtemps rêvé à l'odeur des asphodèles avant d'en trouver en Corse, elle aussi île chérie des dieux ! Dans La conscience » où Caïn est poursuivi par un œil terrifiant, jusque dans la tombe, ou dans L'aigle du casque », tirés de La Légende des siècles - mais je pourrais citer mille autres exemples de vers terribles à la sonorité dure et farouche -, je vous livre cet extrait le cruel Tiphaine a lâchement assassiné un enfant qui avait osé le défier pour venger l'honneur de sa famille. Hugo raconte longuement l'âpre et sauvage poursuite ». Ce fut dans on ne sait quel ravin inconnu Que Tiphaine atteignit le pauvre enfant farouche ; L'enfant pris n'eut même pas un râle dans la bouche; Il tomba de cheval et morne, épuisé, las, Il dressa ses deux mains suppliantes, hélas ! Sa mère morte était dans le fond de la tombe, Et regardait. Tiphaine accourt, s'élance, tombe Sur l'enfant, comme un loup dans les cirques romains, Et d'un revers de hache, il abat ses deux mains Qui dans l'ombre élevaient vers les deux la prière; Puis, par ses blonds cheveux dans une fondrière Il le traîne. Et riant de fureur, haletant, Il tua l'orphelin, et dit Je suis content ! Ainsi rit dans son antre infâme la tarasque. Alors l'aigle d'airain qu'il avait sur son casque, Et qui, calme, immobile et sombre, l'observait, Cria deux étoilés, montagnes que revêt L'innocente blancheur des neiges vénérables, Ô fleuves, ô forêts, cèdres, sapins, érables, Je vous prends à témoin que cet homme est méchant ! Et cela dit, ainsi qu'un piocheur fouille un champ, Comme avec sa cognée un pâtre brise un chêne, Il se mit à frapper à coups de bec Tiphaine; Il lui creva les yeux ; il lui broya les dents ; Il lui pétrit le crâne de ses ongles ardents Sous l'armet d'où le sang sortait comme d'un crible, Le jeta mort à terre, et s'envola terrible. Comment résister devant une telle grandeur, même dans l'horreur Incendiaires de la langue Il faut inventer des catachrèses qui empalent, des métonymies qui grillent les pieds, des synecdoques qui arrachent les ongles, des ironies qui déchirent les sinuosités du râble, des litotes qui écorchent vif, des périphrases qui émasculent et des hyperboles de plomb fondu. Léon Bloy. La fin du xix e siècle et le début du xx e nous ont donné un aréopage et non aéropage ! impressionnant de pamphlétaires de haute volée Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Octave Mirbeau, Villiers de L'Isle-Adam, Léon Daudet... Je m'arrêterai seulement sur les deux Léon » Bloy et Daudet. Que l'on aime ou non ces écrivains, si l'on aime les mots, il est impossible de ne pas les lire et de ne pas citer leurs éclairs et éclats de langage, parmi les plus beaux de la langue française. Nommons-les, simplement, des incendiaires de la langue. Léon BLOY 1846-1917 Études médiocres, emplois subalternes, dénuement chronique, insuccès littéraires.... La vie de Léon Bloy n'est pas loin d'être une brève vallée de larmes. En témoignent divers titres Le Désespéré, La Femme pauvre, Sueur de sang, L'Invendable, Dans les ténèbres, Quatre Ans de captivité à Cochons-sur-Marne ... Alphonse Allais lui rendait hommage en ces termes Pas un livre d'auteur gai n'est fichu de vous faire passer quelques heures aussi remplies de pure allégresse que les ouvrages de notre ami » Irrévérence de Léon Bloy, 1905. Dans son usage enflammé de la langue, c'est son oeuvre de polémiste qui me retient par-dessus tout, avec deux recueils Propos d'un entrepreneur de démolitions 1884 et Belluaires et Porchers 1905. Roland Barthes écrivait Ses dégoûts désignent toujours d'une façon très sûre l'écrivain parvenu, tel que la bourgeoisie le récupère et le délègue. » Et Barthes parlait de son érotique du langage, qu'il a pratiquée avec fureur ». Comme Daudet, Bloy avait le dégoût très sûr », selon le mot de Jules Renard. À l'inverse, il fut l'un des premiers à défendre Lautrémont C'est de la lave liquide », et il aimait Barbey d'Aurevilly, Baudelaire, Verlaine... Mais quand il n'aimait pas, il ne se privait pas de le faire savoir. Qu'on en juge plutôt avec ce florilège de commentaires on ne peut plus fielleux Louis Veuillot 1813-1883 Ce style gras et nidoreux, qui attaque les muqueuses, remplit de délectation les cuistres hirsutes des séminaires sulpiciens et ne déplaît pas invinciblement aux acides femelles de la dévotion recommandable. » Ernest Renan 1823-1892 Ce sophiste mellifluent. Face glabre, au nez vitellien, légèrement empourpré et picoté de petites engrêlures qui tiennent le milieu entre le bourgeon de la fleur du pêcher et les bubelettes vermillonnes d'un pleurnichage chronique, assez noblement posé, d'ailleurs, au-dessus d'une fine bouche d'aruspice narquois et dubitatif. » Léon Cladel 1834-1892 Quand j'ai vu son livre Le Deuxième Mystère de l'Incarnation, je me suis dit que, sans doute, c'était là une ordure littéraire de plus ; un de ces pleutres et faciles ouvrages, fientés à cœur de journée dans la gueule ouverte du badaud contemporain. » Émile Zola 1840-1902 L'unique, le désiré, et le bien-aimé, le Triton de la fosse d'aisances naturaliste, le cloporte vengeur par qui toute ordure est enfin mise à sa vraie place. - Il faut vraiment que nos mœurs littéraires soient bien avilies pour qu'on permette au plus abject et au plus outrecuidant des romanciers de se pavaner et de dindonner depuis quinze ans sur le tréteau de la plus retentissante publicité. » Léon Daudet ne sera pas plus tendre. Sainte-Beuve 1804-1869 Il était, en littérature, l'aréopagite du conditionnel antérieur et le dilettante de la préciosité renseignée. Il avait le byzantinisme de la note et le délire de la nuance imperceptible. » Jules Vallès 1832-1885 [...] est le réfractaire spumeux qu'aucune bride traditionnelle n'a pu dompter et qui ne pardonnera jamais à Dieu ni aux hommes d'avoir été pauvre et d'avoir été pion dans sa jeunesse. » Coquelin cadet 1848-1909 Quand il est en scène ou qu'il monologue sur le tréteau de M. Sarcey, Coquelin cadet a le geste montant et descendant d'une guillotine de joie qui ne trancherait que le sinistre têtard de l'ennui moderne, systole et diastole du grotesque le plus désopilant. » Catulle Mendès 1841-1909 Il est l'emplâtre prévu, la cantharide fatale, le vésicatoire inéluctable qui s'applique de lui-même aux sociétés moribondes pour les faire crever plus rapidement. » Joséphin Péladan 1858-1918 D'abord, une invraisemblable tignasse de mérinos noir, emmêlée, broussailleuse, exorbitante, à la fois hispide et calamistrée, semblable à quelque nid d'hirondelle mal famé que n'habiterait plus aucun migrateur des cieux, mais où des races moins fières trouveraient la ressource de s'abriter et de pulluler. Chevelure inquiétante et sacrée où les doigts des vierges conquises ne s'aventurent assurément qu'après d'immortels soupirs. - Il est justement infatué de cette luxuriance capillaire et, peut-être, pédiculaire, qui lui donne l'aspect d'un pifferaro ou d'un zingaro chaudronnier. » Edmond de Goncourt 1822-1896 Évidemment la prose corsetée, odoriférante et vertugadine du père de Chérie et de La Faustine doit paraître déjà quelque peu caduque aux Annibals du décadentisme qui escaladent, chaque matin, les Alpes de la plus inaccessible grammaire. Les décadents du mourant empire de Théodose et de Constantin, ces fameux décadents admirés aujourd'hui, avec frénésie, par quelques poètes contemporains et gélatineux qui semblent porter la moelle de leur colonne infertile entre les dix doigts de leurs pieds, ces résidus, extatiquement suçotés, de l'émonctoire païen, renieraient avec désespoir des thuriféraires aussi malvenus, s'ils avaient l'infortune de ressusciter pour les connaître. » Flaubert 1821-1880 Il est parmi tous les pédagogues de la présente génération celui qui a le plus admirablement réussi à ne rien mettre du tout sous l'épitoge ou la chapelle constellée dont il affublait les Aquilons qui sortaient de son caverneux esprit. » Paul Bourget 1852-1935 — Enfin, Bloy, vous me détestez donc bien ? — Non, mon ami, je vous méprise. » Et sur l'admiration du même Bourget pour Renan La logique humaine se fût révoltée en poussant de sauvages cris, si Paul Bourget n'avait pas été le disciple et l'admirateur de Renan. - Que n'eût-il pas fait pour égaler les flaccidités et les langueurs de cette forme gélatineuse qui échappait si bien à l'étreinte et qui eut toujours l'air de trembloter sur l'esprit du vieux farceur comme le fromage de tête de cochon sur la galantine. » Armand de Pontmartin 1811-1890 Ce radoteur malfaisant vient de crever enfin et de se dissoudre à jamais dans le prolixe fumier de ses Samedis littéraires. - Ce vieil eunuque, éreinteur de tout généreux effort, n'a même pas obtenu l'aumône fétide d'une pauvre tinette de pleurs vidée miséricordieusement par des confrères sur sa minable charogne. - Les journalistes se sont rués dans l'indifférence et, en moins d'une semaine, le gâteux oracle de la vertu littéraire s'est dissipé, pour l'éternité, comme l'empyreumatique fumée d'un ténia dans l'incendie calamiteux d'un laboratoire. » Barbey d'Aurevilly 1808-1889 C'était un vierge de l'enthousiasme et du trompe-l'œil divin, inaccessible à tous les limons de l'expérience, improfanable à perpétuité. Mais voici le miracle. Ce vagabond obstiné des orients en flammes et des pâles banquises des cieux, ce célicole errant du dithyrambe et de l'extase était, par surcroît, un intuitif surprenant de la crasse humaine. » Francisque Sarcey 1827-1899 - dont Alphonse Allais se moquait régulièrement Il est le nénuphar de l'enthousiasme et le bromure de potassium de la poésie. » À l'évidence, Léon Bloy aurait pu écrire, comme l'autre Léon » Le Stupide XIX e siècle ! Léon DAUDET 1867-1942 Ultra-nationaliste, ce qui ne l'empêchait pas de déclarer La patrie, je lui dis merde quand il s'agit de littérature », xénophobe, antidémocrate, Léon Daudet est pour beaucoup infréquentable. Et pourtant... Il fut parmi les premiers à défendre les impressionnistes ; aimait Baudelaire, Verlaine, Mallarmé - un magicien des mots » ; il qualifiait Debussy de musicien de génie » ; et, à l'académie Goncourt, il vota pour Proust en 1919. Mais surtout il fut, comme Bloy, un styliste hors pair dans la polémique, et leur usage de la métaphore et de mots rares est incomparable. Alors, régalons-nous. Catulle Mendès 1841-1909 Vers 1880, il n'était pas encore hideux. Ses traits d'ancien beau tenaient toujours, mais il exhalait déjà cette odeur de colle et d'éther qui rendait son contact répugnant. » Maupassant 1850-1893 On distinguait dès cette époque à l'œil nu, dans Maupassant, trois personnages un bon écrivain, un imbécile et un grand malade. C'était surtout l'imbécile qui nous frappait par sa fatuité. » Leconte de Lisle 1818-1894 Ses ouvrages me font l'effet d'une grotte de glace où pendent des stalactiques en forme de trompe d'éléphant et de bonnet de fakir. Il a trouvé le moyen, l'éminent frappeur de carafes et marteleur d'alexandrins, de congeler I Iliade et YOdyssée. Sous sa traduction, les combats de VIliade ont l'air de morgues, et les aventures d'Ulysse de chambres de réfrigération à bord d'un paquebot. » Jean Lorrain 1855-1906 Il avait une tête poupine et large à la fois de coiffeur vicieux, les cheveux partagés par une raie parfumée au patchouli, deux yeux globuleux, ébahis et avides, de grosses lèvres qui jutaient, giclaient et coulaient pendant son discours. Son torse était bombé comme le torse de certains oiseaux charognards. » Alfred Naquet 1834-1916 Bossu comme dans les contes arabes, aux yeux luisants d'almée sadique, et qui tient de l'araignée et du crabe. » Philippe Burty 1830-1890 Imaginez un gros chat au poil frisé, aux yeux langoureux, au miaulement flatteur "Un maître fourbe", affirmait Goncourt, qui l'avait beaucoup fréquenté. Le fait est que, de sa voix onctueuse et caressante, ce collectionneur de japoneries et de calomnies débinait férocement tous ses contemporains. Il était comme une vieille confiseuse, embusquée entre des corbeilles de bonbons à la médisance. » Gilles de la Tourette 1857-1904 Il était laid, à la façon d'une idole papoue sur laquelle seraient implantés des paquets de poils. Il avait la voix éraillée et brûlée, le geste brusque, la démarche falote. » Charles Féré 1852-1907 Il était sommaire, taciturne et brutal. Imaginez un colosse, aux mains larges comme des côtelettes de veau, à l'œil terne, à la parole hésitante. Il ânonnait le syllabaire de la Salpêtrière, sans y changer un mot. Je plains les malheureux déments qui sont depuis tombés sous sa coupe, qu'il a camisolés, gavés, trempés dans l'eau froide ou chaude, nourris de morphine et de bromure, soumis aux exercices fallacieux qui sont l'usage dans les maisons de fous. Ce Huron rempli de lectures riait macabrement dans sa barbe, une barbe d'un mètre, quand le mot de religion était prononcé devant lui. Il était un joli exemple de primaire, tatoué de connaissances anatomo-pathologiques, de dévot du néant, de servant du matérialisme. » Charles-Marie Huysmans 1848-1907 Il était excellent et atrabilaire, compatissant et féroce, railleur et quinteux. Il ressemblait, avec son large front ridé, à un vieux vautour désabusé et philosophe, perché sur l'huis de la misanthropie. Quand on lui demandait "Que pensez-vous d'Untel ?" il répondait, le plus fréquemment, d'une voix lasse, en baissant ses yeux gris "Ah ! quel déconcertant salaud I..." ou "Quelle triste vomissure !" ou quelque chose d'approchant. Le contraste de cet accent feutré, mitonné, semi-poussiéreux, et de ces affirmations péjoratives, était d'un comique irrésistible. » Émile Zola 1840-1902 Avec son nez bifide, sa verbosité, son langage fébrile, il était le type achevé du bilieux, qui ne se complaît que dans le malheur, l'infortune d'autrui, l'excrément, le trouble sexuel, la folie et la laideur. - Ayant découvert cette chose falote baptisée falotement par lui "naturalisme", c'est-à-dire la prédominance de l'appareil digestif et procréateur sur l'esprit, il accueillait arbitrairement, dans ses casiers stercoraires, tel écrivain et rejetait tel autre, le tout avec une ignorance, un contentement de soi magnifiques. » Edmond Haraucourt 1856-1941 Son effroyable laideur prenait part à ces divertissements. Le jeu consistait à provoquer chez Haraucourt, bombant le torse et tendant le jarret comme un coq à tête de batracien, une crise soudaine de fatuité. Il suffisait pour réussir de lui confier en secret qu'une personne de l'assistance, d'une grande beauté et colossalement riche, l'avait distingué et souhaitait qu'il récitât quelques-uns de ses taenias à la Leconte de Lisle. Aussitôt l'auteur de La Légende des sexes, se dressant ainsi que Priapus dans Rabelais, avançant son menton en peau de crapaud sous ses pommettes de samouraï, commençait à beugler ses alexandrins. » Et si je glisse sur Edmond Rostand 1868-1918 [...] mauvais écrivain, dont la pauvre ingéniosité, faussement héroïque, et le boursouflement lyrique sont d'ailleurs heureusement taris, si j'insiste à peine sur la métrique chronique, hideusement symétrique, de Henri de Régnier 1864-1936, le pendu constipé, vous comprenez bien que c'est par pure courtoisie ». Faguet 1847-1916 Pour faire visite à Mme de Loynes, Faguet endossait une belle redingote noire, comme pour un duel au pistolet ; il avait le cou noir, un liseré noir, laissé par son chapeau, sur son front, les doigts gris et les ongles noirs, une paire de gants de fil ternes à la main, des croquenots d'asile de nuit. L'entrée de cet olibrius provoquait un certain émoi. » Henri de Régnier 1864-1936 Certains de mes amis très chers ayant de l'affection pour Henri de Régnier, cadavre au menton de galoche, oublié debout, sous la pluie, en habit d'académicien, par un assassin distrait, je me dis qu'il subsiste en Henri de Régnier quelque chaleur ou quelque don ignoré de moi. Des vers froids, compassés, symétriques, aussi laids et vainement sonores que ceux de Heredia, un profil en mèche de lampe, une voix enchifrenée, une ironie de flanelle humide, un regard qui meurt derrière le monocle, tels sont, à mes yeux, les attraits de ce gentilhomme. » Et, pour finir, ces belles lignes sur Vallès et... Bloy La force se réfugie dans la demi-insanité, chez deux hommes, armés de leurs plumes, que je n'assortis point ici par goût du rapprochement des contraires, mais qui ont en commun leur hérissement, leur savoureuse rage, et un bel emportement verbal Vallès et Bloy. Vallès est quinteux, Bloy vaticinateur ; Vallès est mauvais, rancunier ; Bloy, criard et bonhomme au fond. Avec eux, par eux, le lecteur échappe à la fadeur, à la moisissure, au remugle, issus de l'avalanche romantique et du dépotoir naturaliste, sur lesquels flottent la contention douloureuse pour rien de Flaubert et le rictus béat de Renan. Leurs livres forcenés n'acceptent pas ; ils crient, ils tempêtent, ils menacent et vitupèrent. Ils tranchent sur cette littérature de chambre de malade, de bric-à-brac, ou de charnier, qui fait les délices des passants, sur cette littérature d'ouvroir, d'antichambre, ou d'office riche, qui fait les délices de l'Académie. » Injure L'injure, ce n'est pas le gros mot, ni le juron, ni la calomnie, ni la diffamation, ni le reproche, ni l'insulte. La pratique de l'injure défoule, il n'y a qu'à consulter dans le Dictionnaire des injures, paru en 1970 chez Tchou 9 300 injures..., le chapitre La santé par l'injure » pour le vérifier, et Sigmund Freud pensait que le premier homme qui a jeté une injure plutôt qu'une pierre était le fondateur de la civilisation ! L'injure peut revêtir plusieurs formes gestuelle, graphique, et parfois même sonore un coup de Klaxon intempestif peut équivaloir à une injure. Mais les injures verbales sont devenues de nos jours insipides et banales. Où sont les belles injures truculentes de jadis ? La langue populaire avait des trouvailles qui, après avoir traversé les siècles, se sont, hélas, depuis perdues. Chamfort écrit par exemple, en parlant du langage vigoureux et imagé des postillons, des cochers et des charretiers Seuls les héros d'Homère, forts en gueule, comme on sait, auraient pu rivaliser avec certains cochers [...] pour l'abondance et le pittoresque des injures. » L'invention de la vitre aurait-elle tari l'imagination de nos automobilistes ? Déjà, en 1935, dans un article La faillite de l'injure », le journaliste Gustave FréjaviIle notait qu'autrefois, l'engueulement était de règle, il avait ses maîtres et sa littérature ». Il serait urgent de réapprendre à savoir injurier, ne serait-ce que par mécanisme d'extériorisation libératrice. Robert Édouard, l'auteur du dictionnaire cité, réclamait d'ailleurs la création d'une chaire d'injure en Sorbonne. Depuis l'Antiquité, les injures ont d'ailleurs suscité l'intérêt des philosophes et des écrivains. Suétone, dans son ouvrage Vies des douze Césars, y adjoint un ouvrage sur les injures, Protagoras a composé un Art de la dispute. Mais si on disait toujours la vérité, dans le monde... on passerait sa vie à se dire des injures... » Eugène Labiche. Je suis fermement persuadé que les ânes, quand ils s'insultent entre eux, n'ont pas de plus sanglante injure que de s'appeler hommes » Heinrich Heine. Le juron, lui, c'est plutôt lorsqu'on se tape sur les doigts avec un marteau, quand on ne retrouve pas la télécommande de la télévision lors de la retransmission de la coupe du monde de foot ou qu'on laisse le lait déborder. On l'adresse à soi-même, au marteau ou à personne. Il est vrai, comme le remarquait André Birateau, que les gros mots ont beaucoup maigri » avec les siècles. Les jurons les plus intéressants sur le plan sémantique sont ceux qui, pour éviter le blasphème, font dans l'euphémisme, par exemple Bondiou ! » ou Crévindiou » sacré bon Dieu ; ils peuvent être scatologiques merde, crotte de bique I, misogynes putain I, alimentaires purée I, animaliers punaise I, musicaux flûte I, artisanaux bordel I, religieux sapristi ! pour sacristie ou distingués zut ! mince ! miel I, voire très distingués fichtre ! bigre ! bougre. Innumérisme Quark particule élémentaire qui forme les protons et les neutrons. Mot repris, en 1967, par le physicien américain Murray Gell-Mann, de James Joyce, Finnegans Wake 1939, où il n'a pas sans doute ce sens. Three quarks for Muster Mark ! Total béotien en mathématiques, je suis donc dans Yinnumérisme, c'est-à-dire dans une grande difficulté avec les chiffres et le calcul. Mais son vocabulaire, comme celui de l'astrophysique, me fascine, pour son aspect souvent poétique, dans son opacité même ou ses qualités métaphoriques, comme en astrophysique où l'on trouve par exemple les naines blanches, mais aussi les noires, les brunes, les rouges et les jaunes le vent solaire \e fond diffus V apside, Yanalemne, Y astérisme et Yaphélie la lumière cendrée les nébuleuses diffuses, et les obscures le périhélie la nutation et non la mutation ! la libration et non la libation ! Y aberration chromatique les météorides ou météoroïdes En mathématiques... les objets fractals, ou figures fractales, ou fractales Benoît Mandelbrot, 1974, sont, vous vous en doutiez, les nuages, les vaisseaux sanguins, les flocons de neige ou le chou-fleur ! Laissez-moi vous livrer encore ici quelques jolies trouvailles ennéagone, énantiomorphe les rhombes à ne pas confondre avec rhumbs un nuage de points bicarré et non bigarré ! la valuation d'un polynôme le polyomino la surjection, Y inéquation, Yinvolution, le zillion, le doubleton une opérande, un repunit les suites divergentes, les surfaces gauches et les fuseaux sphériques la théorie des catastrophes René Thom, 1968. Je lis, via Internet Domaine de la topologie différentielle. Le terme de " catastrophe " désigne le lieu où une fonction change brusquement de forme. » Je ne suis guère plus avancé si ce n'est que, ici, les catastrophes » n'ont rien de grave ni d'effrayant. Enfin, les intégrandes convexes coercives ! qu'aucun de mes amis matheux n'a su m'expliquer... Un jour de juillet 1999, Stella Baruk, la célèbre professeur de mathématiques, a proposé à plusieurs écrivains de rédiger en toute liberté un texte à partir d'un terme mathématique. Voici celui de Maurice Pons inspiré du mot losange quadrilatère plan convexe dont les quatre côtés ont même longueur ». 1. Éthol. Le losange vit de préférence à l'intérieur des cahiers quadrillés, dont il s'efforce d'épouser les formes géométriques. Mais en général il n'y parvient pas. Aussi le voit-on déborder de toutes parts les limites que lui assigne la nature, pour ne plus former qu'une caricature du carré ou du rectangle. 2. Généal. La femelle du losange met bas vers le deuxième trimestre elle donne naissance à des petits triangles, qui n'ont de cesse de s'assemblertête-bêche pour copuler allègrement. Enfin, je ne résiste pas au plaisir de citer ces quelques lignes d'un vrai, et ô combien talentueux, mathématicien Cédric Villani, qui a reçu la médaille Fields en 2010 l'équivalent du Goncourt en maths, pour la démonstration d'un théorème dont je ne serais pas capable évidemment d'expliquer la moindre ligne. Le colloque de février 2009 à Princeton abordait trois thèmes principaux les géométries conformes des changements de géométries qui distordent les distances mais préservent les angles ; le transport optimal comment transporter de la masse d'une configuration initiale prescrite à une configuration finale également prescrite, en dépensant le moins d'énergie possible ; et les problèmes de frontière libre où l'on recherche la forme de la frontière qui sépare deux états de la matière, ou deux matériaux. » Mais ce n'est pas tout En corollaire, notre travail inclut maintenant de nouveaux résultats de stabilité pour des équilibres homogènes de l'équation de Vlasov-Poisson, comme la stabilité de certaines fonctions de distribution non monotones dans le cas répulsif un problème ouvert de longue date, et la stabilité en deçà de la longueur de Jeans dans le cas attractif » Théorème vivant, Grasset, 2012. Élémentaire, mon cher Cédric ! Jadis et naguère Ce titre est un hommage à un recueil de Verlaine publié en 1884. Celui-ci connaissait bien sûr la distinction de sens que Ton fait entre jadis et naguère, aujourd'hui employés indifféremment pour renvoyer à une époque révolue. Il existe pourtant une nuance entre ces deux adverbes de temps, que l'on peut comprendre si l'on remonte à leur origine. Le premier, jadis », que Littré recommandait encore de prononcer jadi au xix e siècle, est une contraction de l'ancien français ja a dis xn e , et que l'on peut traduire par Il y a déjà des jours », et qu'il faut entendre par Il y a bien longtemps ». Le second, naguère », est né lui aussi d'une contraction de l'ancien français n'a gaire ou n'a guère au xn e siècle l'orthographe des mots n'était pas encore clairement établie, que l'on peut comprendre comme Il n'y a guère de temps ». Les deux mots datent donc de la même époque, mais ne renvoient pas à la même ! Et profitons-en pour en évoquer un troisième parfois employé pour l'un ou l'autre de ces termes d'antan ». La Fontaine, Jean de 1621-1695 N'en déplaise à Jean-Jacques Rousseau, j'estime que La Fontaine peut et doit être lu par tous. Rousseau, autodidacte orgueilleux, voulait à tout prix se démarquer des idées qui étaient alors unanimement admises. Pour lui, La Fontaine, Molière et de façon générale tous les auteurs de théâtre sont immoraux. Je vous épargne les sophismes dont il use pour dénoncer les méfaits du théâtre, si cher à Voltaire, un de ses innombrables ennemis, mais je reviens aux paradoxes qu'il déploie pour interdire l'étude de La Fontaine avant l'âge de onze ans On fait apprendre les fables de La Fontaine à tous les enfants, et il n'y en a pas un seul qui les comprenne. Quand ils les comprendraient, ce serait encore pis ; car la morale est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu'elle les porterait plus au vice qu'à la vertu. » Rousseau analyse mot pour mot Le corbeau et le renard » ; Qu'est-ce qu'un corbeau ? », s'étonne-t-il, comme si les enfants de six ou sept ans ne le savaient pas ! Qu'est-ce qu'un arbre perché ? », rajoute-t-il, en coupant malhonnêtement le vers de La Fontaine qui a écrit Maître corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un fromage... » J'ai demandé à des jeunes enfants comment ils comprenaient le corbeau sur un arbre perché », et tous ont aussitôt répondu perché sur un arbre ». Et y aurait- il un enfant assez idiot pour croire que l'arbre est perché ? Il aurait dû interroger ses quatre rejetons, mais il s'en est débarrassé à la naissance en les confiant » à l'assistance religieuse, alors que 90 % des enfants en bas âge mouraient dès les premières semaines... Je vous épargne ses autres arguments, tout aussi viciés que les premiers. Les enfants savent fort bien que les corbeaux et les renards ne parlent pas, mais ils comprennent spontanément que ces animaux sont humanisés, comme les personnages de dessins animés qui font maintenant leurs délices. La Fontaine n'a publié son premier recueil de Fables qu'à 47 ans, car après une jeunesse heureuse et des études solides, il s'amuse à l'académie des Chevaliers de la Table Ronde, lit beaucoup et multiplie ses amours, car, avoue-t-il dans la fable À Clymène » Mon destin est tel qu'il faut que j'aime ; On m'a pourvu d'un cœur peu content de lui-même, Inquiet et fécond en nouvelles amours ! Il aime à s'engager, mais non pas pour toujours. Le mariage ne l'assagit pas. Pour échapper à l'ennui de son union, il achète la charge de Maître des eaux et forêts, ce qui lui permet de s'imprégner de la vie des animaux qui peuplent son premier recueil. Il se lance dans la carrière littéraire et va dans diverses directions ; premier échec comme auteur de théâtre, même s'il retient de cette expérience beaucoup de sûreté pour faire de certaines de ses fables de vraies comédies miniatures, avec des dialogues vifs et des retournements imprévus de situation. Il connaît son premier succès avec ses Contes, légers, drôles et un peu grivois, puis il change complètement de registre avec ses Poésies chrétiennes, et passe à l'écriture d'un roman mythologique, mi-prose, mi-vers, Les Amours de Psyché et de Cupidon, et enfin rédige son premier recueil de Fables. Celles-ci rencontrent un succès mérité car La Fontaine a complètement remodelé les modèles antiques d'Ésope et de Phèdre, qui se contentent d'inculquer une morale simple aux élèves avec un court récit. La Fontaine préfère conter en amusant Une morale nue apporte de l'ennui; Le conte fait passer le précepte avec lui. Il met en pratique ses qualités artistiques, comme la brièveté il écrit dans son épilogue les longs ouvrages me font peur », la variété, diversité, c'est ma devise », l'emploi si difficile du vers irrégulier qui lui permet de modifier la vitesse du récit en fonction de l'histoire racontée, le badinage, la familiarité, la fausse naïveté. En plus, sous le couvert de récits d'animaux, La Fontaine peut impunément attaquer Louis XIV et les Grands. Il est un des rares écrivains de son temps à critiquer le pouvoir absolu, la bassesse des courtisans et l'égoïsme des puissants. Relisons Les animaux malades de la peste » Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste puisqu'il faut l'appeler par son nom, Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, Faisait aux animaux la guerre. La Fontaine passe de vers courts au début, pour introduire rapidement le sujet à des vers beaucoup plus amples pour souligner la gravité du mal. Admirons le rejet de la Peste », qui met en valeur ce mal terrifiant, ainsi que la référence mythologique au fleuve des Enfers qui donne encore plus de poids à son propos. La guerre » est rejetée à la fin de l'introduction, pour accentuer l'horreur de la situation. On voit donc, dès les premiers vers, combien la place de chaque mot est soigneusement étudiée, et comment la référence à l'Antiquité, avec l'Achéron, donne de la solennité à l'événement. Le Roi confesse ses péchés devant l'assemblée des animaux Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense ; Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le berger. Là encore, on ne peut qu'admirer la virtuosité des rythmes. Le rejet de le berger » au dernier vers rompt le mouvement de la voix du Roi, comme s'il avait de la difficulté à avouer son crime ultime, comme une culpabilité qui peine à sortir... Le Roi fait un aveu pénible, et cet aveu donne l'impression d'une noble attitude. En fait, le Roi sait fort bien qu'il ne risque rien et que les courtisans vont s'empresser de le disculper — Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi; Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes. Seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur. Le courtisan, avec beaucoup d'habileté, joue sur le choix des mots le Lion, pris de remords, parle de sa gloutonnerie, terme péjoratif. Le Renard transforme le verbe dévorer » en croquer », qui fait beaucoup plus distingué. Les aristocrates croquent leurs mets délicats, quand le bas peuple s'empiffre. La fonction naturelle des moutons est d'être croqués. Comme le dit Taine Les moutons sont des magasins de côtelettes. » Ainsi dit le Renard ; et flatteurs d'applaudir. L'ensemble des puissants s'exonère de toute responsabilité et accable le pauvre hère sans défense. L'Âne avoue qu'il a osé donner un coup de langue dans un pré, qui plus est un pré de moines, circonstance aggravante pour qui sait lire entre les lignes. En effet, les moines devraient pratiquer la charité chrétienne et ne pas tenir rigueur de ce si menu larcin. C'est le contraire qui se produit. Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. J'espère ne pas vous avoir ennuyé avec cette explication de texte. Elle veut juste montrer que La Fontaine peut être lu à différents niveaux. L'enfant y trouve un plaisir immédiat, tant chaque personnage est bien typé, comme dans une mini-série de télévision. Le lecteur plus âgé s'amuse du jeu des rythmes, du choix des mots, de la place qui leur est accordée dans le vers, exactement comme on peut goûter la musique racinienne, dans un autre registre. Les acteurs de la Comédie-Française ont monté, il n'y a pas si longtemps, un certain nombre de fables de La Fontaine. C'était un pur régal ! Pourquoi la télévision ne produit-elle pas plus souvent de tels spectacles, ce qui permettrait au plus grand nombre de voir et d'entendre les Fables sous un jour tellement plus ludique qu'au fond d'une classe, entre deux tables de multiplication ! Langage macaronique L'Italie du xv e siècle avait imaginé avec humour une sorte de latin de cuisine, mélange de mots latins et de termes italiens astucieusement latinisés. L'origine amusante du mot viendrait selon Gabriel Naudé de macaroni », une pâte culinaire où divers ingrédients mélangés forment un ragoût. Les procédés macaroniques relèvent tous d'une même démarche puisque, selon Cicéron, le risible réside in deformitate aliqua, c'est le langage que l'on choisit ici de déformer, mais la licence inventive s'accompagne de quelques règles. [...] Le macaronisme lexical constitue l'un des piliers du genre, le plus visible, comprenant le travestissement des mots de la langue vulgaire, la latinisation rudimentaire par la désinence, ainsi que des néologismes de type latin formés par affixation, des néologismes arbitraires principalement des onomatopées et des substitutions qui recalquent le mot sur la forme vulgaire en remplacement du terme classique », écrit Yves Girault, de l'université de Fribourg. Notre cher Molière s'en donne à cœur joie avec ce genre au début de la cérémonie du Malade imaginaire Secundus Doctor Cum permissione Domini Præsidis, Doctissimæ Facultatis, Et totius his nostris actis Companiæ assistants, Domandabo tibi, docte Bachelière, Quæ sunt remedia, Quæ in maladia Ditte hydropisia Convenit facere. Bachelierus Clysterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare. Il ne manque plus que la carte vitale »... Langue de Proust Pour Jean Peytard, l'écrivain est quelqu'un qui fait sa langue », comme le souligne avec une conviction énergique Marcel Proust dans sa célèbre lettre à Mme Straus du 6 novembre 1908. L'écrivain attaque la langue française, pour la défendre il détruit et déconstruit les clichés, les lieux communs. Il fait sa langue, comme le musicien fait son son ». Je vous remercie infiniment de votre lettre si ravissante, si drôle, si gentille... Les seules personnes qui défendent la langue française comme l'armée pendant l'affaire Dreyfus, ce sont celles qui l'attaquent ». Cette idée qu'il y a une langue française existant en dehors des écrivains et qu'on protège est inouïe. Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue, comme chaque violoniste est obligé de faire son son ». Et entre le son de tel violoniste médiocre et le son pour la même note de Thibaut, il y a un infiniment petit, qui est un monde ! Je ne veux pas dire que j'aime les écrivains originaux qui écrivent mal. Je préfère - et c'est peut-être une faiblesse - ceux qui écrivent bien. Mais ils ne commencent à écrire bien qu'à condition d'être originaux, de faire eux-mêmes leur propre langue. La correction, la perfection du style existe, mais au-delà de l'originalité, après avoir traversé les faits, non en deçà. La correction en deçà émotion discrète » bonhomie souriante » année abominable entre toutes », cela n'existe pas. La seule manière de défendre la langue, c'est de l'attaquer, mais oui. Madame Straus ! Parce que son unité n'est faite que de contraires neutralisés, d'une immobilité apparente qui cache une vie vertigineuse et perpétuelle. Car on ne tient », on ne fait bonne figure, auprès des écrivains d'autrefois qu'à condition d'avoir cherché à écrire autrement. Et quand on veut défendre la langue française, en réalité, on écrit tout le contraire du français classique. Exemple les révolutionnaires Rousseau, Hugo, Flaubert, Maeterlinck tiennent » à côté de Bossuet. Les néo¬ classiques du dix-huitième et commencement du dix-neuvième siècle, et la bonhomie souriante » et l' émotion discrète » de toutes les époques jurent avec les maîtres. Les plus beaux vers de Racine, Je t'aimais inconstant, qu'eussé-je fait fidèle ! Pourquoi l'assassiner ? Qu'a-t-il fait ? À quel titre ? Qui te l'a dit ? n'auraient jamais passé, même de nos jours dans une revue... Hélas, Madame Straus, il n'y a pas de certitudes, même grammaticales. Et n'est-ce pas plus heureux ? Parce qu'ainsi une forme grammaticale elle-même peut être belle, puisque ne peut être beau que ce qui peut porter la marque de notre choix, de notre goût, de notre incertitude, de notre désir, et de notre faiblesse. Madame, quelle sombre folie de me mettre à vous écrire grammaire et littérature ! Et je suis si malade ! Au nom du ciel pas un mot » de tout ceci. Au nom du ciel... auquel nous ne croyons hélas ni l'un ni l'autre. Respectueusement à vous Marcel Proust Correspondance. Langue maternelle On nomme maternelle la langue apprise par l'enfant dès sa naissance. Parfois, du fait d'un entourage parental, un enfant assimile deux langues à la fois qui ne seront pas, malgré cela, appelées, l'une langue maternelle et l'autre paternelle... mais toutes deux maternelles et de ce fait est bilingue. Cette langue maternelle peut être nationale, officielle, vernaculaire ou véhiculaire. Qu'entend-on par ces qualificatifs ? La frontière, si l'on peut dire, entre langue nationale et langue officielle n'est pas toujours simple. La langue nationale se confond souvent avec la langue officielle d'un pays. En France, la langue nationale est le français, la langue officielle de même ; en Suisse, les trois langues officielles fédérales sont l'allemand, le français et l'italien, mais les langues nationales sont l'allemand, le français, l'italien et le romanche ; une langue nationale peut aussi être une langue officielle ; au Canada, les deux langues officielles, l'anglais et le français, sont également des langues nationales. Le statut de langue officielle » étant un concept plus ou moins ambigu, une langue officielle est reconnue par la loi [de jure ou dans les faits [de facto par un État souverain ou non souverain, sur l'ensemble du territoire ou une partie de celui-ci. Les pays qui ont subi la colonisation ont souvent deux langues officielles celle du colonisateur et la vernaculaire. On appelle langue vernaculaire la langue parlée seulement à l'intérieur d'une communauté, souvent restreinte. C'est le cas de certaines langues régionales en France l'alsacien, le breton, le corse, etc. qui ne peuvent désormais plus être considérées comme langues maternelles que pour seulement une minorité de la population du territoire concerné. De vernaculaire du latin vernaculus, indigène, domestique », passons à véhiculaire. Comme son origine l'indique relatif aux véhicules, cette langue sert à communiquer entre diverses communautés d'une même région qui ont des langues maternelles différentes. Le latin, dans l'Antiquité, servait de langue véhiculaire au sein des populations de la moitié occidentale de l'Empire romain, le français pour l'aristocratie européenne du xvn e jusqu'à la fin du xix e siècle, le mandarin en Chine. Il est intéressant de noter que l'espéranto a la particularité d'être langue véhiculaire, sans être langue vernaculaire puisqu'elle n'est la langue natale d'aucun des sujets qui la parle. On pourrait extrapoler en disant que l'anglais de cuisine, mais peut-on parler de cuisine anglaise ? devient la langue véhiculaire de notre planète Terre et pourquoi pas un jour, hélas, de l'univers. Larousse, Pierre 1817-1875 Une voix mâle, une tête forte, un corps velu et bien proportionné sont encore signes de longue vie. Grand Larousse du XIX e siècle tome X. Né à Toucy dans l'Yonne en 1817, de famille modeste, sa mère était aubergiste et son père charron-forgeron, il rêve de devenir encyclopédiste ; à 20 ans à peine, il est instituteur à l'école primaire supérieure. Pierre Larousse va fréquenter pendant huit ans la Sorbonne, le Conservatoire des arts et métiers, le Muséum national d'histoire naturelle et le Collège de France. Il étudie le latin, le grec, la linguistique, le sanskrit, le chinois, les littératures française et étrangère, l'histoire, la philosophie, la mécanique et l'astronomie. Il fonde en 1852 une maison d'édition avec Augustin Boyer, un compatriote instituteur la Librairie Larousse. En 1856 paraît le Nouveau Dictionnaire de la langue française, l'ancêtre du Petit Larousse, avec ses deux parties déjà séparées par les pages roses », qui a un succès immédiat. Mais l'œuvre de sa vie, qu'il mit onze ans à réaliser, c'est le Grand Dictionnaire universel du XIX e siècle 17 volumes et 22 700 pages. L'idée de ce vaste dictionnaire qui contenait non seulement le vocabulaire ordinaire, les noms propres les plus courants, mais aussi, excusez du peu, la totalité des connaissances humaines » sans exception, le hantait depuis toujours. La publication de ces énormes volumes par fascicules périodiques commença le 27 décembre 1863. Il n'en fut pas l'unique auteur ; il avait recruté une quantité de collaborateurs qui finirent d'ailleurs le travail après sa mort en 1875. Ce qui caractérise cette œuvre, c'est, d'après le Petit Robert des noms propres, une liberté d'esprit souvent déconcertante ». Pour Pierre Enckell qui en 2004 s'est mis en tête de lire et d'analyser ces vingt-quatre mille pages, C'est le moins que l'on puisse dire, car loin de montrer le détachement scientifique auquel on pourrait s'attendre dans un ouvrage de ce genre, les commentaires s'avèrent directifs, militants, partiaux, injustes, enflammés, empreints des convictions politico-sociales de l'auteur, lequel ne se gênait pas pour y proclamer haut et fort ses opinions - opinions qui, pour lui, étaient, bien entendu, des vérités ». Ce point de vue n'empêche pas d'affirmer ici haut et fort que cette œuvre est par son étendue une des plus importantes de tous les temps ; elle tient un grand rôle dans notre culture parce qu'elle reflète les mœurs, les attitudes et le caractère des Français. Pour Enckell, Pierre Larousse a réponse à tout, et quelles réponses ! Vous y apprendrez par exemple que la loi punit de prison les mendiants enrichis, que le méridien de Greenwich est considéré comme un complot anglo- saxon, l'autopsie mutuelle est recommandée par l'élite de la société, dans les souterrains de la capitale des barbus méticuleux mesurent la taille des œufs, les habitants de la Nièvre meurent comme des mouches, les Basques s'entre-tuent en faisant la fête, les chasseurs se déguisent en vaches, la virginité est testée à l'aide d'un fil au bout du nez, les facteurs font sept tournées par jour, tandis que Paris exporte à Londres, avec d'importants bénéfices, des chevaux morts et des crapauds vivants ! À noter aussi tome XVI, p. 336 que les 350 bibliothèques départementales sont fréquentées par 3 000 lecteurs, ce qui donne une moyenne de 33 lecteurs par département », que Balzac tome II, p. 138, non seulement peut corrompre par ses tableaux ; mais il peut agir encore d'une manière funeste sur les esprits faibles, les imaginations maladives de la jeunesse, par ses maximes, par ses principes et par les mauvais sentiments qu'il éveille. Il semble qu'on respire dans ses romans un air vicié, chargé d'émanations nauséabondes ». Qu'il faut aussi appeler de tous nos vœux l'alphabet universel qui aura pour conséquence la langue et, un jour, la fraternité universelle » tome I, p. 234, et que l'on peut prédire à coup sûr que les chemins de fer, si puissants déjà pour abaisser les frontières, amèneront, dans un laps de temps qu'on pourrait peut-être déjà calculer, la fusion complète des races, et par conséquent aussi celle des idiomes » tome X, p. 145. Enfin, tout crétin doit être transporté dans une autre contrée et là être soumis à une surveillance continuelle afin de prévenir les excès d'ivrognerie et les abus d'onanisme » tome V, p. 505. Nous voilà prévenus... Lecture La La lecture est un vice impuni. Valéry Larbaud. La lecture, c'est ce qui donne vie au livre en ranimant à travers la pensée des signes qui, sans elle, ne seraient que des éléments typographiques et un peu d'encre sur une page. Le lecteur est le double de l'auteur à travers le miroir de l'écrit, et il devient son complice. Le plus souvent, la représentation la plus commune de la lecture littéraire aujourd'hui en fait une pratique solitaire et silencieuse », remarque Alain Rey en citant Proust dans Du côté de chez Swann Destinée à un usage plus spécial et plus vulgaire, cette pièce [...] servit longtemps de refuge pour moi sans doute parce qu'elle était la seule qu'il me fût permis de fermer à clef, à toutes celles de mes occupations qui réclamaient une inviolable solitude la lecture, la rêverie, les larmes et la volupté. » Valéry Larbaud n'en pense pas moins et parle d'une caresse sereine durable et égoïste », mais il va encore plus loin dans Ce vice impuni , la lecture une espèce de vice, comme toutes les habitudes auxquelles nous revenons avec un sentiment de vif plaisir dans lesquelles nous nous réfugions et nous nous isolons et qui nous consolent et nous tiennent lieu de revanche dans nos petits déboires ». Pour moi tout est dit, et je souscris de bon cœur à cette démonstration. Reste à déterminer les différentes sortes de lecteurs, celui qui lit par nécessité professionnelle, ou pour se distraire de ses occupations ou de ses travaux, comme le souligne encore Valéry Larbaud, qui ajoute Les gens qui lisent pour le seul plaisir de la lecture et qui recherchent ce seul plaisir avec ardeur sont des exceptions. » Tout dépend de la façon dont on lit. Lorsque la lecture met en jeu la réflexion, c'est un véritable acte de liberté, mais lorsqu'on la pratique d'une façon superficielle, elle est souvent motivée par des impératifs sociaux ; il faut avoir lu tel ou tel ouvrage pour rejoindre un milieu social, ce qui ne plaît pas forcément à tout le monde. Ainsi le père de Julien Sorel, menuisier illettré, ne supporte pas que son fils s'isole pour lire Au lieu de surveiller attentivement l'action du mécanisme [de la scie] Julien lisait. Rien n'était plus antipathique au vieux Sorel » Stendhal, Le Rouge et le Noir. Reste évidemment que la place de la lecture dans les systèmes d'éducation est primordiale. Elle est la voie obligatoire pour accéder à l'éducation et à la culture. Qu'apprend-on à l'école primaire ? On apprend à lire. Qu'apprend-on à La Sorbonne des Lettres ? On apprend à lire. Voilà l'essentiel de la culture littéraire » Alain, Propos. Mais tout n'est pas si simple lorsqu'il s'agit de célébrer la lecture. Dans un texte paru en 1903 dans une revue littéraire américaine, la romancière Edith Wharton 1862-1937 dénonce justement cette obligation sociale de la lecture qu'elle juge nuisible à la littérature et fatale à l'écrivain. Elle dénonce violemment ce qu'elle appelle le lecteur mécanique » qui se force à lire par volonté », et pour qui lire devient un réflexe. Il lit aussi inconsciemment qu'il respire et, du fait même, lire n'est pas plus une vertu que respirer. Plus on confère à l'acte du mérite, écrit-elle, plus il en devient stérile. » Ce lecteur mécanique a une haute idée de lui-même, il ne doute jamais de sa compétence intellectuelle et il devient une menace pour la littérature lorsqu'il se targue de vouloir discuter, condamner et surtout critiquer. Pour Edith Wharton, il n'y a pas photo entre le lecteur mécanique et le lecteur qui lit toujours consciencieusement, qui est l'esclave de son marque-page » et qui, s'il en perd l'emplacement, se retrouve obligé de recommencer au début, et ce qu'elle appelle le lecteur-né » qui pratique, lui, la littérature non pas comme une vertu mais bien comme un art. C'est un don qui comme tous les dons naturels a besoin d'être cultivé par la pratique et la discipline. Souhaitons que dans ce siècle obsédé par l'efficacité et la vitesse il reste de vrais lecteurs-nés », interprètes fidèles des textes au même titre que les musiciens sont les interprètes minutieux de leurs partitions. Littérature La Et tout le reste est littérature. Paul Verlaine. La littérature est-elle vraiment définissable ? Peut-on se contenter d'affirmer qu'il s'agit d'un ensemble de genres littéraires romans, pièces de théâtre, poèmes, etc. ? Se limite-t-elle au discours écrit, puisque, au sens étymologique du terme litterae , lettres », elle exclurait ce qui est oral ? Au xvm e siècle et au début du xix e , la cause semble entendue, et tous les genres d'écriture seront appelés littéraires. Lamartine écrit en 1856 dans Cours familier de littérature Le mot littérature dans sa signification la plus universelle comprend donc la religion, la morale, la philosophie, la législation, la politique, l'histoire, la science, l'éloquence, la poésie, c'est-à-dire tout ce qui sanctifie, tout ce qui civilise, tout ce qui enseigne, tout ce qui gouverne, tout ce qui perpétue, tout ce qui charme le genre humain. » N'en déplaise à notre cher Alphonse, non seulement tout ce qui s'écrit n'est pas littérature, mais surtout il omet de signifier qu'il ne peut y avoir de littérature sans la langue. La littérature est-elle toujours la vitrine de la vertu littéraire d'une langue que d'aucuns n'hésitent pas à nommer très sérieusement la littérarité » ? Un mot impressionnant qui, si j'ai bien compris, fait référence au matériel langagier » de la littérature. Pour moi la réponse est non, car je ne suis pas certain que les romans policiers, d'aventures, de science-fiction et d'espionnage puissent être qualifiés comme des oeuvres littéraires, mais peu importe. Quand on aime une langue, on va la débusquer là où elle nous chatouille, qu'elle soit tapie ou non dans les tréfonds d'une oeuvre dite littéraire ». Littré, Émile 1801-1881 Je débutais par la préposition a » qui est le mot le plus difficile, je crois, de tout le dictionnaire. Émile Littré n'est pas seulement l'homme du fameux Dictionnaire de la langue française, il était aussi et avant tout philosophe, médecin et homme politique. Il fonda un journal médical, L'Expérience, tout en entreprenant une traduction des oeuvres d'Hippocrate en 1839. Disciple passionné d'Auguste Comte, il s'affirma comme le chef du positivisme. Député de la Seine, il fut de toutes les luttes pour la liberté de pensée, et élu à l'Académie française en 1871 ; cet homme humble et généreux qui soignait gratuitement les pauvres et que Francis Ponge considérait comme un poète magnifique » était aussi passionné de littérature et de lexicographie. Il avait, comme il le dit dans la préface de son dictionnaire, un faible pour la langue de nos aïeux ». En 1841, l'éditeur Louis Hachette lui confie la rédaction d'un dictionnaire de la langue française, dont le dernier volume est imprimé en 1872. Dans l'intervalle, plus de 400 000 pages écrites, d'innombrables heures d'obstination, la succession de multiples collaborateurs - lexicographes, correcteurs, typographes, imprimeurs... Un travail titanesque, semé d'embûches, traversé de doutes, le témoignage d'un temps où un dictionnaire se rédigeait sur des petits bouts de papier qui, assemblés, ont fini par constituer l'immense oeuvre que l'on sait. Il y travaillait jusqu'à dix-huit heures par jour à Paris ou dans sa petite maison de Mesnil-le-Roi. Le plus souvent trois heures était le terme où je quittais plume et papier, et remettais tout en ordre non pas pour le lendemain, car le lendemain était déjà venu, mais pour la tâche suivante... » Dans une conférence restée célèbre, en mars 1880, Comment j'ai fait mon dictionnaire de la langue française », il raconte [...] Rien ne m'avait préparé particulièrement à une entreprise de ce genre... Rien ? Les travaux considérables que contient L'Histoire de la langue française ? Sans doute ; mais cela, qui me qualifia amplement lors des transformations de mon premier et vague projet, y est postérieur ; et je répète en toute vérité rien ne m'avait préparé à une entreprise de ce genre. J'avais dépassé quarante ans ; la médecine grecque m'occupait entièrement, sauf quelques excursions littéraires qu'accueillaient des journaux quotidiens et des revues. Je donnais chez Jean-Baptiste Marie Baillière une édition d' Hippocrate, texte grec avec la collation de tous les manuscrits que je pus me procurer, notes et commentaires ; édition dont le premier volume me valut le suffrage de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et dont le dixième et dernier ne parut qu'en l'année 1860. C'était bien assez de besogne. La conception du dictionnaire fut due, en de telles circonstances, à une occasion fortuite et n'eut d'abord qu'un petit commencement et un caractère fragmentaire. Elle ne parvint que par des élaborations successives à se former en un plan général et en un ensemble où toutes les parties concouraient. Mes lectures, toujours très diverses, avaient amené sous mes yeux des recherches étymologiques. À la suite, je me plus à partager quelques mots français en préfixes, suffixes et radicaux. Cela me parut curieux ; et incontinent, sans prendre le temps ni la peine de pousser plus loin l'expérience, j'imaginai qu'il y avait là matière à un dictionnaire étymologique de la langue, refaisant, à la lumière des méthodes modernes, ce que Ménage avait fait deux cents ans auparavant, non sans mérite. Au reste, ces préliminaires, qui d'abord absorbaient toute mon attention et qui plus tard se réduisirent d'eux-mêmes à leur proportion véritable, ne furent pas complètement perdus ; et, dans l'œuvre définitive, à leur rang alphabétique, j'ai donné une certaine place aux préfixes et aux suffixes, en en expliquant l'origine et la signification ; innovation non inutile, car les préfixes et les suffixes sont des éléments français dont la connaissance importe à l'analyse des mots. Je proposai mon projet à M. Hachette, le grand libraire, à qui me liait une vieille amitié de collège. Il l'accepta. Le titre de l'ouvrage devait être Nouveau Dictionnaire étymologique de la langue française. Un traité fut conclu. Il m'avança quatre mille francs. Cela se passait en 1841. [...] Les Éditions du Sonneur, 2012. Dans un entretien avec Philippe Sollers en 1970, Francis Ponge explique bien pourquoi l'œuvre de Littré est un des éléments fondateurs de l'histoire et du patrimoine de notre langue J'ai trouvé dans son dictionnaire un autre monde, celui des vocables, des mots, un monde aussi réel pour moi, aussi faisant partie du monde extérieur, du monde sensible, aussi physique pour moi que la nature, la physis elle-même. » Quant à Alain Rey, il résume dans son Dictionnaire amoureux des dictionnaires Plon, 2011 comment Émile Littré a consacré le meilleur de sa vie pour la langue Malgré la vérité de ses activités et de ses passions, celles qui ont mené Émile Littré à célébrer les mots français "en dictionnaire" l'ont emporté sur les autres. Toujours fasciné par cet objet textuel, il a fini par s'adonner à la lexicomanie si active à cette époque, où la passion pour un oracle de la langue fait s'affronter une cohorte de travailleurs acharnés, refusant de donner à la technique et à l'appât du gain la priorité sur la mission culturelle. En quoi Émile Littré, aussi peu éditeur que Pierre Larousse le fut, marque, plus qu'une supériorité intellectuelle, une domination morale. » Machins Il m'agace avec tous ses schtroumpfs » ! Peyo. En 1964, Serge Gainsbourg avait machiné » plusieurs fois dans une chanson peu connue Machins choses, dont voici le premier couplet Avec Machine Moi Machin On s'ditdes choses Des machins Oh pas grand'chose Des trucs comm'ça Tout un programme... Il est des mots qui peuvent prendre un très grand nombre de sens, et que j'aimerais nommer des mots-jokers » machin, truc, chose, bidule... Machin est sans doute le mot le plus précis de la langue française, écrit Jean- Michel Ribes. Quand on me dit "Machin a téléphoné", je sais immédiatement de qui il s'agit, alors que je ne sais pas tout de suite qui est ce François dont on m'affirme que j'ai rendez-vous avec lui dans une heure. Quant à "Machin-chose", là c'est l'évidence ! "Tu sais, c'est machin-chose qu'on avait rencontré en Bretagne avec sa femme Laurence qui était allergique aux poulpes." » Dans Les mots que j'aime, il s'est amusé à inventer divers néologismes, parmi lesquels un verbe passe-partout, crumanter, qui signifierait Passer un examen, un concours. Par extension sauter un obstacle, demander une augmentation, avoir une maîtresse ou un amant, envahir un pays, calmer une douleur dentaire, abandonner son chien sur l'autoroute, suivre un inconnu, marcher à cloche-pied, salir sa chemise en mangeant, demander l'aumône, servir de témoin, choisir un bouc émissaire, s'entendre dire ses quatre vérités, annuler un rendez-vous à la dernière minute, être excommunié, s'en offrir une bonne tranche, accumuler les soucis, revenir en arrière et pêcher à l'asticot. » Et il poursuivait avec un assortiment de néologismes, pour ceux qui en ont assez d'appeler une table une table, un rhinocéros un rhinocéros ou une complication intestinale une complication intestinale », parmi lesquels Boumol n. f. Girafe naine ; Milantir v. Nettoyer un pneu ; Reschlicher v. Schlicher à nouveau ; Sassal n. f. Fruit du sassoule. Dans le même ordre d'idée, impossible de ne pas évoquer Les Schtroumpfs qui sont devenus les célèbres maîtres de l'illusion pour remplacer un mot par un autre Demain vous schtroumpferez aux urnes pour schtroumpfer celui qui sera votre schtroumpf ! Et à qui allez-vous schtroumpfer votre voix ? À un quelconque schtroumpf qui ne schtroumpfe pas plus loin que le bout de son schtroumpf ? Non ! Il faut un schtroumpf fort sur qui vous puissiez schtroumpfer ! » Nous comprenons le sens du propos parce qu'il s'agit d'un discours politique et que nous connaissons l'expression ne pas voir plus loin que le bout de son nez. Le non-dit, ce qui est entre les lignes, l'intertextuel, nous permet de comprendre ce qui ne devrait pas l'être en toute rigueur linguistique. Tout est schtroumpf qui schtroumpfe bien... À la fin de l'album Schtroumpf vert et Vert schtroumpf, la vie reprend son cours. Simplement, le Grand Schtroumpf tente de réformer la langue schtroumpfe en interdisant notamment les mots composés à l'origine du différend qui a mis la communauté schtroumpfe en danger. Cela contraint les schtroumpfs à des acrobaties linguistiques qui laissent deviner que la tentative échouera certainement. Dis, Schtroumpf Bricoleur... tu veux bien me schtroumpfer ta... heu... ton... comment dirais-je ?... ta chose à truc qui sert à schtroumpfer des bidules ! — Ah ! Tu veux dire Mon machin chouette pour schtroumpfer des fourbis ?... » Pour le mot tire-bouchon, par exemple, faut-il dire le schtroumpf-bouchon ou le tire-bouschtroumpf ? Le Grand Schtroumpf règle le différend on dira simplement un schtroumpf, voire un schtroumpf-schtroumpf ! Voilà qui a le mérite d'être clair... Mallarmé, Stéphane 1842-1898 Mallarmé. Intraduisible. Même en français. Jules Renard. Divagations. En attribuant ce titre à l'un de ses recueils, Mallarmé donnait des verges pour se faire fouetter, mais avec une certaine ironie. Ainsi, Proust écrira Son oeuvre gardera impitoyablement la trace de son désir de plaire ou de déplaire à la foule, désirs également médiocres, qui raviront, hélas, des lecteurs de second ordre » Contre l'obscurité », La Revue blanche, 1896. Gustave Lanson, lui, le qualifiait d' artiste incomplet ». Et Zola, en 1878 Folie de la forme [...] poussée jusqu'à ce point où une cervelle se fêle. » Enfin, Claudel Après Hérodiade il faut bien convenir qu'il n'y a plus que des bibelots poussiéreux. » Claudel pensait certainement au fameux vers Aboli bibelot d'inanité sonore. » Autrement dit, il condamnait tout ce que Mallarmé avait écrit pendant plus de trente ans ! Hérodiade date de 1866, et le poète meurt en 1898. Dans Le Mystère, dans les lettres » [La Revue blanche, 1896, Mallarmé légitime cette obscurité » Tout écrit, extérieurement à son trésor, doit, par égard envers ceux dont il emprunte, après tout, pour un objet autre, le langage, présenter, avec les mots, un sens même indifférent on gagne de détourner l'oisif, charmé que rien ne l'y concerne, à première vue. » C'est aussi la belle observation de Léon Daudet dans Le Stupide xix e siècle L'enveloppement d'un style obscur, voire ténébreux et compliqué, n'est excusable que si, au centre de la papillote, vous trouvez quelque chose à manger. Qui donc reprocherait ses ellipses au rarissime et subtil Mallarmé, non plus que ses charmantes énigmes de couleur ? Il est bien permis de jouer avec la sonorité des mots, avec leur double et triple sens ; il n'est pas toujours exact que ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement. » Pour en juger je vous livre ici les premières strophes d'un poème caractéristique de cet hermétisme » [ Salut »] Rien, cette écume, vierge vers À ne désigner que la coupe; Telle loin se noie une troupe De sirènes mainte à l'envers. Nous naviguons, ô mes divers Amis, moi déjà sur la poupe Vous l'avant fastueux qui coupe Le flot de foudres et d'hivers ; Une ivresse belle m'engage Sans craindre même son tangage De porter debout ce salut Solitude, récif, étoile À n'importe ce qui valut Le blanc souci de notre toile. Ai-je besoin de confirmer que j'aime ces vers souvent énigmatiques ? Pourquoi nos énoncés devraient-ils être toujours clairs et directs » ? Et souvent agressifs Appelle-moi », On s'voit quand ? »... Stéphane Mallarmé a plus d'admirateurs que de détracteurs, et, pour certains, ses poèmes n'ont rien d'obscur. Ainsi, Pascal Durand, professeur à l'université de Liège, auteur d'un ouvrage sur les poésies de Mallarmé avec l'incipit des Poésies [Rien, vierge vers, à ne désigner que la coupe, l'annonce est faite à la poésie qu'elle n'a plus d'autre objet qu'elle-même comme être de langage ». Ce poème fut prononcé par Mallarmé à l'occasion d'un banquet poétique. La coupe, ici, désigne à la fois le verre du toast et la césure du vers. Enfin, son écriture si particulière a donné lieu en 1915 à un amusant pastiche de Paul Reboux et Charles Muller, dans À la manière de, suivi d'une traduction ». Quand le vaticinant erratique, au larynx dédaléen, Quand le poète prophète, qui ne sait où il va divague en sa manie tant dédiée et avant tout radiée de l'absent pour animer la syrinx de l'insaisissable, Ô n'être qu'un sphinx au mystère aboli, par qui l'âme est congédiée du clair-obscur ! Ô chevaucher, le lynx aveugle, et de ses yeux exorbités, vers la victoire irradiée ! et dont la parole égaré, divague en sa folie si coutumière et qui, avant d'exister, se retranche même de ce qui n'existe pas, lorsqu'il va souffler dans une flûte sans son, Il rêve de n'être qu'un sphinx dont l'énigme n'ait pas de sens, et de supprimer de l'âme tout ce qui n'est pas complètement obscur ! Il rêve, chevauchant un lynx aveugle aux yeux arrachés, d'aller vers la gloire rayonnante ! Pourtant Mallarmé n'est pas qu'un auteur austère. Toute une part de son oeuvre se montre pleine d'humour, loin de l' obscurité » que d'aucuns lui reprochent. Il suffit de relire quelques-uns de ses Vers de circonstance NRF, 1920, les plus célèbres sont Les Loisirs de la Poste », où il joue avec les rimes. À Paris, Place Clichy, seize. Monsieur le Comte de Villiers De l'Isle-Adam ; qu'on serait aise De voir parmi ses familiers. Apte à ne point te cabrer, hue ! Poste et j'ajouterai dia ! Si tu ne fuis 11 bis, rue Balzac chez cet Heredia. Je te lance mon pied vers l'aine Facteur, si tu ne vas où c'est Que rêve mon ami Verlaine Ru' Didot, Hôpital Broussais. Monsieur Monet, que l'hiver ni L'été sa vision ne leurre Habite, en peignant, à Giverny Sis auprès de Vernon, dans l'Eure. Marché linguistique Le C ; est ainsi que Pierre Bourdieu désigne magnifiquement certaines situations linguistiques qui fonctionnent comme un marché sur lequel celui qui parle place ses produits ». Pour Bourdieu, apprendre un langage c'est apprendre en même temps que ce langage sera payant dans telle ou telle situation ». C'est ici que l'on se rend compte à quel point la linguistique et la sociologie ne cessent de se croiser, en particulier dans le monde médiatico-politique. Rien n'est plus amusant quand on aime la langue et ses pirouettes d'analyser les tournures et le vocabulaire si caractéristique du style utilisé dans les médias. D'autres l'ont fait beaucoup mieux avant moi, et je pense au livre drôlissime publié en 1997 chez Plon, Le Journalisme sans peine, où les talentueux duettistes Burnier et Rambaud ont consigné toutes les expressions, jeux de mots, métaphores, hyperboles, litotes, épitropes, allégories, pléonasmes, zeugmes, et autres antanaclases écrits ou prononcés par les journalistes de quotidiens, d'hebdomadaires, de mensuels, de radio ou de télévision ». Dans leur livre, ils insistent sur ce qu'ils appellent le tripoté de périphrase », en rappelant que c'est un exercice aussi ancien que le journalisme En 1903, Marcel Schwob rédigeait à ce propos une série d'articles dans Le Mercure de France. Lui qui s'agaçait que l'on écrive un fusil pour un chasseur , et il pratique des amours ancillaires pour il couche avec sa bonne, avait noté avec joie ce chef-d'œuvre de François Coppée, de l'Académie française, lequel avait un tendre sentiment » pour une jeune soliste Mademoiselle Acacias est une étoile en herbe qui chante de main de maître. » Cette tradition n'a jamais cessé. Elle s'est enrichie de périphrases par dizaines. Ne préférons-nous pas parler du billet vert plutôt que du dollar ? Du métal précieux plutôt que de l'or ? De Yîle de Beauté plutôt que de la Corse ? Exemple Français Le Tour de France démarre en Belgique, je l'ai vu à la télé. Périphrasons J'étais dans la Ville Rose, devant le petit écran, pour voir la Grande Boucle démarrer au pays de Simenon. Mais Burnier et Rambaud ne se contentent pas de citer, ils vont plus loin pour caricaturer la langue des médias en faisant remarquer au passage que ni Flaubert, ni Maupassant, Hugo, Kessel ou Albert Londres n'utilisent de telles locutions, car ce sont des écrivains », alors que le journalisme » doit impérativement se distinguer de la littérature, constatent-ils avec une certaine mauvaise foi. Pas si sûr, car, à lire la sémiologue avertie qu'est Mariette Darrigrand [Comment les médias nous parlent mal, François Bourin, 2014, le langage médiatique nous donne en permanence une idée fausse du monde. Pour elle, la répétition de certains mots négatifs structure profondément notre représentation au-delà des effets de mode Le mot fragile est partout. Tout est fragile ou fragilisé et tout est violent , ce qui alimente le pessimisme ambiant. » Du fait même, on a en plus le sentiment d'un appauvrissement permanent du langage. De tous les effets stylistiques évoqués par nos duettistes sus-cités, la métaphore arrive en tête. Jacques Cellard, comme Pierre Bourdieu, constata que le langage médiatico-politique empruntait de bric et de broc ses formules aux domaines privilégiés de la société marchande », le sport par exemple Untel est en pôle position pour la course aux présidentielles » et le gouvernement quant à lui devra mettre un turbo dans son moteur, surveiller les clignotants de l'économie et refuser la société à deux vitesses ». Et Cellard de citer aussi l'athlétisme second souffle », marathon budgétaire » et la médecine qui apporte des diagnostics comme le cancer social » chômage et le syndrome sécuritaire ». En ce qui me concerne, j'aurais tendance à défendre quelques amis journalistes qui ont tendance à ériger la métaphore en dogme, car en fin de compte c'est un exercice de style assez difficile. Voilà pourquoi j'ai voulu leur rendre hommage avec la complicité de Jean de La Fontaine La cigale et la fourmi De source généralement bien informée, nous apprenons qu'un insecte de type cigale aurait, sous réserve, été fortement fragilisé par les rigueurs conjuguées de la baisse du mercure et la chute du thermomètre qui ont, comme chacun sait, franchi ces jours derniers la ligne jaune de l'inacceptable. Il semblerait que ledit homoptère, que l'on pourrait taxer d'une certaine insouciance, voire d'une insouciance certaine, n'aurait pas su gérer, au grand dam de ses congénères qui vivent également en milieu arboré, le stockage d'un précieux viatique qui lui aurait permis de faire face à l'offensive inopinée du général Hiver. Fragilisée, je cite, par une légèreté atavique qui serait, selon certains, son talon d'Achille, et par une propension à chanter pendant la trêve estivale, c'était donc, pour la cigale, la rentrée de tous les dangers. Clouée au pilori et peu encline à passer sous les fourches caudines de certains cassandres qui la voyaient déjà sacrifiée sur l'autel de son incroyable insouciance, elle se risqua à solliciter dame fourmi sa voisine dont la réputation de sérieux n'est plus à faire. On se souvient en effet à quel point ce noyau dur de la courageuse famille des hyménoptères a toujours su se tailler la part du lion après avoir mangé tant de vaches maigres. Donc un parcours sans faute malgré les zones de fluctuations et autres turbulences. C'est ainsi qu'on ne s'étonnera pas d'apprendre que la fourmi, non contente de sortir immédiatement le carton rouge et de renvoyer la cigale dans ses buts, s'empressa de fustiger les thuriféraires d'une politique économique cigalienne rétrograde et dépassée. Devant cette partie de bras de fer et ce tir de barrage, la cigale, refusant de baisser la garde, proposa en désespoir de cause de revoir ses prétentions à la baisse pour donner encore un peu de grain à moudre à un débat qui risquait de tourner court. Elle prétendit même être victime d'un lynchage médiatico- judiciaire. Réponse sans appel de la représentante hyménoptérienne bien décidée à porter l'estocade Vous qui avez si bien pratiqué l'art du bel canto, pourquoi ne pas tenter un nouveau challenge en vous essayant à la chorégraphie sous les ors lambrissés du palais Garnier ? » Y a-t-il une grande différence entre le langage médiatique et celui pratiqué par le monde politique ? Oui et non, car, certes, les figures de style utilisées sont souvent les mêmes, euphémismes, métaphores, périphrases et clichés, entre autres, mais la grande différence c'est la technique du camouflage qui s'impose comme un langage destiné à enfumer. La dissimulation est le maître mot avec un seul principe Comment faire du faux avec du vrai ? » Pascale Wattiez et Olivier Picard ont analysé avec humour ce phénomène dans Parlez-vous le politique ? Chiflet & Cie, 2011, citant d'abord l'un d'entre eux dont ils taisent pudiquement le nom En ces temps de complexité et de difficultés, le président de la République parle clair et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auteur et le citoyen. » Vous n'y comprenez rien ? Vous décrochez quand Nicolas Sarkozy explique que le trottoir de la distanciation est encombré » ? Vous perdez le nord quand Martine Aubry vous confie gravement je suis ce que je suis au moment où je suis » ? Vous pataugez quand Cécile Duflot vous assure que la candidate verte devra faire vivre une incarnation individuelle et écologiste » ? C'est normal, les hommes et les femmes politiques ne parlent pas comme nous. Le politique, c'est une autre langue, réservée aux milieux autorisés. Vocabulaire, tournures, effets de manches, envolées lyriques, petites phrases, tout est trafiqué ! Sur la scène électorale, on n'a pourtant jamais autant célébré la vérité ». Méfiez-vous c'est le parler-faux, concocté en sous-sol par les communicants, qui règne en maître. Les mots et les formules servent aussi à tuer et à régler des comptes dans un univers où il n'y a que de faux amis, même de trente ans. En fait, toutes ces circonvolutions médiatiques rappellent ce qu'on nomme plus prosaïquement la langue de bois, laquelle, d'après Jacques Cellard, est difficile à définir autrement qu'en termes qui eux-mêmes deviennent aussitôt une autre langue de bois. Il semblerait qu'elle ne date pas d'ailleurs d'hier, mais plutôt d'avant-hier puisqu'elle était déjà en vogue sous la Révolution où les bras étaient laborieux comme le seront plus tard les masses, la féodalité scélérate, et le despotisme une infamie. » Je rendais hommage plus haut aux journalistes dans l'exercice de style difficile qui consiste à pratiquer le langage médiatique [cf. La cigale et la fourmi et je ne résiste pas maintenant à m'essayer à la langue de bois pour vérifier que si, d'aventure, j'étais un élu de la République, je saurais vraiment moi aussi parler pour ne rien dire Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Je tenais à prendre la parole aujourd'hui devant vous, pour dire ceci, qui me paraît en effet tout à fait approprié à la situation qui nous concerne tous. Étant donné que, dans un premier temps, la privatisation assume la prise de conscience basique du zapping culturel, il est un fait que, dans un deuxième temps, la normalisation virtualise le profil lobbyiste du tissu social. Or, dans la mesure où, à la rigueur, la désinformation tétanise la mutation postmoderne de la majorité silencieuse, il convient bien évidemment de prendre en considération le paramètre suivant, puisque le rôle des médias somatise l'arbitraire commensurable d'une génération phasée et que, par ailleurs, le droit-de- l'hommisme fidélise le lapsus holistique du cocooning sauvage. Il va de soi, dans ces conditions, que la féminitude interpelle le charisme déjà obsolète d'un non-dit potentiel, et cela, en temps réel ! J'insiste sur ce point. Ainsi, nous ne pouvons ignorer que, virtuellement, la sémantique motive le contre-pied adrénalitique des idéologies dominantes, car, comme vous le savez, à l'heure actuelle, le new-agisme sous-tend le processus contradictoire de certains noyaux durs. Vive la République ! Vive la France ! Et si vous voulez bien continuer avec moi à flâner à travers les produits » offerts par le marché linguistique, je vous incite à tâter un peu du langage des publicitaires, des intellectuels et du monde de l'art. La publicité, d'abord, est, reconnaissons-le, un univers où les slogans sont parfois innovants sur le plan sémantique. On se souvient de Dubonnet, du Boursin et du Clic-clac merci Kodak ». Mais à quoi ça sert que les publicitaires y se décarcassent » si c'est pour torturer par ailleurs notre langue pour aboutir à un bougli-bougla de franglais lorsqu'ils communiquent », c'est le mot, entre eux. J'ai fréquenté à une époque ce milieu de média-planneurs », et autres art- directors », et j'ai essayé de reconstituer de mémoire l'ambiance de ces board- meetings » Ce n'était pas triste, on a eu un brief client avec un copy-strategy à l'appui mettant en évidence l'aujourd'huité du produit, à partir de quoi le chef de campagne nous a convoqués à un board-meeting pour un brief soulignant la reason why et la supporting evidence. C'est là que créatifs, commerciaux et médias ont commencé à se stormer le brain en vue du brief-création. On était plutôt charrette car le client, après une corporate assez médiocre conçue par un concurrent quelques semaines auparavant, voulait sa campagne produit dans les quarante jours. Un teaser de préférence, et une double stratégie de communication globale positionnement, above the line et below the line. Chacun se mit donc au travail. L'art director imaginait déjà le code visuel qui assurerait la cohérence de la campagne et avait une idée bien précise du graphisme du logo et de l'emplacement du pack-shot. Pour concrétiser, il fit appel à l'acheteuse d'art et au roughman. Dans la pub, mon vieux, notre grand plus, c'est notre travail en team. En ce qui concerne l'accroche, le body-copy et le base-line, le copy-writer exigeait qu'on redéfinisse le cœur de cible et son taux d'implantation, afin de coller au plus près au concept. Pour l'instant, il percevait Cachaleau » comme un too product, et la promesse lui semblait overclaiming. Moins scrupuleux, les commerciaux mettaient au point un planning stratégique tous azimuts affichage, spots radio, TV et ciné, parution presse écrite. Et également hors média marketing direct mailing, bus mailing et phoning, promotion, PLV, sponsoring... avec, pour chaque cas, étude du GRP Gross Rating Point. Mais ils hésitaient encore, pour l'achat d'espaces, à traiter avec une centrale, un réseau ou directement avec les supports et leur régie, intégrée ou non. Bien évidemment, les médias-planners se chargèrent du média-planning. Pour les différents supports presse écrite, ils envisageaient des pleines pages quadri exclusivement, et, le cas échéant, de rédactionnels, des publireportages, des couponings, des encarts brochés ou jetés et, éventuellement, des floatings, à condition de bien les négocier. Toujours à l'époque » c'est le privilège de l'âge, j'avais imaginé un dialogue entre deux intellectuels, en glanant des morceaux choisis de critiques littéraires, et puisqu'il fallait, pour que l'exercice soit vraisemblable, leur donner une ressemblance proche de la réalité, je me figurais que l'un avait une chemise blanche largement ouverte sur un torse bronzé et que l'autre tirait sur un fume-cigarette... — Mais je te dis que c'est un acteur qui réinvestit nos territoires en herbe grâce à un style revisité par une douceur archaïque et charnelle venue du fond des âges et accomplit, ce faisant, une plongée dans notre silo à fantasmes. C'est un solide mystique chez qui il y a une bonne dose de paganisme soldatesque et il signe un texte frémissant comme la tunique du Christ, roucoulant comme la pierre du narthex, léger comme un vol de freux dans la plaine du Morvan. — Moi, je dirais plutôt que c'est une véritable leçon de ténèbres, où, engloutis dans un maelstrôm de peur, les personnages échappent aux conventions d'un genre trop souvent manichéen. Mais de ces noces sanglantes sorties de la palette d'un Bruegel surgit, c'est vrai, un récit pris dans une spirale incandescente et disloqué dans la lumière d'un André Delvaux, d'où émergent des visions aussi déformées que les toiles de Francis Bacon. Ça n'est pas sans rappeler le récit de Théramène, la déréliction de Faulkner, et ça vous exhale un parfum de poivre, l'histoire contenant le cosmos dans sa marge et entre ses lignes. Il y a là des accents murdochiens propres à susciter des réminiscences d'une adolescence douloureuse qui ne parviendrait pas à accomplirsa mue. — Ah ! Qu'il est cosmique, torrentiel, luxuriant, le roman de ce chantre labyrinthique et forestier qui s'exprime dans une langue d'une frénésie rythmée, évoquant avec un bonheur contagieux les tam-tams d'une Afrique enfin libérée de ses archaïsmes rétrogrades. Des critiques littéraires aux critiques qui font semblant de ne pas se voir en peinture [sic il n'y a qu'un pas que nous franchissons allègrement en nous glissant discrètement, un soir de vernissage, dans une galerie germanopratine — Cette construction-panique est sans conteste signe d'un échec et manifestation violente contre une démarche conceptuelle qui évacue l'intervention manuelle ! — Il y a là quelque chose de kafkaïen dans la métaphore de la pulsion du désir... — Pour moi, c'est plus proche de Beuys... — Vous plaisantez ! L'objet-tableau me semble ici dénoncer l'objet-peinture ! On ressent comme un détachement vis-à-vis de l'ego qui passerait dans le geste de l'artiste... — Chez Spoerri, le moindre détritus transcende son état de déchet. — Pfff ! C'est une culture du simili, mon cher ! Comme une pratique de la radicalité de type dadaïste ou situationniste. — Incroyable de constater que le vulgaire s'érige ici en produit culturel. Pour moi, c'est le règne des nouveaux ploutocrates. — Ah ! L'idée des équivalents plastiques formulée par Maurice Denis. Avec lui, la représentation devenait non plus une transcription du réel, mais une équivalence d'affects, dût-elle se trouver éloignée des conventions illusionnistes. — Mais regardez donc ! La force d'inertie perturbée... La suggestion d'un mouvement possible... Et ce sentiment du danger lié à l'urgence de la création. — Aucun doute, voici un adepte du conceptuel des sixties, mais il semble à la fois trop raffiné et trop subtil pour coller à la version hard du concept. — Pour moi, ce serait plutôt du minimal art tempéré... — Vous voulez rire ! C'est là une véritable démarche de l'abstraction en soi qui prend cependant une réelle liberté vis-à-vis d'une certaine abstraction académique récupérée par les petits-bourgeois de Neuilly. On pourrait donc parler d'inc-art-cération. En quittant ce marché linguistique riche en formules chic et choc, de type prêt-à- porter, difficile de ne pas évoquer non plus le vocabulaire du monde des affaires dont la caractéristique est aussi de camoufler un discours vide avec des phrases vides de sens, dans la mesure où elles peuvent s'appliquer à n'importe quel contexte. Une façon comme une autre, encore une fois, de saupoudrer un discours superficiel d'une couche de modernité. En avril 2013, un journaliste de Rue89 qui comparait le discours prôné dans certaines écoles de commerce au novlangue » de George Orwell avec ses notions toutes faites qui aboutissent à l'appauvrissement de la pensée avait lui aussi imaginé » l'étonnement d'un étudiant assistant pour la première fois à un cours d'HEC Tandis que des concepts et des mots étrangers valsent rapidement sur un PowerPoint squelettique, vaguement assorti de schémas aussi complexes qu'inutiles, il craint de ne pas tout comprendre. Mais la voix rassurante de son professeur résonne aussitôt "Vous avez tous un login ? Je vous forwarde les slides à la fin de l'heure." On croirait à une blague si l'emphase et le sérieux n'accompagnaient pas doctoralement ces mots. Dire qu'une entreprise se rationalise "over-time", est-ce plus convaincant ou plus consistant qu'une entreprise qui se rationaliserait au cours du temps ? Vaut-il mieux "targeter" que cibler ? Pourquoi faut-il "implementer" une stratégie, plutôt que de la mettre en oeuvre ? Est-ce plus efficace d'"incentiver" des employés que de les stimuler ou de les motiver ? L'externalisation s'avère-t-elle plus coûteuse que l'"outsourcing" ? La "willingness to pay" du consommateur a-t-elle plus à nous dire que sa propension à dépenser ? » Ces signifiants sont-ils plus simples, plus courts, plus percutants ? À vous de juger. Masculin et féminin Le mensonge est du masculin, la vérité du féminin. Faut-il en tirer une conclusion ? Robert Sabatier. Comme la trace de dominations anciennes, le masculin, dans notre langue, semble bien souvent remporter sur le féminin. On dit C'est une professeur de français... Le ministre de la Justice, Mme Unetelle. Pourtant, voici que l'on peut lire sur le site de l'Académie française En 1984, le Premier ministre crée une "commission de terminologie" relative au vocabulaire concernant les activités des femmes. » Le décret indique notamment que la féminisation des noms de professions et de titres vise à combler certaines lacunes de l'usage de la langue française dans ce domaine et à apporter une légitimation des fonctions sociales et des professions exercées par les femmes ». Une circulaire du Premier ministre recommanda, en 1986, de procéder à la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres dans les textes officiels et dans l'Administration. Elle ne fut guère appliquée. Puis, en 1997, certains ministres du gouvernement préconisèrent pour leur compte la forme féminisée la ministre », ce qui provoqua une nouvelle réaction des académiciens. Dans une circulaire du 6 mars 1998, le Premier ministre constata le peu d'effet du texte de 1986, mais recommanda de nouveau la féminisation dès lors qu'il s'agit de termes dont le féminin est par ailleurs d'usage courant ». Il chargea la commission générale de terminologie et de néologie de faire le point sur la question ». Il semble que l'on n'ait pas beaucoup avancé depuis... Cependant, il y aurait une sorte d'égalité entre les mots, quand ils existent et au masculin et au féminin, avec un sens différent selon leur genre. Aria tracas ; mélodie Aune arbre ; mesure Barbe cheval ; poils des joues Barde poète celtique ; tranche de lard Berce petit oiseau des bois ; plante ombellifère B
Cettecollecte constitue un geste écologique et solidaire qui vise à lutter contre l'exclusion, favoriser la création d'emplois et lutter contre le gaspillage. Les lieux de collecte - Parking gymnase Berthaudière – avenue Edouard Herriot - Parking Alexandra – rue de la République - Parking Raymond Troussier – avenue Jean Macé
3 rue Jean Macé, 86000 Poitiers Appartement Prix m2 moyen 4 198 € de 2 621 € à 5 527 € Indice de confiance Maison Prix m2 moyen 3 273 € de 2 054 € à 4 329 € Indice de confiance 3 rue Jean Macé, 86000 Poitiers Remarque les prix indiqués ci-dessous sont ceux de la ville de Poitiers Appartement Loyer mensuel/m2 moyen 16,1 € de 10,9 € à 26,8 € Indice de confiance Maison Loyer mensuel/m2 moyen 15,8 € de 11,4 € à 21,7 € Indice de confiance Le 3 rue Jean Macé est rattaché à une parcelle de 36 m². Section cadastrale N° de parcelle Superficie 000BW01 0223 36 m² À proximité Rue des Carmélites, 86000 Poitiers Rue de la Bretonnerie, 86000 Poitiers Rue des Trois Rois, 86000 Poitiers Rue du Gal. Sarrail, 86000 Poitiers Rue du Mouton, 86000 Poitiers Rue Grignon de Montfort, 86000 Poitiers Rue Jean Bouchet, 86000 Poitiers Pl. Montierneuf, 86000 Poitiers Pl. Prosper Merimee, 86000 Poitiers Impasse Poizet, 86000 Poitiers Consulter le prix de vente, les photos et les caractéristiques des biens vendus à proximité du 3 rue Jean Macé, 86000 Poitiers depuis 2 ans Obtenir les prix de vente En août 2022 à Poitiers, le nombre d'acheteurs est supérieur de 7% au nombre de biens à vendre. Le marché est dynamique. Conséquences dans les prochains mois *L'indicateur de Tension Immobilière ITI mesure le rapport entre le nombre d'acheteurs et de biens à vendre. L’influence de l’ITI sur les prix peut être modérée ou accentuée par l’évolution des taux d’emprunt immobilier. Quand les taux sont très bas, les prix peuvent monter malgré un ITI faible. Quand les taux sont très élevés, les prix peuvent baisser malgré un ITI élevé. 62m2 Pouvoir d’achat immobilier d’un ménage moyen résident 49j Délai de vente moyen en nombre de jours Le prix du m2 au N°3 est globalement équivalent que le prix des autres addresses Rue Jean Macé +0,0 %, où il est en moyenne de 4 056 €. Tout comme par rapport au prix / m² moyen à Poitiers 3 237 €, il est nettement plus cher +25,3 %. Le prix du m2 au 3 rue Jean Macé est plus cher que le prix des autres addresses à Poitiers +11,0 %, où il est en moyenne de 2 948 €. Lieu Prix m² moyen 0,0 % moins cher que la rue Rue Jean Macé 4 056 € / m² 25,3 % plus cher que le quartier Centre Ville 3 237 € / m² 25,3 % plus cher que Poitiers 3 237 € / m² Cette carte ne peut pas s’afficher sur votre navigateur ! Pour voir cette carte, n’hésitez pas à télécharger un navigateur plus récent. Chrome et Firefox vous garantiront une expérience optimale sur notre site.

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C’est une histoire qui allie à la fois grand défi technologique et abnégation d’un fan pour ses artistes préférés. Le tenancier du blog Daftworld, autoproclamé “plus grand fan des Daft Punk” vient encore une fois de prouver sa détermination à le rester. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie du coffret Deluxe de Random Access Memories. Un fan très bien informé “Mon idée remonte un peu avant la sortie de l’album des Dafts. Étant leur premier fan, j’ai eu accès à des informations avant tout le monde. Lorsque j’ai vu les photos de presse et le design de l’album, c’était pour moi comme une évidence. C’est là que j’ai décidé de faire cette greffe. J’aurais voulu être prêt pour le lancement mais malheureusement plusieurs soucis techniques m’en ont empêché” nous raconte Abdelkader à travers son casque. Parmi eux, la volonté de se faire greffer les deux casques comme sur la pochette de l’album “Il m’était impossible de choisir entre celui de Guy Man’ et celui de Thomas. Cela aurait sonné comme une trahison. Comme si on vous demandait si vous aimez plus votre père ou votre mère. Du coup, cela a pris plus de temps mais on a réussi à unifier les deux casques en un et ça me va très bien”. Un acte chirurgical réalisé par un ténor C’est le chirurgien plasticien polonais Florian Keynstein, déjà responsable de la transformation de Valeria Lukyanova en poupée Barbie et Jocelyn Wildenstein en chat, qui a réalisé cet exploit technique. L’opération qui a duré plus de 10h, s’est déroulé sans accroc et malgré son poids de dix kilos, le casque se porte bien et Abdelkader se sent parfaitement à l’aise. Abdelkader est un fan absolu. Il se réveille Daft Punk, il mange Daft Punk, il vit Daft Punk et son site est le reflet de son obsession “J’ai tout ce qui peut se référer à eux. J’ai tous les produits dérivés, toutes les figurines, les tickets de concert… Mon dernier hommage est le tatouage que je me suis fait sur l’épaule gauche. J’ai également fait un tutorial disponible sur YouTube pour fabriquer un casque soi-même. Rien à voir avec le mien bien entendu. Le mien est unique et le restera”. Et la musique dans tout ça ? “Je n’écoute pas leur musique. J’ai décroché après l’album – Homework – comme tous les vrais fans. J’ai un amour inconsidéré pour le concept Daft Punk, mais je n’aime pas leur musique. Alors oui, j’ai les albums en digital, en CD, j’ai des cassettes également mais je ne les écoute jamais. Pareil pour les concerts, j’ai tous les billets de toutes leurs prestations mais je n’y assiste pas. Pour moi, les meilleurs producteurs, les génies de la musique électronique ce sont Gesaffelstein, Kavinsky, Justice, David Guetta et Aphex Twin. Daft Punk ne leur arrive pas à la cheville” nous confie Abdelkader. “Ma prochaine envie est de me faire greffer la veste à paillettes que l’on voit dans le clip – Lose Yourself To Dance – ce qui sera une autre paire de manches parce que je n’ai pas le budget. Je trouverai une solution car la concurrence est rude pour garder ma place de plus grand fan. J’étais au coude à coude avec un américain et même si là je l’ai coiffé au poteau, il faut que je continue” nous explique t-il. Le service marketing de chez Columbia, qui a vu là une opportunité d’investir sur le long terme dans la communication du groupe et le placement de produit, a en partie pris en charge la greffe du casque. “Pour la veste, nous pensons qu’il va trop loin. Nous voulons d’abord capitaliser sur cette opération, il y a beaucoup de choses à faire“ nous confie le responsable marketing de chez Columbia. Quand le marketing rencontre la folie des fans, toutes les excentricités sont permises. Dans la course au “music business”, il semblerait que le point de non-retour ait été franchi. Ce qui assure toutefois une sécurité supplémentaire à Abdelkader qui semble filer bien droit dans le mur. Découvrezgrâce à LaCoteImmo le prix au m2 de l'immobilier à la vente dans la rue Rue Jean Macé (Poitiers). Prix m2 moyen: 2108.00€ /m2; Prix m2 maison: 1812.00€ /m2; Prix m2 appartement: 2475.00€ /m2;
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BagotPierre - 34 rue Denver (0.09 kilomètre) Tanguy Hervé - 35 rue Voltaire (0.1 kilomètre) Piot Guillaume - 8 rue Guy Ropartz (0.06 kilomètre) Marzin Bruno - 10 rue Jean Macé (0 kilomètre) Bothorel François - 14 rue Jean Macé (0.04 kilomètre) Le Goff Jeanne - 2 rue St Yves (0.09 kilomètre) Peron Ludovic - 30 rue Denver (0.11 kilomètre)
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